• pour financer les retraites, passons à la semaine de 4 jours !

     

    Entretien

    Pierre Larrouturou : pour financer les retraites, passons à la semaine de 4 jours !

     
    Alors que le gouvernement ouvre la porte à une augmentation de la durée de travail, Pierre Larrouturou, candidat PS - Place Publique - Nouvelle donne aux élections européennes, plaide pour que le travail soit davantage partagé afin d'augmenter le nombre de cotisants pour les retraites.

    Pierre Larrouturou est économiste, spécialiste de la question du partage du temps de travail. Il est candidat en cinquième position sur la liste PS - Place Publique - Nouvelle donne (mouvement dont il est fondateur) aux élections européennes. Alors que la concertation sur la réforme des retraites se tend de plus en plus sur la question du recul de l'âge de départ, et alors que l'idée de la suppression d'un jour férié fait également son chemin, l'ancien conseiller régional d'Île-de-France défend une réduction du temps de travail hebdomadaire, permettant selon lui de rééquilibrer la balance entre population active cotisante et retraités.

    Marianne : Pour justifier la réforme des retraites, le gouvernement fait valoir la nécessité d'équilibrer le système en tenant compte de l'allongement de l'espérance de vie. Quelle serait selon vous la meilleure façon d'y parvenir ?

    Pierre Larrouturou : Une des idées fixes de ce gouvernement, c'est de baisser les retraites. La question qui se pose, c'est de savoir quel revenu on assure aux gens qui partent à la retraite. L'approche purement comptable d'Emmanuel Macron est mauvaise : oui, notre système de retraite est généreux, mais c'est très bien, je ne veux pas en France de retraités qui, comme aux Etats-Unis, soient obligés d'avoir des petits boulots pour s'en sortir.

    "Il faut augmenter le nombre de gens qui cotisent et il y a deux leviers pour cela : un grand plan climat et la semaine de 4 jours"

    Le taux d'emploi des 60-64 ans, selon l'Insee, c'est 29%. Quand Aurore Bergé dit que les Français seraient disposés à travailler plus, elle agite une liberté totalement virtuelle. La meilleure façon d'équilibrer le système de retraite, ce n'est ni de reculer l'âge de départ à la retraite, ni d'augmenter la durée légale du travail, c'est de créer des emplois correctement payés pour cotiser. Il faut augmenter le nombre de gens qui cotisent. Il y a deux leviers pour cela : en lançant un grand pacte climat, qui permettrait de créer 800.000 emplois, et passer à la semaine de quatre jours.

    Comment faire pour maintenir le même niveau de salaire en travaillant moins ?

    L'entreprise arrêterait de payer la cotisation chômage – soit 8% du salaire brut – à condition qu'elle passe à quatre jours et qu'elle recrute 10% de salariés en plus en CDI. De cette manière, elle pourrait maintenir le niveau de salaire tout en embauchant. Le chômage coûte 70 milliards aux entreprises, cet argent peut servir à autre chose : en l'occurrence, créer des emplois, permettre un progrès social en augmentant le temps libre de chacun, et trouver un équilibre pour financer le système des retraites.

    Recruter en masse des personnes qualifiées ne va pas de soi…

    Il n'y a aucun secteur sous tension, où l'on peine à recruter quelqu'un. Parmi les cinq millions de chômeurs, il y a des gens compétents. Il faut cependant anticiper cet appel d'air d'emploi, en faisant de la formation. Actuellement, les entreprises ne voient pas l'intérêt de faire de formation, puisqu'il n'y a pas de perspective d'emploi à la clef. On se retrouve ainsi dans un cercle vicieux. Au contraire, si on lance un grand plan pour investir dans la transition écologique, le besoin de travailleurs compétents créera un appel d'air pour la formation.

    Passer à 32 heures n'est-il pas risqué pour la compétitivité des entreprises françaises ?

    La semaine de quatre jours est expérimentée avec succès dans plus de 400 entreprises, comme Fleury-Michon ou Mamie Nova, qui ont toutes créé des emplois.

    Mais ne vaut-il pas mieux encourager le travail que le partager ?

    Peu ou prou, Emmanuel Macron reprend l'idée du "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy. En Allemagne, Angela Merkel répète au contraire qu'il faut "travailler moins pour licencier moins". Résultat : avec une récession deux fois plus grave, le chômage a augmenté six fois moins vite, avec seulement 200.000 chômeurs en plus, contre 1,2 million en France. Cela a coûté des millions à l'Etat, qui a garanti les salaires jusqu'à 98% dans les cas où le temps gagné par la diminution du temps de travail était employé à la formation, mais c'est toujours beaucoup moins d'argent que le chômage de masse dont souffre la France.

    En pratique, les 35 heures ont déjà été largement détricotées. Pourquoi en serait-il autrement avec les 32 heures ?

    Les 35 heures ont été détournées. Dans la première loi Aubry, les exonérations pour les entreprises étaient conditionnées par la baisse du temps de travail, ce qui n'était pas le cas dans la seconde. Il faudrait absolument maintenir cette condition.

    "Notre partage du travail est complètement stupide, binaire : soit on travaille trop, soit on ne travaille pas"

    Comment rendre l'idée de travailler moins audible alors que la "valeur travail" est érigée au rang de culte dans la majorité des formations politiques ?

    Du fait des gains de productivité, soit on baisse le temps de travail, soit on coupe dans les effectifs. La révolution de la productivité est un mouvement historique, tout le monde est d'accord là-dessus, et pourtant, travailler moins est un sujet tabou et ce n'est jamais le bon moment pour le faire à en croire les conservateurs. Lorsque nous sommes passés à la semaine de six jours, les conservateurs prétendaient que les ouvriers passeraient le septième à boire et ne seraient plus en état de travailler. Notre partage du travail est complètement stupide, binaire : soit on travaille trop, soit on ne travaille pas. Cela ne profite qu'aux actionnaires, qui peuvent toujours puiser dans l'armée de réserve des chômeurs pour remplacer des salariés qui seraient trop regardants sur leurs conditions de travail.

    Moins travailler ne se heurte-t-il pas à la notion de mérite, fondatrice de notre vision du travail ?

    Le travail est important, c'est pour cela qu'il est inadmissible que cinq millions de Français en soient privés. Travailler quatre jours au lieu de cinq ne changerait en rien l'attachement des Français à leur emploi. Cependant, le travail n'est pas l'alpha et l'oméga de l'existence. Il faut aussi se demander ce que l'on ferait de notre temps libre avec la semaine de quatre. Si c'est pour regarder du porno en buvant du coca, ça n'a pas d'intérêt, il faut réfléchir à l'accès à la culture ou au sport. Ça peut faire l'objet d'un très beau débat politique.

     

     

    « le RIC fonctionne très bien ailleurs... voici à quelles conditionsSamsung repousse le lancement de son smartphone pliable »