• Le plaidoyer d'Agnès Buzyn pour sa réforme : "La santé est au cœur de notre pacte social"

      10h00 , le 31 mars 2019
    • Par
    • Redaction JDD

    TRIBUNE - Votée à l'Assemblée, la réforme de la Santé arrivera au Sénat mi-mai. La ministre Agnès Buzyn monte au créneau pour répondre aux critiques, notamment sur le sujet sensible de la fermeture des petites maternités.

    La ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

    La ministre de la Santé, Agnès Buzyn. (Abaca Press)
     

    Dans une tribune publiée dimanche sur le JDD.fr et qui doit paraître aussi dans la presse quotidienne régionale, Agnès Buzyn défend sa réforme de la santé, actuellement débattue au Parlement, face aux vives oppositions locales qu'elle soulève. La ministre de la Santé cherche notamment à déminer le sujet sensible de la fermeture des petites maternités qu'elle assortit d’une série de garanties, notamment un renforcement des prises en charge et une permanence de sages-femmes "dans tous les territoires éloignés".

    La tribune d'Agnès Buzyn :

    "Le grand débat national a permis ces dernières semaines à beaucoup de Français de se retrouver, de partager leurs préoccupations et de choisir des causes communes pour construire l’avenir. L'accès à la santé est abordé dans beaucoup des propositions et des doléances qui en remontent. 

    Cette place accordée à la santé a quelque chose d'évident, qui reflète la place qu'elle occupe dans nos vies. Indispensable à l'épanouissement et au bien-être, elle est ce que l'on espère pour ses proches et pour soi-même, ce qui permet de bien vivre au quotidien et la condition nécessaire à tout projet futur. 

    Nous le savons, dans les territoires éloignés des grandes villes comme dans les zones urbaines défavorisées, l'accès à la santé est une source d'inquiétude grandissante depuis plusieurs années. Je la ressentais déjà comme médecin des hôpitaux publics et je la mesure encore plus à ma place de ministre. A juste titre, l'accès aux soins se vit en France comme un service public ; lorsque nos concitoyens ont l'impression qu'il s'éloigne d’eux, ils y voient un signe d’abandon qui nourrit leur sentiment d'injustice.

     

    Ma priorité, c’est que nous augmentions à court terme le temps médical disponible à nombre de médecins constant

    Toutes les actions que j’ai engagées dès 2017 visent à répondre à cette inquiétude, dans un contexte de manque de médecins, de vieillissement de la population et de développement des maladies chroniques.

    Ma conviction, c’est qu'il y a autant de territoires que d'organisations adaptées de l'offre de soins. Ma priorité, c’est que nous augmentions à court terme le temps médical disponible à nombre de médecins constant, sans attendre les quelques années encore nécessaires pour en former davantage. Il faut pour cela faire tomber les barrières qui empêchent les professionnels de travailler ensemble : entre les médecins et les autres professionnels soignants, le secteur sanitaire et le médico-social, le secteur public et privé.  

    J’ai donc lancé une stratégie de transformation complète et nécessaire de notre système de santé, baptisée 'Ma Santé 2022'. Elle s’est construite tout au long de l'année 2018 avec les soignants, les élus, les associations de malades et d’usagers, les fédérations d’établissements de santé et du médico-social. 

     

    Les pharmaciens vaccineront contre la grippe partout en France dès cet automne

    Le projet de loi Santé que j'ai défendu dans l’hémicycle la semaine dernière est une première étape du déploiement de 'Ma Santé 2022'. Il entérine notamment la suppression du numerus clausus, responsable de la pénurie de médecins depuis les années 1970. Il rend accessible à chacun les progrès du numérique en santé, renforce l’accès aux soins de proximité dans les territoires et repense le rôle des hôpitaux de proximité. 

    Je veux que localement, ces hôpitaux soient un lieu d'accès proche et permanent aux soins du quotidien, mais également un nouveau lieu d’exercice commun pour les professionnels de santé de chaque territoire qu'ils soient généralistes, spécialistes ou paramédicaux. 

    Nous allons aussi confier à des professionnels de santé bien répartis dans les territoires des tâches simples qu’ils n'ont pas le droit de faire aujourd'hui. Des infirmières pourront bientôt suivre des patients confiés par un médecin pour une maladie chronique, comme le diabète, en adaptant les traitements suivant leurs besoins. Autre exemple, les pharmaciens vaccineront contre la grippe partout en France dès cet automne. 

     

    Les mesures coercitives conduiraient les médecins à renoncer à l'exercice libéral

    Cela va permettre aux médecins d'avoir plus de temps pour prendre de nouveaux patients ou pour les consultations plus complexes, et aux patients d'obtenir un rendez-vous dans des délais raisonnables. Nous allons également créer 4.000 postes d’assistants médicaux pour épauler les médecins dans leurs tâches administratives, et nous développons la télémédecine pour que les professionnels de santé puissent conseiller, orienter et même soigner à distance. 

    A l’occasion du grand débat national, j’ai beaucoup entendu la proposition qui consisterait à obliger les médecins libéraux à s'installer dans les territoires qui en manquent. C’est une fausse solution. En réalité, répartir la pénurie de médecins est impossible : il manque des médecins dans toutes les spécialités et tous les territoires. Même la région parisienne perd des médecins généralistes. 

    Les mesures coercitives ont par ailleurs échoué dans tous les pays qui les ont essayées, en Allemagne, au Danemark ou encore au Canada. Dans notre pays, elles conduiraient les médecins à renoncer à l'exercice libéral, ce qui toucherait de plein fouet les territoires les plus défavorisés. A l'inverse, les mesures de Ma Santé 2022 obtiennent des résultats positifs là où elles sont d’ores et déjà en vigueur, ce qui nous encourage à continuer dans cette voie. 

     

    Aucun service d’accouchement n’est fermé pour des raisons financières, nulle part en France

    Ces derniers mois, la question du maintien des petites maternités est devenue un emblème de l’accès aux services publics dans les territoires. Je veux être très claire : aucun service d’accouchement n’est fermé pour des raisons financières, nulle part en France. 

    Chaque femme doit être assurée de la qualité des soins lors de son accouchement. Partout où la présence suffisante de pédiatres, gynécologue-obstétriciens, sages-femmes et anesthésistes permet de garantir la sécurité des mères et des enfants, nous maintenons les accouchements dans les maternités locales. Quand ce n'est pas le cas, elles sont transformées en centres de périnatalité, dans lesquels les femmes continuent de bénéficier des soins de suivi de la grossesse jusqu'à l'accouchement et juste après. 

    Cette transformation est toujours au bénéfice des habitants. Maintenir localement une maternité sans médecins pour la faire tourner n'est ni un service à leur rendre ni l'idée que je me fais du service public. Mais je suis également consciente qu'accoucher un peu plus loin de chez soi peut être source d’angoisse, et que nous devons y répondre.

    Je généraliserai cette année le pack de services 'Engagement maternité' garanti pour chaque femme dont le domicile se trouve à plus de 30 minutes d'une maternité. Il comprend le remboursement par l'Assurance maladie du transport sécurisé vers la maternité en urgence ou pas, de l’hébergement des femmes et de leur famille en hôtel près de la maternité quelques jours avant le terme de la grossesse si elles le souhaitent, et de toutes les consultations de la grossesse à domicile ou non suivant les besoins de chacune. 

     

    Une permanence de sages-femmes sera mise en place dès 2019 dans tous les territoires éloignés

    Je veux également donner aux sages-femmes un rôle de premier plan dans la prise en charge dans l’accompagnement des femmes enceintes qui vivent loin d’une maternité. Pour éviter les risques liés à un accouchement inopiné, une permanence de sages-femmes sera mise en place dès 2019 dans tous les territoires éloignés, l'équipement nécessaire sera systématiquement disponible et une sage-femme libérale formera localement les professionnels du Samu à ce type d'intervention. 

    La santé est au cœur de notre pacte social. Facteur de qualité de vie pour les femmes et les hommes, elle améliore la vie en société et consolide les liens qui nous unissent. Elle est un bien commun auquel chacun doit avoir accès, où que l’on habite en France. 

    Le Président de la République s’y est engagé, le système de santé doit tenir cette promesse pour devenir l’un des piliers de notre Etat-providence du 21e siècle.

    Je m’y engage à ses côtés et avec les soignants, qui savent mieux que quiconque qu’un pays qui soigne bien est un pays qui peut guérir."

    * Les exergues sont de la rédaction


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    Les Roms sont l’un des groupes les plus marginalisés et les plus persécutés en Europe.

    Par Aidan McGarry, reader in International Politics, Loughborough University

    Publié le 30 mars 2019 à 12h06
    • Rumeurs d'enlèvements d'enfants : des Roms attaqués, 20 interpellations
     

    Par Aidan McGarry, Loughborough University, en partenariat avec The Conversation.

    Les Roms sont l’un des groupes les plus marginalisés et les plus persécutés en Europe, et les attitudes anti-Roms sont en hausse.

    Dans de nombreuses sociétés, il est parfaitement acceptable de les dénigrer en invoquant des traits et caractéristiques négatifs que tous les Roms sont censés posséder (criminalité, délinquance, mode de vie parasitaire…).

    La romophobie est manifeste dans le discours de haine prononcé par le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui a appelé au profilage ethnique des Roms, mais aussi dans les attaques de néo-nazis qui ont détruit des maisons et tué d’innocents Roms en Ukraine, ou dans l’expulsion forcée de 8 161 Roms de leur maison par les autorités françaises en 2017.

    Matteo Salvini veut mettre en place un profilage "ethnique" des Roms.

    Les Roms occupent la position la plus basse dans pratiquement tous les indicateurs socio-économiques, y compris le niveau d’instruction et la progression scolaire, le chômage, l’espérance de vie et la mortalité infantile. Une étude sur les attitudes sociétales à l’égard de différents groupes – dirigée par Sadaf Lakhani, Audrey Sacks et Rasmus Heltberg pour la Banque mondiale en 2014 – a révélé que les Roms occupaient une position aussi basse que les pédophiles et les trafiquants de drogue dans certains États européens. Depuis leur arrivée en Europe au XIVe siècle (en provenance de l’Inde), les Roms ont subi exclusion et discrimination. Il est impératif d’essayer de comprendre pourquoi.

    La romophobie en question

    Dans mon livre Romaphobia : The Last Acceptable Form of Racism, je montre que les préjugés anti-Roms ne sont pas seulement un artefact historique, mais se révèlent activement reproduits par des acteurs et des institutions qui cherchent à renforcer leur position au pouvoir. La romophobie se définit tout d’abord comme la haine ou la peur des personnes perçues comme étant Roms, Tsiganes ou "du voyage" et implique l’attribution négative de l’identité d’un groupe. La romophobie est donc une forme de racisme, taillée dans la même étoffe que celui-ci. Elle entraîne marginalisation, persécution et violences.

    Pour comprendre d’où vient la romophobie, il est nécessaire de saisir les relations et les processus qui l’ont historiquement créée et l’alimentent aujourd’hui. Le nationalisme s’est avéré à maintes reprises la tactique privilégiée pour pacifier les peuples, en renforçant les liens affectifs de solidarité avec leurs soi-disant semblables.

    Cette identité collective est construite par une élite politique qui revendique un territoire commun, une histoire, un mythe d’origine, une langue et/ou une religion commune afin de favoriser la solidarité. Cependant, la construction d’une identité collective est source de division et implique nécessairement la démarcation de frontières entre "eux" et "nous". Ceci est délibéré : le but est de produire solidarité et stabilité au sein de la Nation. Mais cela peut s’effectuer en ciblant les minorités (y compris les communautés musulmanes et juives) qui, sans le vouloir, jouent un rôle important dans les processus de construction des nations en Europe.

    Pourquoi les Roms plutôt qu’une autre communauté ?

    La clé pour comprendre pourquoi les Roms sont marginalisés à travers l’Europe réside dans notre conception du territoire et de l’espace, ainsi que dans les processus de construction et de maintien de l’identité. Un exemple de ce travail identitaire est le stéréotype des Roms comme "nomades" itinérants qui n’ont ni foyer, ni racines fixes, ce qui sert à justifier leur exclusion.

    Nulle part, les Roms ne sont considérés comme étant "des nôtres", comme membres de la société. En tant que peuple sans territoire, les Roms ne correspondent pas à la conception du nationalisme westphalien dans lequel une nation se confond avec un territoire souverain. Ils sont ainsi exclus de la vie publique, considérés comme une communauté problématique qui ne "rentre" pas dans la projection de la Nation. Cela fait des Roms des boucs émissaires de choix.

    Dès les prémisses d’édification des nations, les Roms sont instrumentalisés pour servir les intérêts de l’élite politique. Ils sont exclus de l’articulation de la Nation, leur différence exploitée tel un carburant pour construire la Nation comme correspondant à "nous" (la majorité) et non pas à "eux" (Roms). Les Roms, en tant qu’identité fortement construite et policée, deviennent ces "autres" nécessaires, positionnés en dehors de la Nation. Ceci est la règle historique et non une exception récente. Les Roms n’ont pas seulement été exclus de quelques nations, mais de toutes les nations d’Europe. Ils ont été stigmatisés et persécutés dans tous les États européens à un moment ou à un autre. L’expérience historique des communautés roms en Roumanie, en Slovaquie ou en Espagne a été singulière dans chaque cas, mais elle traduit cette même romophobie. Les politiciens "construisent" les Roms et les traitent comme une entité distincte et problématique habitant l’État, mais séparée de la Nation. Avec des résultats prévisibles.

    Historiquement, tous les actes de violence généralisée et le traitement déshumanisant des Roms (expulsion, déportation, assassinat, mise en esclavage…) ont été appuyés par des projets de construction nationale. Il est donc raisonnable de se demander si l’exclusion des Roms est délibérée, en tant que sous-produit de la construction de l’État et de la Nation. Si tel est le cas, alors la romophobie ferait partie de la matrice du nationalisme européen et les exemples persistants de romophobie ne devraient pas nous surprendre.

    La romophobie, dernière forme acceptable de racisme

    Au vu des attitudes très majoritairement négatives à l’égard des Roms à travers l’Europe, la romophobie apparaît largement acceptable. Celle-ci est présente dans les conversations informelles à la maison et au travail, dans les représentations stéréotypées de gitans carnavalesques dans les médias, lorsque les autorités de l’État accusent les Roms d’enlever des enfants aux cheveux blonds et aux yeux bleus, lorsque les urbanistes placent les Roms dans des ghettos, lorsque les élites politiques prennent les communautés roms pour cibles et rasent leurs maisons ou les expulsent en masse…

    L’identité même des Roms est considérée comme dérangeante ou menaçante.

    La confusion généralisée entre culture rom et criminalité dans des pays comme la Hongrie ou l’Italie en témoigne, tout comme l’expulsion récurrente des communautés roms de leurs foyers en France.

    En Europe aujourd’hui, il importe de tenir compte des leçons du passé, comme la manière dont le ciblage des Roms a conduit à la tentative de leur extermination par les Nazis.

    Le fascisme et le populisme de droite ne sont plus marginaux, mais redevenus ordinaires : ils font l’objet de discussions ouvertes dans les médias par des politiciens en quête de moyens expéditifs pour engranger des soutiens. Le nationalisme contribue ainsi toujours aussi efficacement à répandre cette idéologie de haine et d’exclusion.


     

     

     

     

     

     

     

     

    Cet article a d’abord été publié sur le journal de RFIEA, Fellows n°47. Édition et traduction Aurélie Louchart. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site Fellows.

    Aidan McGarry, Reader in International Politics, Loughborough University

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

    L'Obs

    Aidan McGarry, reader in International Politics, Loughborough University