• Pourquoi les jeunes s’habillent-ils tous en noir ?

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    Gothic, hip hop, anars, black blocks, racailles… Tous ces styles ont un point commun : la prédominance du noir dans les codes vestimentaires adoptés par les jeunes.

    Observez les groupes de jeunes ados de 14 à 20 ans qui déambulent en bande dans nos rues. Un très grand nombre sont vêtus de façon uniforme : pantalon de jogging noir, parfois réhaussé d’un short noir rajouté par-dessus, baskets noires, T-shirt à manches longues et sweat à capuche noirs, casquette noire… Sans oublier l’accessoire indispensable pour les jeunes hommes qui revendiquent leur virilité : la barbe réglementaire arborée fièrement sur le visage, elle aussi noire.

    Au cours des deux décennies précédentes les jeunes adoptaient les codes vestimentaires de leurs idoles étalés dans les clips de hip hop ou de R&B : pantalons baggy, couleurs flashy, T-shirts amples, accessoires bling bling, marques de luxe (Gucci, Vuitton, Dolce & Gabbana, Calvin Klein…) Qu’est-ce qui les poussent aujourd’hui à adopter le look Noir c’est noir ?

    Sans doute le mimétisme avec des icônes de la rébellion violente qui leur servent de référence et de supplément d’âme : militants black blocks, musulmans salafistes, soldats de Daesh…

    Sans doute aussi une volonté symbolique de s’affirmer en décalage par rapport à la société, de se marginaliser ostensiblement par une apparence qui rompt avec les codes ambiants, et d’adopter un comportement frondeur de bande en marge de la société consumériste et conformiste à laquelle ils appartiennent pourtant.

    Cet attachement à la couleur noire n’est pas un phénomène nouveau. Les années 1950 et 1960 avaient leurs blousons noirs : les loubards, bercés de rock’n’roll rebelle. Et les jeunes néoromantiques de la décennie 1980 amateurs de l’esthétique désenchantée et macabre des groupes rock de cold wave comme The Cure, Bauhaus, Joy Division, Siouxie and the banshees, arboraient souvent un look de « corbeau » : longs vêtements et manteaux noirs faisant totalement disparaître le corps, maquillage cadavérique, coupe tarentule, bijoux et accessoires assortis, mimiques affectées… Une façon d’illustrer la désespérance d’une époque marquée par la crise, le chômage, le sida, la faillite des idéologies sociales et le désenchantement.

    Quarante ans plus tard, la jeunesse se veut plus lucide, plus radicale et plus frondeuse dans sa désaffection pour les canons du Zeitgeist. Les jeunes générations entendent bien profiter des avantages offerts par la société du numérique, mais sans rentrer dans le moule. Et ne cachent pas une certaine fascination pour les formes les plus radicales de contestation du modèle occidental : anarchistes d’ultra-gauche, terroristes djihadistes, ou au contraire identitaires de l’ultra-droite.

    Cette attitude n’a plus rien de commun avec la posture rebelle envers l’ordre établi, la société bourgeoise et l’establishment des générations précédentes, en particulier les bobos de la génération Woodstock. Les temps ont changé, l’époque est clairement plus sombre, s’affranchir des modèles et des mensonges de la société de consommation n’est plus un luxe d’enfants gâtés mais un devoir pour survivre dans la jungle urbaine et face aux périls multiples.

    Le noir c’est aussi la couleur préférée des truands : elle absorbe la lumière et les rend moins repérables en cas de fuite. Les truands ont toujours fasciné les sales gosses.

    Dans le même ordre d’idées, le noir est également la couleur des héros et des marginaux, anonymes et solitaires, dressés contre un ordre injuste : le chevalier noir, Zorro, Guy Fawkes le héros de V pour Vendetta

    Si l’on pousse plus loin le noir est aussi la couleur des personnages maléfiques : Belphégor, Dracula, les sorcières dans l’imaginaire médiéval, Voldemort dans la saga Harry Potter, ou Satan lui-même. Autant d’anti-héros qui fascinent les jeunes parce qu’ils renvoient à une inversion des valeurs très prisée par les ados.

    Dans la symbolique traditionnelle le noir représente une polarité froide, négative, associée aux ténèbres. Couleur thanatique par excellence, celle du mauvais augure, de la mort et du deuil, le noir symbolise aussi la renaissance, la fin d’un cycle. Inversion de la somme de toutes les couleurs, le noir est aussi la couleur de la substance universelle, de l’indifférenciation primordiale, de l’obscurité et du chaos originel, des instincts primitifs, de la cendre et de la matière en ignition.

    Il n’est donc pas étonnant que certains adolescents s’appliquent à renvoyer à ce monde dans lequel ils peinent à s’insérer l’image du chaos, de la violence et de la destruction.

    Pour finir, l’uniformisme du noir porté par les ados est moins le signe d’une revendication politique admonitoire même s’il emprunte parfois à des groupes militants comme les black blocks, que l’affirmation inconsciente d’une révolte hostile à un monde dont ils pastichent la noirceur et dénoncent la fausseté.

    Signe d’une mue, d’une transition vers l’âge adulte, et d’une aspiration à sortir des ténèbres pour aller la lumière, du mensonge à la vérité. Car bientôt ces ados rejoindront le système, s’intégreront et cesseront de fonctionner en bandes, ils fonderont une famille et auront à leur tour des enfants qui devenus ados rejoueront le scénario de la rébellion.

    A ce titre il faut souligner que la disparition des rites de passage, des rites d’initiation dans nos sociétés, poussent les adolescents à se retrouver entre eux, à fonctionner en tribus, et à s’inventer eux-mêmes des codes en opposition au monde des adultes, faute de modèles d’identification pour se construire et se reconnaître. Avec des modes de reconnaissance et d’inclusion à l’intérieur du groupe tout entiers fondés sur le mimétisme de la horde.

    Le noir est donc moins une affirmation symbolique, identitaire ou idéologique qu’une chrysalide qui protège et réunit les jeunes au sein d’une même matrice qui prépare et précède leur transformation. C’est l’œuvre au noir du Grand œuvre alchimique, le processus par lequel l’être accède à la connaissance de soi-même et à la maturité existentielle. Avant l’œuvre au blanc qui lui révélera sa nature divine.

     

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