Les start-up et les investisseurs qui ont fait décoller rapidement les espoirs de « voitures volantes » pourraient connaître un atterrissage difficile, et pas seulement au sens figuré.
Des centaines d’entreprises - jeunes start-up ou actrices historiques du secteur de l’aviation - travaillent sur ces véhicules, également appelés taxis aériens ou eVTOL (acronyme pour « electric vertical take off and landing »). Cinq de ces entreprises sont entrées en Bourse au cours des douze derniers mois. Elles tentent de façonner un futur proche dans lequel prendre un taxi volant constituera une solution de remplacement économiquement viable à un taxi terrestre.
La principale pierre d’achoppement à cette vision de science-fiction est cependant plutôt terre à terre : les constructeurs de voitures volantes n’ont pas encore trouvé comment localiser, obtenir des autorisations et construire suffisamment d’emplacements pour que leurs véhicules puissent décoller et atterrir, préalable opérationnel à la recherche d’un modèle économique pour la fabrication et l’exploitation de taxis aériens.
Ce problème pourrait avoir d'énormes implications pour l’industrie naissante des voitures volantes et pour l’espoir de pouvoir bientôt aller au travail par la voie des airs. Les pionniers de cette industrie, tels que Joby Aviation, Lilium, Wisk, Airbus et Archer Aviation, se sont concentrés sur les défis de concevoir et de construire des voitures volantes qui fonctionnent, et de faire certifier leur sécurité par la Federal Aviation Administration (FAA, le régulateur américain de l’aviation). Ces défis sont considérables. Sans parler du coût de la conception d’un prototype de voiture volante, le processus de soumission de ces modèles à la FAA, les tests pour vérifier qu’ils répondent aux spécifications de l’agence (et leur révision) peut prendre des années et coûter jusqu'à un milliard de dollars à lui seul, selon les analystes.
Chaque endroit où un véhicule à décollage et atterrissage vertical est susceptible de se poser doit être relativement exempt de structures environnantes - et ce, non seulement aujourd’hui, mais indéfiniment
Jusqu’ici, la plupart des premiers investisseurs dans ces entreprises se sont comportés comme si la résolution de ces défis représentait 90 % du travail nécessaire pour rendre les voitures volantes commercialement viables, explique Todd Petersen, consultant chez Lacuna Technologies. Domiciliée à Palo Alto, en Californie, cette société crée des logiciels pour les villes afin de les aider à gérer leurs réseaux de transport.
Mais cela ne tient pas compte de toutes les autres questions qui se poseront une fois que les véhicules seront prêts à voler : où ils atterriront et décolleront ; comment ils seront intégrés aux systèmes de contrôle du trafic aérien existants ; et si le public acceptera qu’un grand nombre d’avions d’un nouveau type - et relativement grands - survolent leurs maisons. Selon M. Petersen, la mise au point de toute cette réglementation et de cette infrastructure au sol représente les « seconds 90 % » du problème du déploiement des voitures volantes.
Mihir Rimjha est consultant senior en aviation chez HMMH, une société qui aide les gouvernements et les entreprises à planifier les transports. Il a étudié en profondeur ce qu’on appelle les « vertiports » - équivalents des héliports, mais pour les eVTOL - dans le cadre d’un travail commandé par la Nasa. Selon lui, la mise en place de réseaux de vertiports sur les toits des villes américaines, sur les immeubles et les parkings, est un élément essentiel pour permettre à des services de taxis volants et même à des voitures volantes privées de devenir un moyen de transport viable. Or, selon lui, les entreprises n’ont pas été réalistes quant aux obstacles à surmonter.
Pour commencer, il y a la difficulté de trouver suffisamment de sites de vertiports adéquats dans les grandes villes américaines. Citons juste quelques-uns des facteurs qui influent sur cette équation : le bruit; le manque d’espace aérien qui n’est pas déjà préempté par les aéroports dans des villes comme New York; et la nécessité de mettre à niveau les structures existantes afin qu’elles soient suffisamment solides pour accueillir les véhicules volants et qu’elle puisse leur fournir les énormes quantités d'électricité dont ils auront besoin pour se recharger.
Cela mis de côté, chaque endroit où un véhicule à décollage et atterrissage vertical est susceptible de se poser doit être relativement exempt de structures environnantes - et ce, non seulement aujourd’hui, mais indéfiniment, selon M. Petersen. Cette nécessité est énoncée dans les règles de la FAA relatives aux aires d’atterrissage pour hélicoptères, qui, selon la plupart des acteurs du secteur, serviront de modèle à celles qui régiront les vertiports. Concrètement, pour obtenir l’autorisation de la FAA d’aménager une aire d’atterrissage pour une voiture volante, il faut donc déterminer toutes les « trajectoires de descente » qu’un tel véhicule peut emprunter à l’approche d’un point d’atterrissage, en cas de défaillance mécanique.
La préservation de ces trajectoires de descente pourrait signifier, par exemple, que les propriétaires de terrains adjacents aux vertiports ne seraient jamais autorisés à construire quelque chose de plus haut que le vertiport - un point particulièrement délicat et pouvant potentiellement donner lieu à controverse si les villes doivent accueillir de nombreux vertiports.
L’histoire de la ville de New York avec les héliports peut s’avérer instructive. Obtenir l’autorisation de la FAA pour une aire d’atterrissage privée est difficile, et les habitants s’y opposent généralement, comme ils l’ont fait avec celle accordée à Amazon lors de sa tentative de construction d’un siège à Long Island City. Un accident sur le toit du bâtiment de la Pan Am en 1977, qui a tué cinq personnes, a eu un effet dissuasif pour la construction d’héliports sur les toits de la ville.
« Sans l’infrastructure appropriée, les investissements dans les eVTOL sont menacés »
Joby et Archer, qui sont toutes les deux entrées en Bourse l’année dernière, ont déclaré qu’elles cherchaient à obtenir l’accès à des vertiports en s’associant avec la société Reef Technologies, financé par Softbank, qui gère des parcs de stationnement et des parkings à plusieurs niveaux aux Etats-Unis. Joby a annoncé l’année dernière que cette collaboration lui donnerait accès à « une gamme inégalée d’emplacements sur les toits dans toutes les principales régions métropolitaines des Etats-Unis, ainsi qu’un mécanisme pour financer l’acquisition et le développement de nouveaux sites de vertiports. »
Une porte-parole de Joby a indiqué que la société « se concentrait au départ sur les infrastructures aéronautiques existantes et les actifs convertibles », tels que les parkings susmentionnés.
Archer a refusé de commenter ses projets de vertiports.
Erick Corona, responsable du développement des produits chez Wisk, indique que sa société pense pouvoir vendre plus que suffisamment de ses véhicules autonomes aux utilisateurs d’héliports et d’infrastructures aéroportuaires existants pour créer une activité viable. A terme, les développeurs de vertiports comme SkyPorts, un partenaire de Wisk, seront en mesure de créer des vertiports là où il y a une demande.
Dans un avenir plus lointain, les voitures volantes pourraient avoir leurs propres autoroutes dans le ciel, ajoute-t-il.
Jeremy Ford, responsable de la stratégie immobilière chez Reef, indique que de nombreuses villes américaines disposent déjà d’héliports, mais que sa société et les entreprises de voitures volantes n’en sont qu’au tout début du process pour déterminer comment les vertiports seront effectivement construits et où ils seront situés.
Ricky Sandhu est aux avant-postes pour tenter de résoudre le problème des vertiports. Il estime que les analyses sceptiques sur ce qui attend l’industrie des voitures volantes sont « absolument justes et complètement dans le mille ».
L’homme est fondateur et directeur général d’Urban-Air Port, qui a récemment ouvert ce qu’il présente comme étant le premier vertiport urbain opérationnel au monde. Baptisé Air One, il est situé dans un parking près d’une gare à Coventry, en Angleterre. M. Sandhu est un architecte qui a dirigé des équipes de conception sur de grands projets d’infrastructures. En 2017, alors qu’il était consultant pour Airbus sur ses projets de voitures volantes, il a eu un moment d’illumination. Pour que ce nouveau mode de transport décolle vraiment, quelqu’un devait travailler avec les propriétaires fonciers et immobiliers, les contrôleurs aériens locaux, les gouvernements nationaux et les services d’urbanisme municipaux pour donner aux véhicules des endroits où toucher le sol.