• Retour des frontières en Allemagne : tout comprendre en 3 questions sur la situation politique et migratoire

    Des policiers allemands rassemblés à la frontière entre l'Allemagne et la France, à Kehl, le lundi 16 septembre 2024. L'Allemagne impose désormais des contrôles pour faire reculer l'immigration irrégulière.

    Des policiers allemands rassemblés à la frontière entre l'Allemagne et la France, à Kehl, le lundi 16 septembre 2024. L'Allemagne impose désormais des contrôles pour faire reculer l'immigration irrégulière.
    Michael Probst/AP/SIPA

    Retour des frontières en Allemagne : tout comprendre en 3 questions sur la situation politique et migratoire

    Réveil brutal

    Par Rachel Binhas
     
     

    Pour lutter contre l’immigration irrégulière, l’Allemagne a pris une décision forte : rétablir les contrôles aux frontières. Un changement de politique pour la coalition gouvernementale. Analyse.

     

    L’annonce a fait parler au-delà des frontières allemandes. Le gouvernement d'Olaf Scholz a décidé, depuis lundi et pour une durée d’au moins six mois, de contrôler toutes ses frontières et refouler les migrants en situation illégale. Un tour de vis qui s’inscrit dans un contexte politique tendu, alors que le succès du parti d'extrême droite AfD (Alternative für Deutschland) a marqué les dernières élections. Ces dernières semaines, plusieurs attentats islamistes commis par des étrangers ont secoué le pays.

     Berlin explique ce revirement de politique : il s’agirait d’assurer « la protection de la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière ». De quoi inspirer une partie de la droite française. Ce mardi 17 septembre, le maire de Nice Christian Estrosi a appelé le futur gouvernement à prendre en France la même mesure pour faire « face à la pression migratoire qui pèse sur nos frontières de Menton et du Montgenèvre. »

    Que se passe-t-il en Allemagne ?

    Le revirement de l’Allemagne n’est que le dernier en date des effets des poussées migratoires en Europe. Mais il est particulièrement symbolique. En effet, depuis le début du siècle, l’Europe est confrontée à de fortes arrivées d’immigrants. En 2015, l’Union européenne aura accueilli plus d’immigrés en pourcentage de sa population que les États-Unis. Cela est particulièrement vrai pour l’Allemagne au moment de l’arrivée massive de Syriens qui avait amené Angéla Merkel à unilatéralement remettre en cause les mécanismes du traité de Schengen et à ouvrir les portes de l’Union. Le mot d’ordre à l’époque : « nous y arriverons » (« Wir schaffen das »). C’est aujourd’hui encore l’Allemagne qui décide, toujours seule, de suspendre, au moins pour 6 mois, le principe de libre circulation au sein de l'Europe. Une possibilité que le traité de Schengen permet, et que la France avait elle-même mis en œuvre après la vague d’attentat de 2015-2016.

    En quoi est-ce un bouleversement ?

    Force est de constater que c’est la coalition de gauche, comprenant des socialistes, des écologistes et des libéraux qui a décidé cette fermeture. C’est la même coalition qui a décidé de mettre en place une politique d’immigration choisie. Ne sont désirées que les personnes pouvant être utiles à son économie et donc à ses besoins de main-d’œuvre. Plus disruptif, la coalition de gauche a renoué avec une pratique qui avait court avant la prise de Kaboul par les Talibans, l’expulsion dans le cadre de vols dédiés, des « charter », d’Afghans sortants de prison, vers… l’Afghanistan des Talibans. Aucun autre pays de l’Union ne l’avait jusqu’à présent envisagé. Or, il faut se souvenir qu’en 1998, ce sont ces mêmes socialistes et écologistes accédant au pouvoir qui avaient infléchi la politique allemande d’accueil et d’ouverture à la nationalité, se rapprochant ainsi de la France.

    Quelle est la situation en France et en Europe ?

    Cette évolution de la gauche allemande ne peut s’expliquer uniquement comme une réponse à la poussée électorale de l’extrême-droite de l’AFD ou de l’extrême-gauche anti-immigration de Sarah Wagenknecht. Elle s’inscrit dans un contexte d’évolution des gauches européennes sur les sujets migratoires, à l’exception, pour l’instant notable, de la France. La gauche danoise au pouvoir en avait donné l’exemple. La social-démocratie suédoise aussi. Confronté aux fortes arrivées de subsahariens aux Canaries en particulier, le Premier ministre socialiste espagnol s’est rendu récemment dans les principaux pays africains pourvoyeurs d’immigrés clandestins afin de conclure des accords visant à limiter les flux. Et lundi 16 septembre, le Premier ministre britannique travailliste Keir Starmer, après avoir dès son arrivée au pouvoir organisé des charters pour le renvoi de clandestins vers le Vietnam ou Timor, s’est rendu à Rome pour rencontrer son homologue Giorgia Meloni afin d'échanger sur sa méthode qui lui a permis de réduire de 65 % les arrivées maritimes d’immigrants, et de diviser par 4 les arrivées de mineurs non accompagnés.

    Car l’Europe est aujourd’hui une des zones du monde qui accueille le plus d’immigrés. Au sein de l’Union, 13 % de la population est immigrée, avec des différences notables selon les pays. C’est d’abord au sein de l’Europe de l’Ouest qu’arrivent des immigrés, soit pour des motifs familiaux, de travail ou d’étude. La proportion d’immigrés en Asie ou en Amérique latine ne dépasse pas 3 % du total de la population. Le Royaume-Uni a, ces dernières années, ouvert ses portes à plus de 500 000 migrants tous les ans, et même 700 000 en 2022. D’où ce qui apparait inacceptable aux yeux des Britanniques avec l’arrivée en plus de 30 à 40 000 migrants à travers la Manche.En France, ce que l’on nomme le stock de titres de séjour valides, c’est-à-dire le nombre de personnes ayant un droit au séjour, a été doublé depuis 2017, passant de 2 à 4 millions de titres de séjour. Le nombre d’Algériens ou Marocains obtenant tous les ans le droit de s’installer durablement en France augmente de 30 000 personnes en moyenne pour chaque nationalité. Dans le même temps, ce sont 200 à 300 000 visas qui sont accordés pour venir en France. Problème : en contrepartie, la France a dû mal à renvoyer les milliers de personnes en situation irrégulière venant de ces pays du fait de la non-coopération ou la faible coopération des autorités de ces pays. De quoi crisper un peu plus les débats autour du contrôle des frontières en France.

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