• Grandeur et décadence du système de santé

     

    Un récit pour s’armer de patience

    Il est 13 h 50, j’arrive au service des urgences de la clinique de L’Archette. Vingt personnes attendent devant moi. Mon voisin, Pierre est arrivé à 9 heures pour un problème ordinaire. Il a déjà subi quelques examens : radiologie, prise de sang et consultation médicale. Il est très satisfait du service rendu qu’il trouve largement supérieur à celui du CHRO. Il reconnaît cependant qu’il convient de s’armer de patience. Je m’apprête à subir la même attente pour un lumbago.

    Il était temps, mon voisin vient de recevoir son bilan. On l’invite à prendre rendez-vous avec un cardiologue maison tandis qu’on lui remet une prescription et sa radio. Il a passé cinq heures pour un service qui s’avère efficace et professionnel. Devrais-je moi aussi passer autant de temps. J’en ai déjà plein le dos, fort heureusement j’apporte mon inséparable ordinateur et quelques textes à corriger.

    Les patients sont moins nombreux. Les rangs se sont clairsemés. Je peux juger d’une véritable hétérogénéité des personnes en attente. Contrairement aux idées reçues, les urgences ne sont pas utilisées exclusivement par ces fameux CSP défavorisés. L’absence de médecins dans l’orléanais draine ici son lot de citoyens qui ne peut plus se soigner. Grandeur et décadence d’une société qui a bradé son système de santé.

    Je suis, me diront mes détracteurs de mauvaise foi puisque j’ai trouvé un médecin référent par défaut. L’homme, d’après ses confrères, a fait le choix de s’installer dans un quartier défavorisé pour bénéficier durant 5 ans de nombreux avantages fiscaux. Une niche qu’il rentabilise allègrement en faisant tourner les malades dans une salle d’attente jamais assez grande.

    C’est un tour des miracles que ce cabinet-là. La consultation n’y dure que quelques minutes, le paiement s’y opère en liquide, l’examen se déroule au pas de charge, le dossier médical est en option. C’est donc une judicieuse manière de préparer une future retraite en faisant de ce noble métier un juteux rapport financier. Certains de ses collègues n’agissent pas autrement en pratiquant quant à eux le racket du dépassement d’honoraires, tout cela avec la complaisance complice d’un pouvoir aux ordres du conseil éponyme.

    Une heure déjà que je m’impatiente et m'encolère. Les inconfortables banquettes en bois sont particulièrement recommandées pour mon dos. Je ne sais plus dans quelle posture me tenir. Voilà une fort opportune stratégie pour ne pas clamer la douleur. Celle-ci me renforce dans ma détermination à poursuivre cette interminable attente.

    Je rentre enfin dans le dispositif de prise en charge. Une charmante infirmière, attentive et souriante me prend en charge pour un rapide questionnaire de santé, un petit bilan de la douleur avec cette échelle de graduation qui m’amuse plus qu’elle ne doit être réellement pertinente. La subjectivité y règne en maîtresse absolue. Une prise de la tension et de la température donne à cette première étape une couleur médicale certaine. L’attente reprend son immuable cours, seule la banquette est plus confortable.

    Deux heures désormais et la salle se remplit à nouveau après un bref moment de répit. Le silence y est total, les gens sont résignés à devoir ainsi patienter. Comment un actif pourrait-il profiter de pareil dispositif ? Ses horaires, ses obligations sont incompatibles avec ce temps qui s’étire en pure perte. Fort heureusement, un malade important, un dignitaire de la nation, n’aurait pas à subir pareille corvée.

    Une blouse blanche vient me marcher et me demande de la suivre. Je peux à peine marcher, le dos brisé par une attente inconfortable. Elle m’ouvre une porte : une pièce de 4 mètres sur 6 avec une fenêtre. Au centre trône une table d’examen. Un lavabo, une étagère métallique, une table de chevet sur roulettes, une poubelle, une chaise, j’ai largement le temps de vous décrire ce local au mur blanc. On m’y abandonne littéralement plus de 45 minutes. Un temps infini, seul et sans consigne ni information. Excédé, après avoir fait les cent pas de longues minutes, je prends mon clavier pour coucher sur l’écran ce paragraphe surprenant. Quelle serait la réaction d’une personne âgée ou bien d’un individu à l’esprit plus dérangé que le mien en pareille circonstance ? Que faire ? Ouvrir la porte et appeler ? Attendre, tout simplement puisque dans un tel lieu, de sujet, le patient devient objet, contraint à l’hibernation … Les trois heures sont atteintes, je n’ai toujours pas vu de médecin.

    Je finis par ouvrir la porte afin de demander si on ne m’a pas oublié. Une infirmière me dit simplement qu’il y a de l’attente, ce à quoi je lui réponds aimablement que l’attend est consubstantielle à cet univers clos tandis que l'absence d’information la rend intolérable. Un médecin entre, sans un regard ni un bonjour, prend un objet et sort. J’attends de nouveau en étant devenu le mauvais objet, celui qui récrimine. Je me suis pourtant exprimé calmement m’étonnant simplement d’un manque d’humanité. J’ai même évoqué l’angoisse qui aurait accompagné ce long moment chez une personne plus fragile … Cette fois j’ai passé une heure dans ma cage, tel un vieux lion qui rumine sa rancœur.

    L’examen si je puis qualifier ainsi ma rencontre avec un médecin n’aura pas duré plus de trois minutes. L’homme a sans doute intégré mon impatience au point de tout juste effectuer une palpation furtive. Il m’a demandé deux ou trois gestes basiques, m’a interrogé sur mon état de santé avant que de se faire simple prescripteur, 4 produits qui iront enrichir l’industrie pharmaceutique dont deux du reste ne seront pas remboursés. Un pharmacien eut pu tout aussi bien faire l’affaire et dans l’état de déliquescence de notre système de santé, il m’eut permis d’économiser quatre heures.

    Dorsalement vôtre.

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