• "Aux portes du pouvoir"l’inévitable victoire du RN" en 2027

    "Aux portes du pouvoir" : Arnaud Benedetti dissèque les conditions de "l’inévitable victoire du RN" en 2027

    Comment le Front national est-il arrivé aux portes du pouvoir ? - VICE

     

    Observateur de la scène politique française de longue date, Arnaud Benedetti, professeur associé à la Sorbonne, fait paraître « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » (Michel Lafon). Un mélange d'analyse et d'enquête qui chronique cette marche vers l'Élysée et préfigure « la France du jour d'après ».

    Le nouvel ouvrage d’Arnaud Benedetti, Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ?, paraît aux Éditions Michel Lafon. Professeur associé à la Sorbonne, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire (RPP) Arnaud Benedetti a publié une dizaine d'ouvrages et des billets d'analyses sur la scène politique française, notamment sur le site de Marianne.

    Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? associe l'analyse à l'enquête en interrogeant des hommes politiques, notamment l'ancien président François Hollande ou bien des cadres du RN, sur l'éventualité, devenue évidence, du Rassemblement national au pouvoir. Arnaud Benedetti dissèque les causes de la mort de la France d'avant, pour montrer à ceux qui diront qu'ils ne savaient pas, et anticipe ce que pourrait être la France d'après.

    Marianne : Quelle est la responsabilité d’Emmanuel Macron dans le fait que le Rassemblement national soit « aux portes du pouvoir », et qu'il s'agisse d'une « inéluctable victoire » ?

    Arnaud Benedetti : Emmanuel Macron est plus un symptôme qu’une cause. Il a accentué la coupure des élites avec les Français mais cette coupure a commencé avant son accession à l’Élysée. Il a été d’une certaine façon le joker du parti des élites quand ce dernier, dans les années 2010, s’est considérablement fragilisé électoralement.

    Macron en a été le sauveur mais il n’a tiré aucun enseignement de la défiance grandissante des Français. Et par sa verticalité, sa communication perçue comme méprisante ou désinvolte, son peu d’appétence pour les corps intermédiaires, sa tonalité emplie de certitudes, il a accru la coupure de la classe dirigeante avec les classes populaires et les classes moyennes qui constituent les moteurs du sentiment démocratique.

    Homme providentiel d’un système à propension oligarchique, il s’est persuadé qu’il était l’homme providentiel de tous les Français. Sa politique a par ailleurs ossifié le parti pris élitaire en accélérant les logiques d’alignement sur la mondialisation, tant par sa complaisance pour les communautarismes, notamment en début de mandat, que par sa volonté assumée de « dé-souverainiser » la France au profit d’une souveraineté européenne fantasmatique.

    Ce président a privilégié la segmentation de l'électorat en variant les discours en oubliant que la société, à l’épreuve des menaces de ce premier quart de siècle, souhaitait d’abord être considérée comme une nation car le propre de la nation est d’attendre de l’État d’être protégée et projetée dans un avenir qui lui promet autre chose que sa dilution, voire sa disparition. Macron a promu le grand effacement quand une très large majorité des Français en appellent à la grande réaffirmation de l’État, de l’appartenance nationale, de la démocratie souveraine. Ce court-circuit entre la tête de l’État et le corps social a indéniablement favorisé la progression du Rassemblement national qui a par ailleurs profité de l’inaptitude des autres oppositions à se reconstruire.

    Si le RN gagne, que va advenir le « bloc central », selon vous ?

    Son délitement est probable mais pas inéluctable : probable car l’onde de choc provoquée par sa potentielle défaite générera une tentation pour ceux qui au centre droit et au centre gauche qui ont rejoint Emmanuel Macron au cours des ans de refonder quelque chose à partir de leurs bases originelles.

    François Hollande, que j’ai interviewé pour ce livre, pronostique la fin du macronisme après le départ d’Emmanuel Macron de l’Élysée. Mais cette probabilité n’est pas irréversible parce que d’une part, on peut imaginer qu’Emmanuel Macron tentera de reféderer son camp dans le cadre de son projet européen et que d’autre part, d’autres, au sein de ce même bloc, s’efforceront aussi de le maintenir pour le reconstruire à leur avantage. Édouard Philippe, François Bayrou ou Gabriel Attal sont, entre autres, de ceux-là.

    Postulez-vous que la dédiabolisation est achevée ? Qu'y a-t-il après ? La normalisation ? Le RN ne peut-il pas aussi, avec l'exercice du pouvoir, se rediaboliser ?

    L’accès d’un groupe parlementaire massif RN à l’Assemblée nationale constitue un fait politique majeur de ces toutes dernières années. Ce succès électoral a d’abord fait voler en éclat l’idée d’un plafond de verre infranchissable. Car il faut rappeler que cette avancée s’effectue dans le cadre d’un mode de scrutin dont on pensait qu’il était un obstacle majeur pour les chances de succès du RN. En outre, 53 des parlementaires RN l’ont été dans le contexte de duels avec des candidats de la majorité présidentielle. Ce qui en dit long sur la force de la dynamique du parti de Marine Le Pen.

    Ensuite, cette parlementarisation a contribué à renforcer la socialisation d’une formation qui, dès ses premiers pas au Palais-Bourbon, s’est efforcée d’adopter un comportement respectueux du fonctionnement institutionnel. Je décris dans l’ouvrage ce processus d’acculturation. Certes, les tentatives de re-diabolisation ne manqueront pas d’être réinstallées, entre autres sur la question de la Russie. Mais la limite de ces dernières est indissociable de plusieurs éléments, à la fois endogènes et exogènes. Le logiciel du RN s’est d’abord transformé : sur l’euro, le sociétal, y compris sur la relation au régime de Poutine.

    Cette mutation s’est renforcée depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas contre Israël. La participation du RN à la manifestation contre l’antisémitisme a de ce point de vue constitué une étape supplémentaire dans la normalisation, en particulier du fait des déclarations de Serge Klarsfeld approuvant à la veille de l’événement cette présence. Comme l’un de mes contacts, cadre du RN et qui en a connu toutes les évolutions depuis quatre décennies, me l’a dit : « Serge Klarsfeld a livré pour la circonstance les clés de la dédiabolisation à Marine le Pen ».

    Mais au-delà de cette configuration, il a une autre propriété bien plus structurante encore qui vient amortir les logiques de type « barrage républicain » héritées du passé : le renouvellement générationnel du corps électoral. À mesure que d’autres générations montent sur le marché électoral, dont la mémoire n’a pas été socialisée dans l’atmosphère de diabolisation, plus cette atmosphère se dissipe et plus le vote RN gagne non seulement en acceptabilité mais en crédibilité. Les forces électorales d’avenir, actives, aussi sont du côté du Rassemblement national – ce qui dès lors rend plus probable un accès du RN au pouvoir dans un contexte de démonétisation des offres politiques de gouvernement usées par quatre décennies de pouvoir.

    Néanmoins le risque de rediabolisation demeure une préoccupation constante au RN qui, sans doute, est aujourd’hui la formation qui exerce le plus grand contrôle sur elle-même. Marine Le Pen répète souvent que « nombre de gens peuvent avoir peur du RN en toute bonne foi ».

    Qu’est-ce que les « gatekeepers », et en quoi la relation du RN avec eux évolue-t-elle ?

    L’écosystème médiatique s’est tout à la fois polarisé et désintermedié. En d’autres termes, en se déverrouillant, il offre au RN et à son expression politique une formidable fenêtre politique pour que ce dernier puisse contourner les médias les plus hostiles et imposer son agenda thématique. Ce double phénomène s’est par ailleurs accompagné d’un travail de professionnalisation et de normalisation des relations avec la presse.

    Caroline Parmentier, aujourd’hui députée du Pas-de-Calais mais auparavant en charge des relations presse du RN a été l’une des chevilles ouvrières de cette « pacification » poursuivie aujourd’hui par son successeur, l’ancien journaliste Victor Chabert (N.D.L.R. : Caroline Parmentier vient de revenir à la gestion presse du RN puisque Victor Chabert s'est mis en retrait pour des raisons de santé). Par ailleurs, la communauté médiatique, beaucoup plus clivée que dans un passé récent, ouvre un large espace de légitimation au RN. Cette plus grande hétérogénéité éditoriale joue aussi en faveur de la normalisation, laquelle est aussi facilitée par des offres radicales à gauche avec LFI ou avec un dépassement sur la droite du RN avec l’offre plus identitaire et conservatrice d’Éric Zemmour.

    En cas de ce que vous appelez « choc des alternances », comment entendent réagir les personnalités que vous avez interrogées et les élites en général ?

    Ceux qui aujourd’hui considèrent en effet que la radicalité de LFI cornérise définitivement son leader portent peut-être un jugement hâtif sur les évolutions à venir. Le pari très réfléchi de Jean-Luc Mélenchon consiste à travailler sur la durée afin de consolider son socle électoral en spéculant sur l’instabilité sociale, communautaire et institutionnelle du pays.

    Son calcul ne doit pas être pris comme totalement provocateur, même s’il l'est dans les faits et les valeurs, ni comme irréaliste. Dans un affaiblissement du parti présidentiel, usé par le pouvoir et une incapacité de la gauche à se reconstruire, LFI peut s'offrir un trou de souris pour se faufiler au second tour. Dans cette hypothèse au regard des tendances de fond, une confrontation Marine Le Pen/Jean-Luc Mélenchon constituerait certes une immense surprise mais il ne faut pas forcément en exclure l’idée dans un pays aussi politique que la France et aussi fatigué par des décennies d’indifférenciation politique.

    Ce retour au choc des alternances, bien évidemment, verrait Marine Le Pen l’emporter. D’autant plus que les traits d’images qui la portent aujourd’hui s’améliorent et en font un personnage central, voire presque rassurant pour des segments importants de l’opinion. Tout l’enjeu pour elle désormais est de travailler à la crédibilisation d’une offre d’alternance en mesure de gouverner. D’où la recherche de profils d’experts, d’où la haute fonction publique que le RN s’efforce de rassurer alors qu’Emmanuel Macron l’aura fortement bousculée, notamment en supprimant quelques grands corps (préfets, diplomates) et d’où le frémissement qui, de ce côté-là, commence à se faire sentir dans les groupes d’expertises qui travaillent déjà sur la future campagne. Après le renforcement sociologique, après la dédiabolisation, le nouveau chantier du RN consiste à polir les outils de sa professionnalisation. C’est là le troisième étage de la fusée.

    « La faisabilité a ceci de porteur pour le RN qu'elle tend à renforcer sa légitimité et sa crédibilité. La perception participe de la construction de la réalité, sans la rendre certaine, mais en l'inscrivant dans le champ des possibles. » Qu’entendez-vous par là ?

    Tout simplement que le RN pour de nombreux acteurs, observateurs, est devenu une hypothèse presque comme une autre et que plus cette hypothèse se crédibilise au vu des sondages, des élections, des ralliements aussi, plus l’idée d’un accès au pouvoir est naturalisée jusque dans des sphères qui hier encore l’auraient rejetée et l’aurait combattue. Ce n’est plus un tabou, ni quelque chose d’indicible, même si nombre d’incertitudes demeurent quant à cette issue. Mais force est de constater que pour de nombreux segments de l’opinion, Marine Le Pen incarne de plus en plus une figure plausible de la grande alternance. Reste à savoir ce qui se passerait ensuite… C’est aussi cet aspect des choses que tente de comprendre mon enquête.

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