• Vidéo. « L’effet JO ? Quelle hypocrisie » : pour les handicapés en ville, partout des bâtons dans les roues

    Vidéo. « L’effet JO ? Quelle hypocrisie » : pour les handicapés en ville, partout des bâtons dans les roues

     

    Vidéo. « L’effet JO ? Quelle hypocrisie » : pour les handicapés en ville, partout des bâtons dans les roues

    Marie-France, Angélique et Aïko, place Jean Moulin dans le centre-ville de Bordeaux, les pavés descellés sont dangereux pour les personnes en fauteuil roulant. © Crédit photo : GUILLAUME BONNAUD/SO

     

    Angélique, Marie-France et Aïko sont en situation de handicap. Ils ne sortent jamais de chez eux sans leur fauteuil électrique. Les Jeux paralympiques n’ont pas focalisé leur intérêt, tant leur quotidien est jonché d’épreuves et de sauts d’obstacles. Même pour aller acheter le pain

    Angélique et Marie-France dans une rue pavée de Bordeaux, pas particulièrement accessible aux personnes handicapées.Angélique et Marie-France dans une rue pavée de Bordeaux, pas particulièrement accessible aux personnes handicapées.
    GUILLAUME BONNAUD/SO

    Aïko, 36 ans, roule dans une rue pavée de Bordeaux. Son fauteuil tressaute, ses roues s’affolent, sa voix vibrionne. En plus, il pleut, le fauteuil menace de faire une embardée. Juste derrière, Marie-France, 72 ans, serre fort les poignées de son fauteuil électrique. « Vous connaissez le syndrome des bébés secoués ? Il se passe exactement la même chose avec notre cerveau quand on roule sur les pavés de Bordeaux ! » Angélique vient de piquer une grosse colère, elle a essayé d’entrer dans le bureau d’une mutuelle de santé, avec son fauteuil roulant. Sans jamais y parvenir. « Ah ben oui, ils ont un petit plan incliné à l’entrée, mais la porte ouvre du mauvais côté, ça ne sert à rien. En plus, mes roues glissent sur le plan, qui visiblement est hors norme. Voilà à quoi on se heurte, toute la journée, des intentions, de l’à-peu-près, ou rien du tout. Pourtant, il faut bien que l’on vive… ».

     

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    Marie-France et Angélique dans le centre-ville de Bordeaux (rue du Loup), où les trottoirs sont envahis de vélos, poubelles, cartons. Ici, elles sont suivies par une voitureMarie-France et Angélique dans le centre-ville de Bordeaux (rue du Loup), où les trottoirs sont envahis de vélos, poubelles, cartons. Ici, elles sont suivies par une voiture

    GUILLAUME BONNAUD/SO

    Dans le bureau de la mutuelle, en plein centre de Bordeaux, personne n’a bougé. La colère d’Angélique les a sans doute tous tétanisés. Elle a 27 ans, est handicapée moteur depuis la naissance, a passé son permis de conduire, étudie pour devenir assistante sociale. Angélique, en plus de sa paralysie partielle, souffre de troubles de l’orientation et de quelques problèmes cognitifs. Au jour le jour, ces handicaps la contraignent à organiser en amont tous ses déplacements, la moindre de ses actions. Forcément, dans un monde organisé pour les gens debout, elle se cogne tout le temps. « Je n’ai pour l’instant pas les moyens de financer les équipements de ma future automobile (1), je prends les transports en commun, enrage-t-elle. Et il y a toujours un os. Au mois de juillet, je suis restée plantée en pleine canicule, trois quarts d’heure à un arrêt de bus. Tous ceux qui s’arrêtaient étaient en panne de rampe. Dans le tram, la place prévue pour les handicapés, est souvent prise par les vélos ou les poussettes. On se pose où on peut, on gêne tout le monde… ».

    La galère en ville…La galère en ville…

    GUILLAUME BONNAUD/SO

    Certains quartiers « interdits »

    Aïko, quelques tatouages et autant de piercings, a été diagnostiqué à l’âge de 27 ans. Sclérose en plaques. « Ne vous inquiétez pas, vous êtes jeune, ça évolue lentement », lui ont dit les neurologues. Il s’en souvient bien. La science n’étant pas exacte, il a dû se résigner au fauteuil électrique, à 30 ans seulement. « Je l’ai voulu léger, pliable, adaptable. Dans mon malheur, j’ai un peu de chance, je travaille sur le web, assis. » Aïko, Marie-France, qui fût infirmière, avant de contracter une maladie génétique qui l’a immobilisée, et Angélique, ont dépassé le stade de l’auto-apitoiement pour se reconnaître autour d’une même émotion : ils enragent. « Vous savez que la loi oblige les lieux qui accueillent du public à être accessibles aux handicapés ?, questionne Marie-France. Dans certaines rues piétonnes de Bordeaux, il nous est impossible d’entrer dans les boutiques. Toutes ont une ou deux marches. J’ai de la chance, j’ai un boucher formidable dans mon quartier Saint-Augustin : comme je ne peux pas entrer dans son magasin, c’est lui qui sort pour me présenter sa viande. Ce geste me touche, je me sens considérée à nouveau. »Angélique enchaîne les motifs de grogne durant son parcours urbain en centre-ville : « Les vélos posés sur le trottoir, les trottinettes, les voitures mal garées, les poubelles pas rentrées... Les gens ne se rendent pas compte que ces obstacles nous posent des problèmes de mobilité, nous font perdre beaucoup de temps, nous mettent en danger. On est obligé de rouler sur la chaussée, et là, on entend le grognement des moteurs derrière, les gens qui s’impatientent... » La traversée de la place Jean-Moulin aux pavés chaotiques est quasi impossible, idem pour la place de la Bourse, avec sa fontaine des Trois Grâces, si majestueuse... et si impraticable en fauteuil roulant. « Certains quartiers de la ville nous sont interdits, admet Aïko. Nous n’y sommes pas les bienvenus, parce qu’ils sont inadaptés, le Vieux Bordeaux notamment, avec ses minuscules trottoirs, ses pavés anciens… »

    Des progrès mais « peut mieux faire »

    Depuis quinze jours, les Jeux paralympiques sont à l’origine d’une médiatisation louable et positive sur la condition des personnes en situation de handicap. Des médailles et des portraits émouvants de « super-héros », comme les qualifiait Teddy Riner, qui laissent nos trois héros du quotidien indifférents. « ‘‘L’effet JO’’, franchement, je ne sais pas de quoi il s’agit, commente Aïko. Ce que je vois, c’est une espèce d’hypocrisie. Quand Londres a accueilli les Jeux paralympiques, la ville est devenue 100 % accessible. Paris est la pire ville en matière d’accessibilité, un seul métro sur 14 ! » Angélique renchérit : « J’ai toujours été sportive, j’aime le sport et je suis les JO. En ce qui me concerne, j’ai pratiqué du basket, mais le fauteuil handisport n’étant pas remboursé, j’ai cherché un club pour le financer. Sans le trouver. Pas de sport pour moi. » Quant à Marie-France, elle pouffe : « On fait semblant de mettre le handicap en lumière, ça va retomber comme un soufflet. »

    J’ai besoin de légèreté, ma charge mentale pèse une tonne

    De l’attention. Être considéré comme des gens normaux, « et non comme des sous-humains, des humains avec moins de valeur », c’est ce qu’ils demandent. Autour d’un café pris sur une terrasse abritée, tous trois reconnaissent « des efforts », « des progrès » en termes d’accessibilité, mais encore beaucoup « d’oublis ». « Bordeaux est la moins pire des cinq villes dans lesquelles j’ai vécu, admet Aïko, la pire, c’est Lyon. Les toilettes publiques au centre-ville de Bordeaux sont toutes accessibles aux handicapés, les transports aussi, bus et tram malgré les pannes, les administrations ont progressé aussi. Mais parfois, pour acheter son pain, il faut attendre en dehors de la boulangerie. » « J’ai envie qu’on me considère comme un citoyen ordinaire, et que je puisse enfin vivre ma vie comme si mon handicap n’existait pas. J’ai besoin de légèreté, ma charge mentale pèse une tonne », déplor

    (1) Angélique Boniface a ouvert une cagnotte Leetchi pour aider à financer les équipements pour handicapés de sa voiture. Le lien : https://www.leetchi.com/fr/c/une-voiture-adaptee-pour-angel-et-sa-nouvelle-vie-1546612?fbclid=IwY2xjawFED21leHRuA2FlbQIxMQABHWkI59AB2RHL4dbT1A5c1M6DOKeBcSoKDxRUbpoB669F-gf7E1EwT-wzTg_aem_Lc4pJTsn9IM06VEjLrxiLQ

     

     
     
     
     

    e Angélique. Et Marie-France, que son boucher sympa sert sur le trottoir, rappelle que l’allocation aux adultes handicapés de 1 016 euros reste « en deçà du seuil de pauvreté ».

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