• Royaume-Uni : sur l'immigration, le nouveau gouvernement travailliste veut marcher dans les pas de Rishi Sunak

    Manifestation de groupes d'extrême droite à Weymouth le 4 août.
    MUHAMMED YAYLALI/Anadolu

    Royaume-Uni : sur l'immigration, le nouveau gouvernement travailliste veut marcher dans les pas de Rishi Sunak

    Bonnet blanc, blanc bonnet

    Par Juliette Démas
     
    Manifestation de groupes d'extrême droite à Weymouth le 4 août.

    Si Keir Starmer est immédiatement revenu sur certaines des politiques les plus dures de ses prédécesseurs, dans les faits, le nouveau Premier ministre se veut d'une grande fermeté sur le sujet. Les récentes manifestations anti-migrants qui ont secoué la Grande-Bretagne le poussent aussi dans ce sens.

     

    Le vendredi 5 juillet, après une nuit blanche de décompte des voix et alors qu’il n’avait pas fini de former son gouvernement, le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer s’empressait d’enterrer l’un des projets les plus controversés de ses prédécesseurs : le programme d’envoi des demandeurs d’asile au Rwanda. Supposé dissuader les traversées de la Manche en petites embarcations, ce programme était devenu le cheval de bataille des Conservateurs, malgré les revers judiciaires et les critiques des associations de protection des droits humains. Les premiers vols devaient partir « début juillet », et nul ne saura s’ils auraient pu être évités.

    Dans la foulée, il est aussi annoncé que le contrat de Bibby Stockholm, une barge amarrée sur la côte sud-ouest de l’Angleterre dans laquelle ont été logés des demandeurs d’asile, ne serait pas renouvelé. L’arrivée de la barge avait soulevé de nombreuses protestations, jusqu’à Londres où des manifestants avaient bloqué le car envoyé pour acheminer les demandeurs d’asile. Évacuée une première fois en raison de la présence de traces de légionelles, l’embarcation est aussi liée au suicide d’une personne à bord.Ces deux nouvelles, malgré une certaine retenue dans la communication, montrent le désir du nouveau Premier ministre travailliste de mettre ses pas dans ceux du gouvernement de Rishi Sunak. Dans les deux dernières années, l’ancienne ministre de l’Intérieur Suella Braverman du leader Tory n’avait pas hésité à parler « d’invasion », et son ministre de l’Immigration, Robert Jenrick, avait ordonné de faire repeindre une fresque de cartoons dans un centre d’accueil recevant des enfants afin de ne pas donner une impression trop « accueillante ». Sunak lui-même avait repris le slogan australien « Stop the Boats », et promis de faire cesser les traversées de la Manche coûte que coûte. Les résultats ne sont pas au rendez-vous : ces traversées dépassent tous les records des années précédentes : plus de 18 000 arrivées entre janvier et août 2024.Rapidement propulsé dans l’arène politique européenne avec l’organisation du sommet de la Communauté politique européenne près d’Oxford en juillet, Keir Starmer se décrit lui comme « un pragmatiste ». S’il n’est « pas opposé » à l’idée d’externaliser le traitement des demandes d’asile, il n’a pas pour priorité de signer des accords de retour avec l’Union européenne. Ceux-ci sont nécessaires depuis le Brexit, car le Royaume-Uni n’applique plus le règlement dit « de Dublin », qui permet de déterminer quel pays membre est responsable d’une demande d’asile, et d’effectuer des transferts entre les pays.

    Starmer prévoit plutôt de collaborer étroitement avec Europol notamment, affirme-t-il, afin de « détruire les gangs » qui facilitent le trafic dans la Manche. Le tout en résorbant les délais qui paralysent le système d’immigration. La rhétorique est certes différente de celle de son prédécesseur, mais dans la pratique, la ligne est quasiment la même : les Conservateurs avaient déjà renforcé la lutte contre les gangs, notamment grâce à la signature d’un partenariat avec la France.

    Les derniers chiffres de l’immigration, publiés par le ministère de l’Intérieur le 22 août, montrent que le temps d’attente pour une demande d’asile commence déjà à se résorber : près de 119 000 personnes patientent pour recevoir une première décision, soit un tiers de moins que l’année précédente, et le nombre de personnes qui attend plus de six mois a presque été divisé par deux. Mais à cet égard, le gouvernement Starmer récolte les fruits des politiques de Rishi Sunak.

    Dans une période où le Royaume-Uni a été secoué par des émeutes anti-immigration historiques, les premières mesures du gouvernement Starmer se veulent donc particulièrement fermes. Ainsi, la ministre de l’Intérieur Yvette Cooper a-t-elle prévu de renforcer le taux d’expulsion de demandeurs d’asile dont les dossiers ont été refusés, pour atteindre 14 500 départs dans les six prochains mois – ce qui n’a pas été fait depuis 2018, sous Theresa May. Elle s’apprête aussi à recruter une centaine d’agents de renseignement pour s’attaquer aux organisations de passeurs, et d’agrandir deux centres d’expulsions. La réouverture de ceux-ci sous les Tories avait pourtant été critiquée par les députés Labour, qui l’avaient qualifiée « d’inhumaine ». Enfin, une nouvelle organisation, la Border Security Command, réunira différents experts et sera chargée de chapeauter la lutte contre les gangs.Le tout se fera dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme, que certains à la droite du parti Conservateur menaçaient de quitter depuis le Brexit, et dans laquelle Keir Starmer a promis de rester. Toutes ces annonces, qui restent encore à préciser, ne résolvent pourtant pas le cœur du problème : au Royaume-Uni, il est nécessaire d’être présent sur le territoire pour déposer une demande d’asile, et les voies légales pour entrer dans le pays manquent. Si des progrès sont entrevus sur la mobilité des jeunes européens, pour les autres, le nouveau gouvernement n’a pour l’instant rien prévu.

    « « Pas de plan B »Jupiter par terre »