• Depuis début octobre, le ministre de l'Intérieur a lancé des opérations contre le trafic de drogue.
    Jean-Christophe Milhet / Hans Lucas

    Opérations "place nette" contre le trafic de stupéfiants : "Ce sera difficilement tenable à long terme"

    Opérations "place nette" contre le trafic de stupéfiants : "Ce sera difficilement tenable à long terme"

    Devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, Gérald Darmanin est venu défendre sa stratégie de « guerre psychologique » contre le narco banditisme centrée sur les opérations « place nette ». Pour Christophe Korell, ancien enquêteur de la Police Judiciaire, détaché au ministère de la Justice, qui travaille à un ouvrage sur la criminalité organisée en France, la lutte contre la drogue ne peut pas se contenter des seules actions de terrain mais passe aussi par des enquêtes au long cours.

    Marianne : Lors de son audition devant la commission d’enquête contre le trafic de drogue, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, pour défendre le bien-fondé des « opérations place nette » a semblé pointer du doigt la tentation pour les enquêteurs et les magistrats d’attendre d’avoir des enquêtes judiciaires « parfaites » pour agir, ce qui serait selon lui, la cause de « l’inefficacité publique ». Que vous inspire cette sortie ?

    Christophe Korell : Je n’interprète pas sa déclaration dans ce sens. Je pense qu’il note surtout qu'on ne peut pas juste se contenter de faire des opérations au long cours. Il cite cet exemple, lorsqu’il était élu local et qu’il demandait au commissaire d’agir sur un point de deal et qu'il ne se passait rien pendant plusieurs mois. Il y a un temps où il faut apporter des réponses aux habitants, aux problématiques d'ordre public.

    Pour résumer, il faut agir à tous les étages de la fusée. C'est-à-dire travailler au long cours, mais aussi désorganiser les trafics locaux, les points deal. C’est aussi un moyen de déranger les trafiquants, de les pousser à commettre des erreurs sous la pression. Des erreurs qui potentiellement aideront justement les enquêteurs qui travaillent sur des investigations plus longues et complexes. Il peut y avoir une forme de complémentarité.

    En multipliant les opérations « place nette », très gourmande en effectif, n'y a-t-il pas un risque de justement dépouiller les services d'enquête qui travaillent sur des dossiers plus complexes ?

    C’est une vraie bonne question. Je n'ai pas forcément la réponse, il est trop tôt pour tirer un constat clair mais c’est effectivement un risque. Ce sont les magistrats qui sauront nous dire, d'ici quelques mois, du fait du rendu de leurs dossiers, s'ils ont observé des différences, depuis la réforme, ou pas. Ce qui me gêne plus, ce sont ses réflexions sur les magistrats. Notamment lorsqu’il dit « ce sont les juges qui commandent les enquêtes ».

    Il donne l’impression que les enquêtes ne sont que du fait des magistrats, qu'à leur seule initiative. Les magistrats, qu'ils soient du siège ou du Parquet travaillent avec la matière qui vient des services d'enquête. Ce ne sont pas les magistrats qui lancent des enquêtes mais bien les policiers, par le biais d'informations qu'ils récupèrent, notamment de leurs sources. Donc les magistrats commandent les enquêtes, oui. Mais à partir de ce qui leur est donné par les enquêteurs.

    Sur cette question de l’équilibre entre opérations de voie publique et enquêtes au long cours, est-ce qu'on arrive véritablement à déstabiliser des réseaux par des opérations de voie publique ?

    À mon sens, c'est la combinaison des deux qui permet d’atteindre cet objectif. On raisonne peut-être un peu trop sous un prisme uniquement judiciaire, en se disant combien d'interpellations ? Combien de déférés ? Combien sont en prison et pour combien de temps ? La problématique de voie publique et d'ordre public est également essentielle.

    Les opérations place nette, comme le dit le ministre de l’Intérieur, ce sont aussi des opérations de coms, tout autant vis-à-vis des habitants des quartiers qui subissent le trafic de drogue que des opérations visant les petits dealers locaux qui se retrouvent dans une forme d’insécurité, avec la volonté de les faire déménager, qu'ils ne soient plus une crispation quotidienne pour les habitants. Quitte à ce que ces dealers utilisent des messageries cryptées comme Telegram pour se livrer à des livraisons en scooter ou en voiture.

    Après est-ce que c'est efficace ? C'est trop tôt en fait pour le dire. Il faudra faire le point dans un an ou deux ans pour en voir le résultat notamment sur le nombre de point de deal persistant. Après, si on parle d'efficacité, il y a aussi des choses à faire évoluer en interne. Il y a un élément qui m’a interpellé pendant l’audition lorsque le ministre explique que lors d’une réunion à Paris pour préparer l’opération place nette à Marseille, la direction de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) n'était pas au courant.

    Qu'est-ce que ça traduit en fait ? Que l'Ofast de Marseille n'a d'Ofast que le nom, parce que la direction nationale de l’office à Nanterre n'a pas la main sur les effectifs qui sont à Marseille… Les effectifs qui sont à Marseille ne rendent compte qu’à leur hiérarchie locale. C’est un vrai problème organisationnel.

    Est-ce qu’il sera vraiment possible, comme le promet le ministre de l’Intérieur, de tenir à effectif constant le rythme des opérations place nette sans grignoter sur la capacité d'investigation ? Il manque aujourd'hui environ 5 000 officiers de Police Judiciaire (OPJ) comme l’a rappelé Gérald Darmanin…

    Ça me paraît difficilement tenable sur le long terme. Chaque opération c'est évidemment du travail de terrain mais c'est aussi du travail d'investigation qui permet de ne pas taper au hasard.

    Et à côté des opérations place nette, il y a les autres priorités à honorer comme les affaires de violences intrafamiliales, les violences aux personnes, les cambriolages etc… Cette question des effectifs est encore pire si on se projette dans la perspective des JO. Il y a de vraies inquiétudes sur les capacités à assurer toutes les missions confiées à la Police. Et c'est sans parler des millions de procédures qui dorment dans les commissariats. A quel moment on écluse ces stocks ? Le sujet, c'est comment on arrive à intéresser des policiers aux métiers de l'investigation ?

    Qu'est-ce qu'on fait pour redonner de l'attrait, et attirer les meilleurs, leur donner envie de s'investi r? Et plus particulièrement dans les services qui traitent du financier ! Il y a des enjeux énormes. J'ai pu échanger avec certains magistrats, notamment en province, qui disent ne pas arriver à saisir des services spécialisés qui n'ont que trop peu de moyens pour faire face à la demande. C'est aussi un vrai sujet, que le ministre a éludé pendant la commission.

     

     


  • En début de soirée, les familles laissent peu à peu place aux bandes de jeunes.
    Lucas Planavergne - « Marianne »

    Bagarres, vols à l'arraché : à la foire du Trône, "bientôt y aura plus que les emmerdeurs"

     

    Bagarres, vols à l'arraché : à la foire du Trône, "bientôt y aura plus que les emmerdeurs"

    Ce samedi 6 avril, des incidents ont éclaté en marge de la célèbre fête foraine parisienne, ne manquant pas de faire réagir sur les réseaux sociaux. Sur place, les visiteurs restent vigilants... et les forains peinent à contenir leur colère.

    Soleil éclatant, jeux d'eau, odeurs sucrées de barbe à papa… À la foire du Trône, ce mercredi 10 avril, on se croirait en plein cœur de l'été. Vers 14 heures, la foule commence à affluer, les enfants gambadent à travers les allées, les rires se mélangent aux incessants bruits de machine.

    Ici, on tire à la carabine, on pêche les canards ou on tente de gagner une peluche. Là, on dégomme des plots au ballon de foot avec le tube marseillais Bande organisée en fond. L'ambiance est joviale, familiale. Rien à voir avec celle de samedi dernier, à en croire les nombreux incidents relatés sur les réseaux sociaux au cours du week-end.

     

     

    « Cette année, c'est du n'importe quoi. C'est une dinguerie, la famille ! Vols de churros à l'arraché, vols de pommes d'amour à l'arraché, où vous avez vu ça ? », a dénoncé un visiteur dans une séquence devenue virale. « Y a des mecs de Vitry qui m'ont encerclé [...] Vraiment la Foire du trône, c'est fini pour moi », a également réagi Willy à La Prod, influenceur aux millions d'abonnés sur TikTok pris à partie par une bande de jeunes alors qu'il tournait une vidéo.

    Mauvaise pub

    Sur place, certains forains refusent de mettre des mots sur ces débordements, sans doute par crainte de nuire à la réputation de la foire. « N'écrivez rien, j'veux pas parler, ça m'intéresse pas », nous remballe ainsi un gérant de manège, laconique. « Moi, je ne sais rien », balbutie une vendeuse de gaufres, juste à côté. Et de finir par confier, entre deux bouffées de cigarette : « Enfin si, j'ai vu des flics et des Noirs courir à droite et à gauche… C'est tout ! »

    Un peu plus loin, Victor (dont le prénom a été modifié) ne cache pas sa colère. « Ce genre d'embrouilles, ce n’est pas nouveau, mais on voit de plus en plus de conneries et de violence. Rien que ce samedi, c'était quatre ou cinq bagarres. Déjà qu'on est pas gâtés par la météo cette année, ça nous aide pas », regrette le jeune homme, qui s'occupe du stand de ses parents en leur absence. Avant de dresser un triste constat : « Je viens ici depuis tout petit et c'est de pire en pire. À cause de cette mauvaise pub, bientôt y aura plus que les emmerdeurs ! »

    Côté sécurité, les lieux semblent pourtant bien gardés. En plus des policiers municipaux qui patrouillent à l'intérieur, à chaque entrée de la fête foraine, plusieurs vigiles contrôlent les sacs et procèdent à des fouilles corporelles sur les arrivants. Devant la porte principale, ils sont près d'une dizaine aux aguets, gilet jaune sur le dos, talkie-walkie à la main.

    « C'est vrai que samedi, on ne s'y attendait pas vraiment. Si j'ai bien compris, ça a dégénéré entre des jeunes à cause d'un TikTok », glisse l'un d'entre eux, évoquant « le rôle des réseaux sociaux » dans ce genre d'incidents. « Mais globalement, ça va. Y a pas tant de tensions non plus », tempère son collègue, moins bavard. Interrogées sur les éventuelles mesures mises en place pour endiguer le phénomène, ni la préfecture de police de Paris ni la mairie écologiste du 12e arrondissement de la capitale ni la députée EELV de la circonscription Éva Sas n'ont donné suite.

    « On doit faire attention à nos affaires »

    S'ils ne sont pas encore dégoûtés de la foire du Trône, les passants gardent tout de même ces altercations dans un coin de leur tête. « Mon mari m'a montré les vidéos. C'est à cause de ce genre de trucs que je n'étais pas venue depuis au moins quinze ans », avoue Marie, trentenaire résidant dans le Val-de-Marne. « Mais bon, là c'est les vacances, il fait beau… Je n'exhibe pas trop mon iPhone et j'ai demandé à une amie de m'accompagner pour m'aider à garder l'œil sur les petites. Faut bien leur faire plaisir », poursuit la mère de famille, pointant ses deux fillettes, Victoire et Fienna.

    Les plus jeunes visiteurs ne sont pas non plus passés à côté des événements de samedi. « Bien sûr, je les ai vus sur les réseaux. De toute façon, déjà avant ça, on me disait que c'est craignos ici, que je devais faire attention à mes affaires », développe Sylvain, venu avec ses amis. Ketsia, elle, était même présente lors des débordements du week-end. « Dès qu'on a vu que ça commençait à se bagarrer, on est parties », assure la lycéenne, habituée de la fête foraine parisienne. « Y avait aussi trop de monde. Et souvent, c'est le soir que ça part en sucette », embraye sa copine Jade.