• L’urgentiste Patrick Pelloux : « François Braun ne peut pas être ministre des castes et des clans »

    L’urgentiste Patrick Pelloux : « François Braun ne peut pas être ministre des castes et des clans »

      14h47 , le 4 juillet 2022 , modifié à 15h18 , le 4 juillet 2022
    • Par
    • Camille Romano
     

    INTERVIEW - Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu de Paris et ardent défenseur du service public de la santé, accueille avec bienveillance mais beaucoup d’attentes la nomination d’un de ses confrères urgentistes, François Braun, comme ministre de la Santé et de la Prévention. 

    Le médecin urgentiste Patrick Pelloux, lors d’une manifestation de soignants à Paris, le 7 juin.

    Le médecin urgentiste Patrick Pelloux, lors d’une manifestation de soignants à Paris, le 7 juin. (STR / AFP)
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    Il lui souhaite de réussir, mais le souhait n'est pas pour autant un blanc-seing : Patrick Pelloux restera attentif à l'action du nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, tout juste nommé en remplacement de Brigitte Bourguignon - battue aux législatives - dans le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne . L'urgentiste parisien salue avec une certaine ironie l’ascension d'un président de syndicat de médecins encore en activité à la tête du ministère, et dresse pour le JDD la liste des chantiers qui attendent son ex-confrère. 

     

    La nomination de François Braun, médecin urgentiste et président du syndicat Samu-Urgences de France, à la tête du ministère de la Santé est-elle une bonne nouvelle ? 
    C’est l’aboutissement d’un travail qu’a mené François Braun, avec son syndicat, qui est devenu un parti politique. Je rends hommage au moins à cela : c’est la première fois qu’un médecin, président de syndicat en exercice accède au ministère. C’est une première, et c’est très intéressant politiquement, sociologiquement. François Braun est compétent, travailleur, c’est quelqu’un de très intelligent, et je lui souhaite de réussir. Il y a eu tout un processus depuis qu’il a été reçu par le président de la République en 2018-2019 avec les urgentistes, sur l’établissement du service d’accès au soin. Il a accompagné Emmanuel Macron sur tous les déplacements au moment de la crise du Covid. Quand ils ont eu l’idée de faire des trains pour envoyer des malades réanimatoires dans les « régions », il était là… François Braun a eu une stratégie, une tactique politique qui l’a conduit aux plus hautes fonctions de la République. Maintenant, il faut qu’il soit ministre de la République, il ne peut pas être le ministre des castes et des clans.

     

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    Craignez-vous qu’il privilégie les médecins ou les urgentistes par rapport aux autres soignants ? 
    Non, je ne l’entends pas dans ce sens-là. Par exemple dans le secteur des urgences, vous avez deux organisations principales : le Samu-Urgences de France, et l’Association des médecins urgentistes de France [Amuf, que Patrick Pelloux préside, NDLR]. François Braun a, depuis environ trois ans, tout fait pour que l’Amuf soit écartée systématiquement : lors de l’établissement de son rapport pour la mission flash, il ne nous a pas concertés. Dans son syndicat, ils ont une structuration financière très importante, avec des permanents et des conseillers en communication, ce que nous n’avons pas, et je suis admiratif, car nous, nous n’avons pas réussi. 

    Le rapport flash de François Braun a favorisé le monde libéral de manière vraiment très forte

    Au sein de l’Amuf, vous vous êtes montrés assez critiques face aux conclusions de ce rapport…
    Oui, surtout sur la liberté d’accès aux soins des services des urgences et contre les fermetures des services d’urgences. Le rapport de François Braun a favorisé le monde libéral de manière vraiment très forte, c’est une orientation politique. La dernière fois que je l’ai vu, il y a trois mois, je lui avais dit : « Il n’y a pas de mal à rentrer dans la vie politique, ce n’est pas une tare, la politique. » François Braun, par sa culture libérale, est plutôt un homme de droite, de centre-droit. Il arrive désormais à ce qu’il voulait depuis longtemps : devenir ministre. C’est à lui de jouer, je pense qu’il va très rapidement comprendre qu’il est dans une position politique, maintenant.  

     
     

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    Quels sont les chantiers prioritaires auxquels François Braun devra s’attaquer ? 
    Les chantiers sont considérables et nombreux, avec tout d’abord le problème de la liberté d’installation, et de la permanence de soin. Je suis désolé de le dire, mais son rapport-flash ne va strictement rien résoudre. Il y a également le volet social, avec la question des augmentations de salaires des personnels infirmiers, les recrutements de ces personnels dans les hôpitaux. Du côté des praticiens hospitaliers, il y a plusieurs problèmes. Depuis le Ségur de la santé, quatre échelons nous ont été « volés ». Se pose aussi le sujet de la valorisation des gardes et du travail de nuit. Nous lui demandons l’égalité de traitement entre le secteur libéral et hospitalier : les libéraux défiscalisent leur activité en permanence de soin 60 jours par an, et pas les hospitaliers, ce qui créent des inégalités fiscales et financières entre ces deux mondes. 

    Il faut qu'il impulse un élan, une pensée politique

    Avez-vous également des attentes en matière de santé publique ? 
    Plusieurs questions vont être au centre : quelle va être la position de François Braun sur la légalisation ou la dépénalisation du cannabis, sur le programme de santé mentale, notamment de la pédopsychiatrie ? Je ne la connais pas. Quelle sera sa position sur la relation avec les sapeurs-pompiers , les grands oubliés de son rapport-flash, et qui sont les principaux secouristes en France ? Il doit également se positionner sur la question de la fermeture de services : va-t-il fermer des services d’urgence, des hôpitaux, des maternités, ou va-t-il se battre pour les maintenir ? Quelle va être sa position concernant l’épidémie de Covid-19 ? Prônera-t-il le port du masque, ou non ? Réintégrera-t-il les soignants non-vaccinés ? Il y a un renoncement global, une sorte de démission collective dans le système de santé français : quel élan va-t-il donner ? Il faut qu’il impulse un élan, une pensée politique.

    Y a-t-il également des sujets à aborder sur le volet structurel du système de santé français ? 
    Bien sûr, notamment avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui doit être travaillé dès cet été. Quelles seront ses priorités ? Mais je veux avoir confiance dans l’intelligence de François Braun, mais la question est aussi celle de son entourage. Il doit nommer très rapidement quelqu’un à la Direction générale de la santé, à la Direction générale de l’offre de soin, mais aussi des postes de direction d’agences régionales de santé (ARS). Cela fait presque deux mois que le système de santé est à l’arrêt, à cause de ces postes vacants.

    Lors de la campagne pour l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, dont il était l’un des référents santé, François Braun avançait la nécessité de « réformer l’organisation de la santé en France ». Faut-il s’en réjouir ? 
    Nous allons très vite le savoir : soit il amorce de grandes réformes, qui sont dans l’intérêt général, s’appuyant sur le service public et la sécurité sociale. Soit ses réformes seront libérales, dans la ligne de son rapport-flash, où les gens ne doivent plus aller aux urgences, et téléphoner avant. C’est une de ses grandes idées, et je suis totalement opposé à cela : c’est un recul du service public et de l’intérêt général. Que va-t-il vouloir faire sur l’évolution d’un système assurantiel par rapport à la sécurité sociale, sur le modèle des États-Unis ? Ce sont ces enjeux-là que nous allons examiner, car le programme du président de la République est resté très évasif, sur toutes les questions de santé jusqu’ici. François Braun est commandant de l’avion, nous allons donc voir comment il va piloter. 

     
     
     
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