• Covid-19: Macron à l’épreuve des 100 000 morts

    Covid-19: Macron à l’épreuve des 100 000 morts

    Après la Grande-Bretagne et l’Italie, la France va devenir le troisième pays d’Europe à passer la barre des 100 000 décès dus à la Covid. Une étape de l’épidémie particulièrement délicate à franchir pour l’exécutif

    Covid-19: Macron à l’épreuve des 100 000 morts
    © Kak
     

    Mardi, Anne Hidalgo a proposé au conseil de Paris de construire « un lieu de mémoire active » dédié aux victimes de l’épidémie. Au même moment, le gouvernement a décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre tous les vols entre la France et le Brésil, en proie à un variant particulièrement agressif.

    En fin de semaine, la France comptera 100 000 morts de la Covid-19, devenant le troisième pays d’Europe, après la Grande-Bretagne et l’Italie, et le huitième dans le monde, à franchir ce cap morbide. En Angleterre, fin janvier, Boris Johnson s’était dit « profondément désolé ». En Italie, début mars, Mario Draghi avait esquivé le sujet. Quelle attitude adoptera Emmanuel Macron ?

    Le seuil des 100 000 morts a été évoqué la semaine dernière lors de la réunion hebdomadaire des responsables de la majorité, en présence du secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Il n’a pas été décidé de lui consacrer un dispositif particulier. Depuis, selon RTL, Emmanuel Macron aurait opté pour une adresse aux Français. Par une allocution ou un simple message écrit ? La réflexion est en cours.

    Depuis le début de l’année, la France compte chaque jour entre 250 et 450 morts supplémentaires. A force de scruter les courbes et les chiffres quotidiens, c’est comme si l’on s’était habitué à ce drame de chaque jour. « Une certaine indifférence face aux chiffres des décès s’installe », notait le Conseil scientifique dans sa note du 11 mars. « Cette avalanche d’indicateurs crée une forme de saturation. Ces chiffres perdent forcément de leur caractère extraordinaire et choquant. On ne sait plus comment les interpréter et qu’en conclure », estime le sociologue Olivier Borraz, directeur de recherches au CNRS et auteur de Covid 19 : une crise organisationnelle (Sciences Po, les presses, 2020).

    Invisibilisation. Hormis une mention aux « 100 000 familles bientôt endeuillées » lors de l’annonce du troisième reconfinement le 31 mars, Emmanuel Macron préfère pour l’heure célébrer ceux qui, vivants, se battent contre l’épidémie. C’était le sens de cette liste de prénoms égrenés lors des vœux du 31 décembre dernier. Concernant les morts, il avait eu ces mots : « En votre nom, j’ai ce soir une pensée pour les 64 000 victimes de ce virus, leurs familles et leurs proches. Des parents, des amis, des pans entiers de l’imaginaire français nous ont quittés ces derniers mois ». Un chiffre sans identités.

    Contrairement aux attentats ou autres drames ponctuels (inondations, cyclones, crash d’avion…), les visages et les identités des victimes ne font pas la Une des journaux. « Comme dans une guerre, les victimes de la Covid s’inscrivent dans le temps long. Elles perdent leur individualité au profit de chiffres désincarnés », note Olivier Borraz. Jusqu’à disparaître. « Il y a davantage une invisibilisation des personnes qui vont mourir d’autres pathologies qui n’auront pas été détectées ou traitées à temps en raison des mesures prises pour lutter exclusivement contre la Covid. Mais aussi de celles qui vont perdre des années de vie en raison de la perte d’un emploi ou de l’entrée dans la pauvreté. On ne parle que des morts d’aujourd’hui en oubliant les morts de demain. On maintient la focale sur ce seul virus et on néglige le reste », souligne le chercheur.

    Pour l’exécutif, ce seuil des 100 000 morts constituera un moment délicat à gérer. « C’est certain, le jour où l’on franchira ce cap, notre gestion de la crise sanitaire sera interrogée », concède un cadre de la majorité. Depuis la fin mars, Emmanuel Macron a déjà gagné un surnom sur les réseaux sociaux : « Monsieur 100 000 morts ». Le député LREM et immunologue Jean-François Eliaou veut recentrer le débat : « Ce nombre fatidique n’est pas un marqueur de bonne ou mauvaise gestion. Il faut y voir un cri d’alarme qui va à l’encontre de toutes les théories complotistes ou celles sur l’inefficacité des vaccins. »

    « 10, 20, 30 ». L’exécutif préfère se concentrer sur d’autres chiffres, particulièrement ceux de la vaccination. Ce que les têtes pensantes de la macronie baptisent le « 10, 20, 30 » : 10 millions de vaccinés au 15 avril, 20 au 15 mai, 30 au 15 juin. La première borne a été atteinte le 8 avril avec une semaine d’avance et une solide communication du sommet de l’Etat. « Attention à ne pas entrer dans une compétition des chiffres entre la campagne vaccinale et le nombre de décès », prévient toutefois un conseiller de l’exécutif, qui livre trois critères selon lesquels la gestion gouvernementale doit être jugée : le nombre de morts, le nombre de jours pendant lesquels les écoles seront restées ouvertes et les taux de croissance et de chômage.

    Quant au nombre de morts, il est à prendre avec précaution. Rapporté au nombre d’habitants, la République tchèque est le pays le plus touché au monde par la pandémie, devant la Hongrie, le Monténégro et la Bosnie. Le Royaume-Uni, l’Italie, les Etats-Unis, le Brésil, l’Espagne ou le Portugal connaissent une situation pire que celle de la France.

    Cette comparaison internationale a toujours été établie par l’exécutif, qui a commencé nombre de conférences de presse en mettant en avant les indicateurs français, meilleurs que ceux de ses voisins. L’Elysée renvoie aujourd’hui vers une étude menée par France stratégie, qui, au nombre de décès, préfère comparer le taux de surmortalité. La France connaît ainsi une situation moins dramatique que dans les pays d’Europe du sud ou en Amérique du Sud et du nord.

    Mémoire. La barrière des 100 000 morts français est donc un moment essentiellement symbolique, un cap supplémentaire qui pose la question complexe de la mémoire des victimes. Plusieurs députés ont d’ores et déjà exprimé leur intention de déposer des propositions de loi. L’ancien marcheur Matthieu Orphelin souhaiterait créer une journée nationale d’hommage aux victimes de la Covid et en attendant, suggère le 14 juillet 2021 pour une première commémoration. Hospitalisée après avoir été victime de la Covid, la députée LREM Patricia Mirallès a aussi déposé une proposition de loi en ce sens.

    Au ministère de la Santé, on assure réfléchir à « l’impact psychologique sur les 100 000 familles endeuillées et à leur santé mentale ». La santé mentale est l’objet d’un déplacement d’Emmanuel Macron ce mercredi au CHU de Reims. Le chef de l’Etat se rendra au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dont les vingt lits sont aujourd’hui tous occupés.

    Reste qu’aucun hommage national à ces 100 000 morts n’est pour l’instant prévu. A des moments différents, la Suisse, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Canada ou l’Espagne ont observé une minute de silence nationale. En France, ce ne fut le cas qu’au Parlement. L’exécutif estime que l’heure de l’hommage aux victimes n’est pas encore venue. « La commémoration, c’est quand on aura arrêté le compteur du nombre de morts », résume-t-on dans l’entourage d’Olivier Véran. « On ne peut pas rentrer dans une logique commémorative alors même qu’on est au cœur de la gestion de crise, estime un autre conseiller ministériel. La préoccupation pour le moment, ce sont les vivants et éviter le maximum de morts. »

    « Emploi : opération 100 000 mentors, une idée venue de GirondeBingo ! LVMH pèse aujourd’hui 300 milliards d’euros en Bourse »