• « Pour les océans, l’urgence est de passer à l’action ! »

    « Pour les océans, l’urgence est de passer à l’action ! »

    Dans le cadre de Futurapolis Planète, organisé par « Le Point » du 30 novembre au 2 décembre, Cyrille P. Coutansais, spécialiste de la stratégie marine, pointe les défis du développement.

    Propos recueillis par Clémence de Ligny

     

    Des pêcheurs ghanéens pris dans une mer de plastique et de déchets de la « fast fashion », à Accra, en octobre 2021.

     

    Des pêcheurs ghanéens pris dans une mer de plastique et de déchets de la « fast fashion », à Accra, en octobre 2021.© Muntaka Chasant/Shutterstock/SIPA

    Pollution, dégradation de la biodiversité, changement climatique… La mer est en péril. Tout le monde le sait. Les décideurs aussi. Mais comment les pays de la planète entière peuvent-ils travailler ensemble, alors que les tensions géopolitiques et les enjeux économiques sont si forts ?
    C'est tout cela, et plus encore, dont il est question dans La Mer. Une infographie (éditions du CNRS), de Cyrille P. Coutansais, directeur de recherches au Centre d'études stratégiques de la marine (CESM) et rédacteur en chef de la revue Études marines, et Guillemette Crozet, infographiste. « La mer est un miroir qui ne sait pas mentir », a dit l'écrivain algérien Yasmina Khadra. Il est temps d'y plonger notre regard.

    Cyrille P. Coutansais : Pour moi, la question de la biodiversité est centrale. Nous sommes nés des océans il y a plusieurs milliards d'années, sous la forme d'organismes unicellulaires. Aujourd'hui, on ne connaît presque rien de la biodiversité des océans, et ces premières traces de vie existent peut-être encore. L'être humain, en exploitant les océans toujours plus profondément et intensément, est peut-être en train de les faire disparaître avant même de les connaître. Ça me donne le vertige !

    Les deux plus grands défis de notre temps concernant les océans sont géopolitiques et environnementaux, écrivez-vous…

    Il y en a même trois. Le défi climatique, le défi géopolitique – avec des relations tendues et fracturées entre certains États, à un moment où nous devrions résoudre des problèmes ensemble – et le défi du développement, qu'on ne perçoit pas forcément dans nos pays développés, mais qui est central. À titre d'exemple, vu de l'espace, il y a moins de lumières la nuit sur l'ensemble de l'Afrique subsaharienne que dans toute la Belgique. Ce défi de développement, qui est légitime, est une autre donnée à prendre en compte lorsqu'il s'agit de lutter contre le changement climatique : il n'est en effet pas question de renoncer au développement de ces pays, mais il est urgent de réfléchir à un développement durable.

    Concernant le défi géopolitique, vous évoquez la course à l'armement sur les mers…

    Effectivement. On ne le voyait pas forcément en Europe, car nous étions en train de profiter des dividendes de la paix, mais, depuis une vingtaine d'années, on assiste à une course à l'armement naval pour deux raisons. D'une part, avec la mondialisation, certains pays sont de plus en plus dépendants de la mer pour leur approvisionnement et développent une marine pour protéger leurs flux maritimes. D'autre part, certains États constituent une marine militaire pour peser sur la scène internationale et s'approprier des territoires, comme c'est le cas de la Chine en mer de Chine méridionale.

     

     

    Le premier Traité international sur la haute mer a été signé le 19 juin. Que peut-on en attendre ?

    Ce traité est essentiel sur un point : la création d'aires marines protégées en haute mer. Le transport maritime, le réchauffement des océans, le plastique, le bruit… L'effet cumulé de multiples impacts fragilise la biodiversité. Or cette biodiversité marine a une capacité de résilience extraordinaire. Le simple fait de limiter la pêche pendant un temps suffit à aider les espèces à reprendre leur souffle. On l'a vu en Australie, où des aires protégées intégrales, sans aucune activité humaine, ont été mises en place. Au départ, les pêcheurs y étaient opposés, mais, très vite, ils se sont aperçus que c'était un gain pour eux aussi, car il y avait par la suite plus de poissons.

    Y a-t-il un espoir que ce texte soit respecté ?

    Les raisons du succès de ce traité tiennent au fait que les États ont réussi à réaliser que certains sujets vont au-delà des divergences et concernent l'humanité entière. Ce sera toujours compliqué, mais on peut garder espoir. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, par exemple, est une des conventions internationales les plus ratifiées, car chaque pays y a trouvé son compte. Reste la question du temps. Ce traité a été adopté après vingt ans de négociations. C'est une étape importante, mais l'urgence aujourd'hui est de passer à l'action et de déployer des solutions technologiques pour décarboner les économies. On doit pouvoir proposer, notamment aux pays en développement, des solutions durables. L'enjeu est donc financier et technologique.

    La France est, après les États-Unis, à la tête du deuxième espace maritime au monde en termes de zones exclusives économiques. Quel rôle joue-t-elle dans la protection des océans ?

    La France est même depuis janvier 2021 le premier espace maritime, si l'on prend en compte les programmes d'extension des plateaux continentaux. Elle a donc un rôle à jouer, et elle le joue. Dès le début, elle a été l'un des pays les plus engagés dans le Traité sur la haute mer, notamment dans les négociations sur le processus Biodiversity Beyond National Jurisdiction. Elle joue aussi un rôle sur la question des ressources minérales marines, comme les nodules polymétalliques, dont l'exploitation repose sur les grands fonds marins au milieu d'une flore encore peu connue. La France défend fermement un moratoire, voire une interdiction de l'exploitation de ces ressources. Une position pour le moment solitaire, mais vers laquelle elle s'efforce d'attirer d'autres nations.

    Futurapolis Planète, du 30 novembre au 2 décembre 2023, au Quai des savoirs de Toulouse.

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