• La fabrique de l’intox

    La fabrique de l’intox fait partie de la conquête du pouvoir et de sa préservation. Son pire ennemi est la transparence, ou, en langage moderne, « internet ».

    Au mois de novembre de l’année passée le collectif de piratage informatique « Anonymous » publie sur son site internet « cyberguerilla.org » une série de documents confidentiels d’un « Think tank » britannique du nom de « Institute for Statecraft » (gouvernance, habileté politique) basé à Londres, enregistré en tant qu’œuvre de charité et, en particulier, de sa filiale écossaise « Integrity Initiative ». (wsws.org)

    Un document en particulier saute aux yeux, celui des sources de financement de cette mystérieuse organisation, dont personne n’avait jamais entendu parler auparavant. On y trouve le « British Foreign and Commonwealth Office », sous la responsabilité directe de la Premier Ministre, et les services secrets britanniques, « MI5 » et « MI6 », avec une contribution généreuse de 2,5 millions £, le QG de l’OTAN avec de modestes 168'000 £, le « Département d’Etat » des Etats Unis avec 250'000 £, la société « facebook » avec 100'000 £, le « Ministère de la Défense » lithuanien avec 20'000 £ et tant d’autres.

    En utilisant des clusters « grappes de serveurs informatiques » en Grande-Bretagne, en Espagne, en Allemagne, en Italie, en Grèce, aux Pays-Bas, en Lituanie, en Norvège, en Serbie et au Montenegrò, sa filiale écossaise « Integrity Initiative » dissémine, via un réseau de journalistes, politiciens, académiciens et officiers, de fausses informations et de la propagande atlantiste, dans le but de décrédibiliser tout ce qui va à l’encontre de la pensée unique.

    Le « cluster » britannique est particulièrement intéressant. On y trouve les noms de 108 individus, dont des membres du personnel du « Foreign Office » et du « Ministère de la Défense », de la « Henry Jackson Society », du « Royal United Services Institute », de « Demos Think Tank », des politiciens de la lignée de Tony Blair, des membres du « Comité de Défense », ainsi que de neuf journalistes, dont quatre du « Sunday Times » et du quotidien « The Times », tous les deux membres de l’empire du milliardaire australien Rupert Murdoch, tels que Deborah Haynes, l’ex-communiste et chroniqueur David Aaronovitch, Dominic Kennedy, ainsi que Edward Lucas, qui y est décrit comme le « noyau dur » du « Team Russie », ensemble avec la journaliste américaine néoconservatrice Anne Applebaum. En outre, on y trouve également l’éditorialiste du Guardian, Natalie Nougayrede, précédemment éditrice du quotidien français « Le Monde », Jonathan Marcus de la BCC, ainsi que Neil Buckley du « Financial Times ». 

    Cette histoire rocambolesque rappelle un précédent historique qui eut lieu pendant la période de la « Guerre froide » aux Etats-Unis, connu sous le nom de « Operation Mockingbird ». Un petit rappel.

    Tout commence en 1948. L’écrivain britannique George Orwell rédige son célèbre roman « 1984 » et l’Office of Strategic Services (OSS), le précurseur de la CIA, médite sur une méthode efficace pour contrer l’avancement du communisme dans le monde.

    Sous la direction de son directeur Frank Gardiner Wisner, naît l’opération « oiseau moqueur » un programme secret, visant à infiltrer les médias américains, occupant jusqu’à 3'000 employés, ainsi que 400 journalistes des médias les plus influentes, à la solde de l’agence, dont certains des lauréats du « Prix Pulitzer ». Beaucoup d’entre eux signaient des contrats secrets, assortis d’une promesse de ne jamais divulguer leur existence, d’autres agissaient carrément dans le cadre d’un contrat de travail. (Carl Bernstein, journaliste d’investigation, Rolling Stone 1977)

    A partir de 1953 cela se passe sous la surveillance du premier directeur de la CIA, Allen Dulles, frère du Secrétaire d’Etat du gouvernent de Dwight Eisenhower, John Foster Dulles, chef de station de l’OSS (précurseur de la CIA) à Berne pendant la 2ème guerre mondiale, fondateur du « Comité américain pour une Europe unie » et de « Radio Free Europe », porte-parole anti-communiste en Europe. Il est également considéré comme un « influenceur » efficace des « pères de l’Europe » Jean Monnet et Robert Schumann.

    En sa qualité de chef de la CIA, accessoirement actionnaire principal de la « United Fruit Company », il fut responsable du renversement du gouvernement guatémaltèque du président élu Jacobo Arbenz Guzman en 1954, ainsi que de celui du premier ministre iranien élu, Mohammed Mossadegh, empoisonné par la CIA en 1953, tous les deux ayant eu l’audace de vouloir nationaliser les richesses de leur pays, les bananes pour l’un, le pétrole pour l’autre.

    L’infiltration de la presse par la CIA perdura jusqu’à l’instauration d’une commission d’enquête sénatoriale en 1976, dirigée par le sénateur Frank Church, en charge d’une investigation générale dans les agissements abusives de la CIA, de la NSA, du FBI et de la IRS (Internal Revenue Service).

    Le volet « infiltration des médias » n’ayant représenté qu’un aspect parmi de multiples autres manipulations de l’agence, d’éminents membres des milieux du renseignement, dont les anciens directeurs William Comey et George Herbert Walker Bush, plus tard président des Etats-Unis, avaient réussi à convaincre le comité d’occulter l’étendue de la manipulation journalistique, en émettant un rapport final de neuf pages seulement, rédigé en de termes vagues sans faire mention des noms des journalistes impliqués. (Carl Bernstein)

    Ainsi, nous revoilà aux jours des plus sombres de la « Guerre froide ». Un des nombreux documents piratés et publiés par le collectif « Anonymous » indique une vaste opération de dénigrement à l’encontre de l’opposition, et, en particulier le leader du parti « Labour » Jeremy Corbyn. Le document fait état d’une batterie de messages mensongers, partie du compte « twitter » du collectif « Integrity Initiative », avec le soutien appréciable du journaliste Edward Lucas du quotidien « The Times » et Mark Edmonds, éditeur associé du « Sunday Times ».

    Dans le registre « interférence dans les affaires d’un état ami » on peut lire que le 9 juin 2018, le colonel Pedro Banos aurait dû être élu à la tête de la Sécurité nationale espagnole, un poste attaché au bureau du président socialiste Pedro Sanchez. Des attaques ciblées, répandues par le responsable du cluster espagnol du collectif « Integrity Initiative », Nicolas de Pedro et ses acolytes, ont su empêcher cette élection.

    Ainsi on pouvait lire dans le quotidien « El Pais » que « en tant qu’expert en matière de terrorisme djihadiste, Pedro Banos, a exprimé de la sympathie pour la Russie à plusieurs reprises (?). En outre il a accordé des interviews aux chaînes d’information « Russia Today » et « Sputnik » et diffusé un « tweet », favorable au président russe (?). Il ne devrait donc pas occuper un tel poste stratégique, car il serait en charge, entre autres, de la cybersécurité, de la sécurité maritime, ainsi que de l’immigration. »

    D’autres articles de presse mettaient en doute son état de santé mentale, pour avoir participé à des shows télévisés, ayant eu comme sujets des théories conspirationnistes et la parapsychologie.

    Banos est un adepte de la « Realpolitik », favorable à une armée européenne et un adversaire de provocations et sanctions à l’égard de la Russie. Les services secrets britanniques considèrent cette attitude contraire aux intérêts impérialistes britanniques (et américains, sans doute).

    Le parlement espagnol a finalement choisi le général Miguel Angel Ballesteros Martin.

    « Integrity Initiative » a également ouvert un bureau à Washington où il collabore étroitement avec le « Think Tank » atlantiste et néolibéral « Atlantic Council », le « décodeur d’information » attitré du réseau social « facebook », ainsi qu’avec le « Center for European Policy Analysis ». (grayzone project)

    Affaire à suivre.

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