• Données personnelles : les petites entreprises victimes de la guerre entre Facebook et Apple

    Données personnelles : les petites entreprises victimes de la guerre entre Facebook et Apple

    Les PME redoutent une baisse des ventes en ligne liée à la nouvelle politique d’Apple en matière de respect de la vie privée.

    La dernière mise à jour du système d’exploitation des appareils Apple, dirigé par Tim Cook, va bouleverser la manière dont la publicité en ligne fonctionne depuis une décennie. Pour le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, il s’agit d’un coup de force de la part de la marque à la pomme.

    La dernière mise à jour du système d’exploitation des appareils Apple, dirigé par Tim Cook, va bouleverser la manière dont la publicité en ligne fonctionne depuis une décennie. Pour le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, il s’agit d’un coup de force de la part de la marque à la pomme.

     
    © Sipa Press
     

    Dans une production où Apple jouerait le rôle de King Kong combattant un Godzilla interprété par Facebook, les petites entreprises familiales figureraient la foule hurlante tentant d’éviter de se faire écraser par les deux géants.

    En jeu, une modification apparemment anodine du système d’exploitation des iPhones et iPads, qui en réalité vient bouleverser la manière dont la publicité en ligne fonctionne depuis une décennie : il s’agit de donner le choix aux utilisateurs d’autoriser ou non leur suivi par les applications dont ils se servent.

    Pour le directeur général d’Apple, Tim Cook, la mise à jour du système iOS, en cours de déploiement, vise à assurer le respect de la vie privée des utilisateurs. De son côté, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, y voit un coup de force de la part d’Apple et de M. Cook, qu’il accuse de tenter de prendre le contrôle d’informations longtemps laissées à la disposition des annonceurs et courtiers en données. Facebook a lancé une campagne publicitaire soulignant que les principales victimes de la nouvelle politique d’Apple seront les petites et moyennes entreprises, qui représentent la majorité des plus de 10 millions d’annonceurs officiant sur les réseaux sociaux.

    Toute déclaration de Facebook quant aux mérites d’un accès inconditionnel aux données de ses utilisateurs devrait raisonnablement susciter un certain scepticisme. Cependant, selon les petites entreprises qui recourent largement aux publicités en ligne, comme du point de vue des agences qui les y aident, Facebook a raison d’alerter sur l’impact disproportionné que les modifications introduites par Apple pourraient avoir sur leur activité. En outre, les outils publicitaires alternatifs que la marque à la pomme propose dans un souci de respect de la confidentialité des données n’assureront probablement pas la même visibilité sur les clientèles cibles.

    Les entreprises risquent en définitive de moins bien maîtriser l’impact de leurs dépenses publicitaires – et de payer plus cher des campagnes moins efficaces. Savoir si les changements décidés par Apple porteront préjudice à une entreprise dépend de la taille de celle-ci, de sa maturité et de la nature de son offre.

    Derrière les annonces publicitaires, de précieuses données

    La publicité en ligne est affaire de données. Depuis de nombreuses années, les annonceurs, au travers de leurs sites internet, et les plateformes comme Facebook, via leurs applications, suivent les usages des internautes en recoupant adresses électroniques, numéros de téléphone et identifiants de publicité uniques. Un distributeur peut vérifier qu’un internaute ayant vu sa publicité, quel que soit l’endroit où elle est diffusée, est bien la personne qui a ensuite effectué un achat – même si celui-ci a été réalisé sur une autre application ou un autre appareil.

    « L’initiative d’Apple est bien intentionnée mais elle pénalise les petites entreprises de manière réelle et tangible, compliquant fortement la tâche aux chefs d’entreprise qui cherchent à comprendre et suivre des règles qui changent constamment »

    Les annonceurs peuvent ainsi consacrer un petit budget au ciblage d’un public bien précis sur Facebook ou Instagram, adaptant régulièrement leur stratégie et leurs annonces en vue de trouver quasiment en temps réel les consommateurs les plus réceptifs. Ce système a également permis à Facebook de faire la preuve de l’efficacité de ses publicités, lesquelles lui ont assuré des recettes record de 84 milliards de dollars en 2020.

    La nouvelle politique d’Apple pourrait réduire ce flot de données sur les utilisateurs à un simple goutte-à-goutte.

    Lorsqu’ils verront apparaître le message « Autoriser cette application à suivre votre activité ? », bon nombre d’utilisateurs d’iPhones répondront « non ». En raison des modifications apportées par Facebook à ses systèmes publicitaires internes, pour certaines en perspective des nouvelles règles d’Apple, les mesures de la réaction aux annonces publicitaires sont déjà moins fines, observe Gracie Foxwell, cofondatrice de Foxwell Digital, une société de conseil en publicité en ligne.

    « L’initiative d’Apple est bien intentionnée mais elle pénalise les petites entreprises de manière réelle et tangible, compliquant fortement la tâche aux chefs d’entreprise qui cherchent à comprendre et suivre des règles qui changent constamment », explique Mme Foxwell.

    Les annonceurs pourront toujours suivre les achats des internautes et disposeront de certaines informations sur ce qui a précédé ces achats grâce, entre autres, aux analyses statistiques de Facebook concernant les interactions des utilisateurs. Les annonceurs pourraient aussi conserver l’accès à des données d’utilisateurs rendues anonymes, recueillies sur des appareils autres que les iPhones ou iPad, tels que les ordinateurs portables fonctionnant avec Chrome (cela pourrait cependant changer dans les deux prochaines années, Google ayant lui aussi décidé de renforcer la confidentialité des données et de modifier la manière dont les annonceurs peuvent suivre les internautes).

    Un mauvais coup pour les petites entreprises

    Auparavant, la moindre petite entreprise pouvait, moyennant une centaine de dollars, s’offrir une campagne publicitaire sur Facebook ou Instagram et recevoir un retour d’informations immédiat et détaillé. A présent, ces PME devront dépenser beaucoup plus – quelques milliers de dollars au moins – pour diffuser leurs publicités auprès d’un plus vaste public, parce que le ciblage sera moins précis, explique Christian Lovrecich, fondateur de PixIFeedMedia, une agence de marketing spécialisée dans le commerce électronique.

    La technologie dans son ensemble fait ainsi face à un compromis fondamental entre deux injonctions contradictoires : satisfaire le désir de confidentialité des données des consommateurs tout en répondant à leur souhait d’une expérience client adaptée à leurs besoins personnels

    Ce ciblage est en grande partie lié à la fonctionnalité « audience similaire » de Facebook, un algorithme complexe qui se fonde sur l’intelligence artificielle pour générer un public qui ressemble, en termes de comportement probable d’achat, à la clientèle existante ou visée d’un commerçant. Ainsi, un vendeur de pyjamas grenouillères pour adultes disposant déjà d’une liste de diffusion peut transmettre ces informations à Facebook, dont l’algorithme cherchera dans la population cible davantage de consommateurs susceptibles d’être intéressés par ce genre d’article. Il peut s’agir de critères évidents comme l’âge, ou moins évidents comme le fait d’occuper un emploi qui permet de télétravailler. Plus Facebook dispose de données pour alimenter son algorithme, plus celui-ci peut établir de corrélations.

    La technologie dans son ensemble fait ainsi face à un compromis fondamental entre deux injonctions contradictoires : satisfaire le désir de confidentialité des données des consommateurs tout en répondant à leur souhait d’une expérience client adaptée à leurs besoins personnels.

    « Je ne fais pas partie de ceux pour qui le respect de la vie privée ne compte pas, mais les données des consommateurs servent depuis toujours à personnaliser les messages publicitaires, souligne John Merris, le patron de Solo Stove, une start-up spécialisée dans les braseros de jardin. La vraie question est de savoir où fixer la limite. Et pourquoi ce serait désormais à Apple d’en décider. »

    L’entreprise de M. Merris répartit son budget publicitaire entre les applications de Facebook, Google, quelques plateformes de plus petite taille comme Pinterest et Reddit, et des podcasts. M. Merris s’est préparé aux changements à venir en recrutant des techniciens afin de concevoir un système permettant de suivre les publicités, agréger les données disponibles et identifier des corrélations. Le dispositif fonctionne en grande partie comme le système publicitaire de Facebook mais cible toutes les applications où Solo Stove diffuse ses annonces. « C’est une entreprise énorme et un investissement considérable », souligne M. Merris.

    L’influence d’Apple sur la publicité numérique aux Etats-Unis est liée à sa domination du marché des appareils mobiles. Apple détient une part de marché de 60 % sur l’ensemble des appareils mobiles utilisés dans le pays, selon Statcounter, une société spécialisée dans l’analyse des données d’internet. Les utilisateurs d’iPhones et d’iPads présentent un intérêt particulier pour les spécialistes du marketing parce qu’ils tendent à disposer de revenus plus élevés et à effectuer davantage d’achats en ligne.

    M. Cook a fait part de son exaspération à l’égard de la controverse qu’a déclenchée la décision d’Apple de modifier sa politique de confidentialité des données. Dans un récent podcast, il s’est dit « choqué par le degré d’opposition que [cette décision] a rencontré ». Il a également qualifié de « légers » les arguments avancés par certains détracteurs comme Facebook.

    De son côté, Facebook se fait l’écho de petites entreprises comme celle de Hrag Kalebjian, Henry’s House of Coffee, un café basé à San Francisco qui vend également des grains torréfiés en ligne. M. Kalebjian affirme gagner 3 dollars pour chaque dollar dépensé sur Facebook, des recettes qui lui ont permis de compenser le manque à gagner lié à la fermeture de son établissement pendant la pandémie. Il dit craindre qu’après la mise à jour du système d’exploitation d’Apple, le budget qu’il consacre à ses annonces publicitaires sur Facebook ne lui assure plus autant de ventes.

    « Les utilisateurs doivent avoir le choix »

    Apple ne se montre pas totalement sourd aux préoccupations des annonceurs. « Nous soutenons évidemment la publicité mais nous pensons que les utilisateurs doivent avoir le choix concernant les données qui sont recueillies à leur sujet et la manière dont elles sont utilisées, a déclaré un porte-parole d’Apple. Les applications et les annonceurs peuvent continuer de suivre comme avant la navigation en ligne des utilisateurs ; la fonction de transparence incluse dans iOS 14 requiert simplement qu’ils demandent la permission aux utilisateurs avant de partager leurs données avec d’autres entreprises. »

    Apple déploie par ailleurs ses propres solutions alternatives à l’identifiant de publicité unique classique. Elles permettent aux annonceurs de déterminer si leurs campagnes fonctionnent (selon une procédure nommée « attribution ») tout en assurant la confidentialité des données des utilisateurs. Comme le traitement des données nécessaire est effectué sur les appareils et non pas dans le cloud, il limite automatiquement le type d’informations pouvant être transmises à des courtiers en données et des entreprises comme Facebook.

    Néanmoins, selon les consultants en publicité avec lesquels j’ai pu parler, ces outils nécessiteraient une modification des procédures des annonceurs, et ne permettraient pas la même finesse de ciblage. Mes collègues m’ont rapporté que certains grands annonceurs comme Procter & Gamble étudiaient des stratégies alternatives telles que le recours aux « empreintes numériques », une technique de suivi qu’Apple voit d’un mauvais œil.

    « Même si cela ne sera sans doute pas fantastique au départ pour les petites et moyennes entreprises, à long terme, c’est probablement une bonne chose », estime M. Merris, le patron de Solo Stove. Il compte sur des innovations qui permettront d’offrir « des expériences personnalisées formidables, à même de produire un bon retour sur investissement tout en réglant certains problèmes brûlants comme la collecte de données ».

    (Traduit à partir de la version originale en anglais par Anne Montanaro)

     
     

    Traduit à partir de la version originale en anglais

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