Tant qu’il gagne, il joue. En passe de faire adopter sa réforme de la SNCF, courant juin, l’exécutif a confirmé mercredi qu’il s’apprête à ouvrir un autre dossier sensible : la révision des aides sociales pour le retour à l’emploi - objet ces derniers jours d’une communication confuse de la part de Bercy. «Le gouvernement va engager dans les prochaines semaines une nouvelle séquence de transformation», comprenant notamment «la refonte de notre système de prestations», a déclaré Edouard Philippe. Le Premier ministre s’exprimait à l’Elysée après un nouveau «séminaire gouvernemental» pour fixer l’agenda des réformes et cadrer l’expression des ministres.

«Nous ne sommes pas au niveau de service et d’efficacité que nous sommes en droit d’attendre, alors que nous sommes le pays d’Europe avec le plus haut niveau de dépenses sociales», a justifié Edouard Philippe. Précisant aussitôt que «la question n’est pas du tout de savoir s’il y a trop ou pas assez d’aides, mais si elles fonctionnent». Le commentaire a sonné comme un désaveu du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin : «Il y a trop» d’aides différentes, avait estimé celui-ci mardi, les jugeant «parfois contradictoires, […] pas assez incitatives pour sortir de l’inactivité». Quelques jours plus tôt, le même ministre avait évoqué une baisse du «montant global» de la prime d’activité, complément de salaire versé aux travailleurs modestes, insistant sur sa «dynamique» : 6 milliards d’euros en 2018 après 4 milliards en 2016. Darmanin se refusait pour autant de toucher aux «aides sociales individuelles», prenant là quelques distances avec son collègue de Bercy, Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie et des Finances s’était interrogé avant lui sur la possibilité de «réduire la politique sociale sur l’emploi».

«Netteté».L’intervention du Premier ministre mercredi n’a pas mis fin à cette impression d’improvisation. Edouard Philippe s’en est tenu à de grands principes : une «structure des prestations favorisant le retour à l’emploi», «payer la juste prestation en prenant en compte les ressources contemporaines» des bénéficiaires, lutter contre la fraude et la «gestion kafkaïenne» des indus. En parallèle, le gouvernement a prévu de passer en revue les aides publiques aux entreprises. Pour trancher, il s’appuiera notamment sur les conclusions du comité Action publique 2022. Ce groupe d’experts doit remettre en juin des propositions censées améliorer le service rendu, mais surtout permettre de substantielles économies. Elles donneront lieu à «des discussions serrées» avec les ministres, a prévenu Edouard Philippe. La présentation en juillet d’un «plan pauvreté» précisera aussi la réforme des aides à l’emploi.

Mercredi, Edouard Philippe a pourtant refusé de poser le débat en termes d’économies. «La réponse est non», a-t-il rétorqué au sujet d’une éventuelle baisse des aides, évoquant plutôt une quête d’efficacité et de simplification. Contactée par Libération, une source gouvernementale est moins affirmative : «On ne peut pas dire qu’on va baisser la dépense publique et ne pas toucher aux aides sociales. Il faut assumer d’aider en priorité ceux qui en ont le plus besoin. C’est d’ailleurs ce que le Président a porté pendant sa campagne.» A Bercy, on assure que «l’idée n’est pas d’y aller au rabot ni de prendre à ceux qui sont le plus dans le besoin». En évoquant directement des économies, «Bruno Le Maire a parlé avec netteté, fait remarquer le député socialiste Boris Vallaud. Qu’il ait parlé avec cette franchise, c’est ça qui gêne le reste du gouvernement».

Un maintien en l’état des dépenses sociales est d’autant plus incertain que la pression augmente sur le gouvernement en matière de dépenses publiques. Celui-ci s’est engagé auprès de Bruxelles à les réduire de quatre points de PIB sur le quinquennat. Mais dans son récent rapport sur le budget de l’Etat, la Cour des comptes a relevé une «forte hausse des dépenses», dont l’impact n’est resté limité qu’en raison d’une accélération imprévue de la croissance. Pour ne rien arranger, de nouvelles incertitudes économiques risquent de compliquer la donne budgétaire de la majorité : «Je flippe un peu, reconnaît une députée LREM. Il y a la situation italienne, le ralentissement chinois, les derniers chiffres de la croissance moins bons que prévu… Or, ce n’est pas au moment où les taux [d’emprunt pour l’Etat] remonteront qu’il faudra réfléchir à réduire la dépense.» Le prochain budget, sur lequel les discussions ont commencé au sein du gouvernement, s’annonce donc comme le moment d’arbitrages douloureux. Et peut-être d’une nouvelle épreuve pour la tendance «sociale» de la majorité. Dès mercredi, le député LREM Matthieu Orphelin a critiqué les derniers propos de Gérald Darmanin sur le «trop d’aides sociales», y voyant «une gifle» infligée aux allocataires : «Cela entretient le clivage, les caricatures, les "France d’en haut contre France d’en bas".»

Complément.«Darmanin nous dit que la prime d’activité coûte de l’argent. Mais ça fonctionne, fait valoir le député PS Boris Vallaud, partisan de ce dispositif mis en place sous Hollande. Elle encourage la reprise du travail et soutient la consommation.» Depuis plusieurs jours, les socialistes prennent un malin plaisir à rappeler leur travail sur la «simplification» des minimas sociaux. Dans un rapport rendu en avril 2016, l’ex-député Christophe Sirugue proposait notamment de «réduire par deux le nombre de dispositifs […] à horizon 2020» ou de refondre le tout dans une «couverture-socle» de 400 euros par mois pour les plus défavorisés avec un complément d’«insertion» ou de «soutien». Personne au gouvernement ne reprend l’idée. Pour cause : rien que l’ouverture du RSA aux jeunes dès 18 ans représenterait 6,6 milliards d’euros de plus par an. Pas vraiment une «économie» pour cette nouvelle majorité.

Lilian Alemagna Photo Albert Facelly Dominique Albertini