• Afghanistan: sous le régime taliban, les femmes doivent se cacher pour faire du sport

    Kaboul - Souvent, après la prière de l’aube, Sanah retrouve d’autres femmes de son quartier pour marcher, sans jamais courir ni trop s’approcher des checkpoints talibans: si ces Afghanes rasent les murs, c’est que le sport leur est désormais interdit
     
    AFP - Une femme afghane pose durant un entraînement de boxe à Kaboul le 7 juillet 2024
     
    Une femme afghane pose durant un entraînement de boxe à Kaboul le 7 juillet 2024  -  - - Kaboul (AFP)

    « On ne s’approche pas des checkpoints, parce qu’on nous demande: ’Pourquoi êtes-vous sorties si tôt ? Où allez-vous ? Pourquoi avez-vous besoin de faire de l’exercice ? », explique l’Afghane de de 25 ans qui se cache derrière un prénom d’emprunt par peur de représailles, comme les autres femmes interrogées par l’AFP. Appliquant de manière ultra-rigoriste la loi islamique, les talibans ont depuis leur retour au pouvoir, en août 2021, imposé un « apartheid de genre », selon l’ONU.

     

    Fin 2022, le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice a interdit aux Afghanes l’accès au parcs et au salles de sport, alléguant des infractions au strict code vestimentaire. Avant, les salles de sport avaient des créneaux réservés aux femmes. Aujourd’hui, si de rares clubs de gym existent encore pour elles, ils sont régulièrement fermés.

    Sanah et son amie Latifah avaient l’habitude de marcher dans un grand parc arboré où des journées étaient réservées aux femmes. Latifah raconte en pleurant que la dernière fois qu’elle est allée dans ce parc, peu après l’interdiction des talibans, elle a été battue et expulsée par la force. « J’ai un cholestérol élevé et des problèmes hépatiques, mon médecin m’a dit de faire de l’exercice », raconte-t-elle, « mais on ne peut plus ni aller à la gym, ni marcher librement dehors avec les talibans ».

    Combattre la dépression. Quant à Sanah, qui voudrait devenir professeure de yoga, elle fait faire quelques exercices d’aérobic et de méditation à ses amies après leur marche. « Respirez profondément », leur dit-elle doucement, assise en lotus dans la lumière jaune de l’aube, sur un balcon protégé des regards. Rayan, 19 ans, et quelques compagnes de boxe se retrouvent chez une amie pour s’entraîner avec le peu d’équipement disponible.

    « On n’a jamais arrêté », dit-elle en montrant une vidéo sur son téléphone où elle enchaînait autrefois crochets et uppercuts. Une autre boxeuse, Bahar, 20 ans, explique que les interdits atteignent profondément les femmes. « Quand on boxe, même si on s’entraîne quelques minutes, cela fait une grande différence », déclare la jeune femme, les mains toujours colorées du henné de son récent mariage.

    Mais si elle participait autrefois à des compétitions, elle s’entraîne aujourd’hui avec ses amies « pour combattre la dépression » -- en secret car son mari ignore qu’elle n’a pas abandonné le sport. De nombreuses athlètes ont quitté l’Afghanistan après le retour des talibans dont le gouvernement n’est toujours reconnu par aucun pays. Certaines participent à des compétitions internationales, sous la bannière de l’ancien régime ou au sein de l’équipe des réfugiés, comme cela fut le cas aux JO de Paris.

    Espoir. Interrogées par l’AFP, les autorités à Kaboul balaient la question d’un revers de la main. « Le sport féminin a été arrêté en Afghanistan. S’il n’est pas pratiqué, comment (ces femmes) peuvent-elles faire partie de l’équipe nationale ? », lance ainsi Atal Mashwani, porte-parole du gouvernement pour le sport. Banafsha, ceinture noire de wushu, un art martial chinois, « est contente que les femmes n’aient pas renoncé ».

    L’ancienne championne, qui a brûlé sa tenue de combat lorsque les talibans ont repris le pouvoir, vit désormais quasi-recluse chez elle, « sans espoir et le coeur brisé ». Hasina Hussain Zada, qui travaille pour Free to Run (Libre de courir), une organisation promouvant le sport féminin, explique que le sport en ligne ne remplacera jamais les cours en présentiel, l’appartenance à une équipe ni les entraînements en plein air.

    « On conseille aux participantes de se dire qu’on est en période de Covid », quand tout le monde était enfermé, dit la jeune femme de 28 ans, exilée au Canada, et qui continue de soutenir les exercices à l’intérieur pour les Afghanes, « prudemment, secrètement ». « On essaie de leur donner un peu d’espoir », dit-elle.

    © Agence France-Presse

     

  • Mexique: des manifestants envahissent le Sénat, retardant les débats sur une réforme judiciaire controversée

    Mexico – Des opposants à la réforme du pouvoir judiciaire, voulue par le président de gauche sortant Andrés Manuel Lopez Obrador, ont envahi le siège du Sénat mexicain mardi 10 septembre. Les débats ont dû être relocalisés et ont repris dans la soirée
    Des manifestants opposés à un projet de réforme de la justice envahissent le Sénat mexicain, le 10 septembre 2024
     
     

    « Sénateurs, arrêtez le dictateur », « le pouvoir judiciaire ne tombera pas » : tels ont été les slogans scandés par les dizaines de manifestants qui ont pu parvenir jusqu’à l’hémicycle, drapeaux mexicains à la main. Après avoir franchi les barrières de sécurité, ils ont obligé le président du Sénat Gerardo Fernandez Noroña (majorité présidentielle) à ajourner la session.

     

    Relocalisation. Fernandez Noroña a peu après annoncé que la session serait délocalisée dans l’ancien siège du Sénat. « Il y aura une réforme du pouvoir judiciaire », a-t-il ajouté. Les débats ont repris dans la soirée dans la nouvelle enceinte, aux alentours de laquelle se sont également déplacés les protestataires. Les manifestants – des fonctionnaires judiciaires en grève et des étudiants en droit – s’opposent à cette réforme, qui ferait du Mexique le premier pays au monde à désigner tous ses juges par un « vote populaire », y compris ceux de la Cour suprême.

    Cette réforme génère de fortes tensions avec Washington, premier partenaire commercial du pays, et à l’intérieur du Mexique où les manifestations sont quotidiennes depuis plusieurs semaines. La réforme avait déjà été adoptée la semaine dernière par les députés dans un gymnase, sous des paniers de basketball, après le blocage de la Chambre basse par des manifestants.

    Voix manquante. Le chef d’Etat mexicain, qui cèdera le pouvoir le 1er octobre à Claudia Sheinbaum, issue du même parti, soutient que la justice mexicaine est corrompue et ne sert que les intérêts économiques des élites, alors que plus de 90 % des crimes restent impunis au Mexique selon les ONG. Si la réforme est passée sans encombre à la Chambre basse, où les députés de la coalition au pouvoir sont ultra-majoritaires, il manquerait une voix au parti présidentiel et à ses alliés pour adopter la réforme au Sénat.

    Ses opposants estiment qu’elle fragilisera l’indépendance des juges et les rendra vulnérables aux pressions du crime organisé. Les partis d’opposition, le PAN, le PRI et le Mouvement Citoyen ont déclaré qu’ils voteraient contre. « Nous l’avons déjà dit et nous le répétons : nous nous battrons jusqu’au bout pour empêcher cet outrage à la République et à la démocratie », a écrit la sénatrice du Mouvement Citoyen, Alejandra Barrales. « La démolition du système judiciaire n’est pas la voie à suivre », a averti la présidente de la Cour suprême Norma Piña, dans une vidéo diffusée dimanche sur les réseaux sociaux.

    Mise en garde. M. Lopez Obrador, qui a souvent critiqué la Haute cour pour avoir freiné plusieurs de ses réformes, a mis en garde Mme Piña contre une éventuelle tentative de blocage, qui constituerait selon lui une « violation flagrante » de la Constitution. « Ce qui inquiète le plus ceux qui sont contre cette réforme, c’est qu’ils vont perdre leurs privilèges, car le pouvoir judiciaire est au service des puissants (...) et de la criminalité en col blanc », a déclaré mardi le président sortant, dont la popularité avoisine les 70 %.

    Les Etats-Unis, principaux partenaires commerciaux du Mexique, voient dans la réforme un « risque » pour la démocratie mexicaine et « une menace » pour les relations commerciales bilatérales, alors que le Mexique a supplanté la Chine en tant que premier partenaire commercial de son voisin du Nord.

    Baisse du peso. Selon des experts, les inquiétudes des investisseurs autour de ce projet de loi ont contribué à une forte baisse du peso, qui a atteint la semaine dernière son niveau le plus bas en deux ans par rapport au dollar. Cela est la conséquence de « facteurs externes », a répondu M. Lopez Obrador lundi, ajoutant : « Il est urgent d’assainir (le système judiciaire) dans l’intérêt de tous, y compris (de ceux) qui investissent au Mexique. »

    Le gouvernement mexicain a dénoncé une « ingérence » des Etats-Unis dans ses affaires internes et a mis en « pause » fin août ses relations avec l’ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, Ken Salazar, qui a plusieurs fois critiqué publiquement la réforme. Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats des Nations unies, a fait part de son côté de ses « profondes inquiétudes ». « En l’absence de garanties solides contre l’infiltration du crime organisé (dans le processus de sélection des juges), un système électoral peut devenir vulnérable à des forces aussi puissantes », a-t-elle dit lundi à l’AFP.

    © Agence France-Presse

     




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