Actif depuis bientôt vingt-cinq ans, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) vient de publier la septième édition de son rapport «Drogues et addictions, données essentielles». Il fournit un état des lieux des données observées sur la consommation de drogues sur les cinq dernières années en France.Drogues licites telles que le tabac ou l’alcool, mais aussi drogues illicites à l’image de la cocaïne et du cannabis, l’Observatoire passe en revue les évolutions de consommation des Français. Il constate notamment une baisse de la consommation de tabac et d’alcool, aussi bien chez les jeunes que chez les adultes. Sans surprise et sans nouveauté, le cannabis reste la drogue illicite la plus consommée en France. Le pays occupe la première place des Etats consommateurs en Europe et la sixième dans le monde.

L’augmentation de l’expérimentation du cannabis chez les adultes est passée de 33 % en 2010 à 45 % en 2017. Parmi eux, 11 % en ont pris dans l’année et 6 % au cours du dernier mois. Cette progression chez les adultes traduit ois s’explique par le vieillissement des générations ayant testé le cannabis dans sa période forte de diffusion autour des années 90.

Quant aux jeunes usagers, s’ils sont globalement moins nombreux à l’expérimenter, la part de ceux pour qui la fumette pose ­problème augmente. «Environ 25 % des ­jeunes usagers de cannabis dans l’année ont un usage problématique. Cela représente 60 000 personnes de 17 ans», constate le ­directeur de l’OFDT, Julien Morel d’Arleux. A 17 ans, ­quatre jeunes sur dix ont déjà testé le cannabis et 7,4 % d’entre eux présentent un risque élevé d’usage problématique.

«Pression»

«Outre les questions de décrochage scolaire, la consommation de cannabis à l’adolescence entraîne des effets pérennes sur la maturation du cerveau. Il faut donc adopter un vrai message de prévention», rappelle le directeur de l’OFDT. Le rapport appelle aussi à la vigilance sur la question de la concentration du cannabis en principe actif : il est aujourd’hui quatre fois plus dosé qu’il y a quinze ans.

Pour Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien et auteur de «Adolescents et cannabis, que faire ?», le ­cannabis représente «un ­important problème de santé chez les mineurs. Mais il faut bien comprendre que lorsqu’on continuera de penser qu’il n’y a que la pénalisation pour répondre à ce phénomène, le ­problème persistera». Depuis novembre 2018, fumer un joint peut désormais être puni d’une amende ­forfaitaire de 200 euros. Cette mesure défendue par la ­ministre de la Justice, Nicole Belloubet, entend répondre à l’augmentation constante du nombre de fumeurs de bédo.

Le ministère garde néanmoins la possibilité de poursuivre l’infraction devant le tribunal correctionnel. «Après les années “menace de prison”, nous avons eu les stages obligatoires et maintenant cette amende. C’est un moyen de se centrer sur le consommateur et de lui mettre la pression, tout en faisant croire qu’on continue de contrôler le trafic», observe Jean-Pierre Couteron.

Pourtant, la tolérance de l’opinion publique autour de cette drogue évolue. Sur la question de la régulation possible de cette substance sur le modèle de l’alcool ou du tabac, 61 % des personnes sondées se disent opposées à ce que le cannabis puisse être mis en vente libre, contre 77 % en 2013. Et une très large majorité des Français interrogés (91 %) pensent que le produit pourrait être utilisé dans un cadre médical. Au début du mois d’avril, le Premier ministre, Edouard Philippe, estimait qu’il serait «absurde» de s’interdire d’étudier les possibilités d’une légalisation thérapeutique. Un petit pas, très loin des légalisations en cours dans nombre d’Etats américains et au Canada.

Ecrans

Pour la cocaïne, une nouvelle ligne a été franchie. Acheminée via conteneur ou par voie aérienne en provenance des départements d’outre-mer, la poudre blanche s’étend de plus en plus sur le territoire national et atteint un record de consommation. Plus de 1,5 % des Français déclarent avoir ­consommé ce psychotrope stimulant dans l’année. En 2013, cet usage ne concernait que 1,1 % de la population. «Le prix a baissé et à l’inverse, la pureté du produit a augmenté», constate Julien Morel d’Arleux. De plus en plus disponible et bénéficiant «d’une image ­positive» selon le rapport.

En vingt ans, la part des 18-24 ans ayant expérimenté la cocaïne a été multipliée par quatre. Quelque 17 tonnes ont été saisies en 2017 sur le territoire. Petite innovation : la cocaïne ­s’affranchit désormais des ­places de deals et adopte le ­modèle de l’ubérisation. En décembre 2018, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies consacrait un rapport aux changements récents du marché de la coke, soulignant le recours de plus en plus fréquent aux stratégies de vente calquées sur celles d’Uber ou d’Amazon, telle que la livraison à domicile ou par voie postale. Pour William Lowenstein, président de SOS Addiction, «une fois que le marché américain a été saturé dans les années 90, il a fallu se tourner vers le marché européen. Pendant longtemps la France a été protégée mais ce n’est plus le cas maintenant. Il est nécessaire d’adopter une vision plus claire des conséquences de la cocaïne actuelle sur l’homme».

Dans cette somme, l’Observatoire alerte sur un autre phénomène émergeant, l’importance des conduites ­addictives liées aux écrans, particulièrement chez les jeunes. Tablette, smartphone ou ordinateur, les lycéens qui passent plus de quatre ­heures par jour sur les écrans sont ceux qui affichent le plus de résultats scolaires en dessous de la moyenne. Pour le directeur de l’OFDT, «les ­effets de cette exposition sont encore mal connus. Ce sont des changements de comportement marqués pour cette génération d’adolescents. Les jeux vidéo excessifs ont été ­relevés par l’OMS comme une conduite addictive en 2018. C’est une donnée majeure qui explique cette nouvelle entrée dans notre rapport». Très centrées autour du cannabis, les consultations jeunes consommateurs s’intéressent de plus en plus à ces nouvelles pratiques aux effets encore mal connus.

Charles Delouche