• La légitimité des armes aux Etats-Unis

     

     

     

    AUX RACINES DU PORT D’ARMES AMERICAIN

     

    Le directeur général de la NRA Wayne Lapierre, le 26 avril 2019, à Indianapolis.

    Pourquoi est-il si difficile à la première puissance mondiale d'imposer le contrôle des armes sur son sol ? Tentons une réponse par l'histoire.

    Il est des scènes qui demeurent gravées dans la mémoire. Parmi elles, cette manifestation d'indécence de Donald Trump, avant son élection à la Maison Blanche, lorsque, gestuelle à l'appui, il osa annoncer que les terroristes de Daech auraient fait moins de victimes, au Bataclan, en novembre 2015, si le spectateurs du concert avaient tous été autorisés à porter une arme... Sidérant !

    Dans son nouveau - et non moins remarquable - essai, La Nation armée, l'historien et américaniste André Kaspi évoque cette scène stupéfiante. La colère qu'ont éprouvée de nombreux Français après cette saillie n'a pourtant, jusqu'ici, que très peu participé à inverser la donne relative aux armes en accès libre au pays de Jefferson et de Lincoln. Quand bien même que les consciences s'éveillent ici ou là, le foisonnement des fusillades, notamment en milieu adolescent, et scolaire, mais hélas à pas comptés. Le fondement en est historiquement déterminante : la liberté d'être armé est garantie aux citoyens de l'Union par le célèbre Deuxième amendement, dont il faut se remémorer la genèse. 

    La longue marche vers la liberté

    Nous sommes en 1791. Les Etats-Unis, ne ressemblaient alors pas aux Etats-Unis d'aujourd'hui. L’indépendance obtenue et, au terme de controverses à la fois juridiques et politiques, avaient enfin adopté une Constitution fédérale. Il nous faut visiter les Archives nationales de Washington. Pour y découvrir, à son côté, trois reliques patriotiques, dûment conservées à l'abri d'une vitrine en verre : la Déclaration d'Indépendance (1776), la Constitution, le Bill of Rights (charte des droits). Ces archives, qui ont échappé in extremis à la destruction, forment les trois piliers de l'histoire nationale. Venir les contempler, pour chaque Américain, c'est cimenter son sentiment d'appartenance. Retremper à la source sa "proudness", autrement dit la fierté que lui inspire son américanité. En 1776, aux premiers jours de l'été, lorsque les sujets de Sa Majesté britannique au Nouveau Monde professent à la face de l'univers leur indépendance et le droit inaliénable de chaque homme à rechercher le bonheur (the Pursuit of Happiness), ils ne sont qu'au début de leurs ennuis. Et de leur âpre combat. 

    Seize longues années vont suivre, pendant lesquelles ils vont notamment subir le pilonnage des mercenaires hessois que la Grande-Bretagne leur réserve. Sans l'aide des Français Rochambeau (Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, né le 1er juillet1725 à Vendôme et mort le 10 mai 1807 à Thoré-la-Rochette (Loir-et-Cher), est un général français. Il s'illustre à la tête du corps expéditionnaire français lors de la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-1783). Il termine sa carrière militaire avec la dignité de maréchal de France) et La Fayette (Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, dit « La Fayette », né le 6 septembre 1757 au château de Chavaniac, paroisse de Saint-Georges-d'Aurac (province d'Auvergne) et mort le 20 mai 1834 à Paris), est un noble d'orientation libérale, officier et homme politique français et américain. Convaincu que la cause des insurgés américains est noble, il s'engage dans leur guerre révolutionnaire en 1777, à la recherche de la gloire. Nommé général par George Washington à l'âge de 19 ans, La Fayette joue un rôle décisif aux côtés des Américains dans leur guerre d'indépendance contre le pouvoir colonial britannique et en particulier lors de la victoire de Yorktown le 19 octobre 1781. La Fayette œuvre également à l'émergence en France d'un pouvoir royal moderne, avant de devenir une personnalité de la Révolution française (1789) jusqu'à son émigration, son arrestation et sa mise en prison pour cinq ans en 1792. La Fayette est aussi un acteur politique majeur des débuts de la monarchie de Juillet. Surnommé le « héros des deux mondes », il est l'un des huit citoyens d'honneur des États-UnisAprès la révolution de 1789, La Fayette décide de signer tous ses courriers d'un « Lafayette » en un seul mot, en réaction contre le système nobiliaire. C'est aussi la graphie utilisée par ses contemporains jusqu'à sa mort), ils n'auraient pas pu contenir cette poussée hostile. Le mois d'octobre 1781 voit la reddition du tuteur britannique. Composée initialement de 13 Républiques, la Confédération est le théâtre d'une confrontation où les plus petits Etats (à l'instar du Massachusetts, avec Boston) arrachent aux plus grands le "principe d'une voix par Etat". Et, c'est avec promptitude, en quelques semaines de l'été 1787, que les 55 délégués réunis en conclave se mettent d'accord sur un texte constitutionnel. Mais attention : le conflit politique autour de l'adoption de ce texte ne fait que commencer. Il met aux prises, fédéralistes et antifédéralistes. 

    Les fédéralistes (ou nationalistes) sont les partisans de la Constitution en l'état. Les antifédéralistes, eux, sont vent debout contre un texte qui, à leurs yeux, abjure les principes chers à Montesquieu (L'Esprit des lois). Pour eux, "un gouvernement républicain convient à un petit territoire et ne saurait s'étendre à l'ensemble des Etats-Unis". 

    Comment trouver un terrain d'entente, un compromis ? "James Madison (James Madison, Jr., né le 16 mars 1751 à Port Conway (Colonie de Virginie) et mort le 28 juin 1836 à Orange (Virginie), est un homme d'État américain, quatrième président des États-Unis en poste de 1809 à 1817. Délégué de la Virginie au Congrès continental, il est l'un des Pères fondateurs des États-Unis. Il est considéré comme l’un des principaux auteurs de la Constitution ; Madison s'occupa en particulier de l’équilibre entre les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif et de la déclaration des Droits. Il a succédé à Thomas Jefferson en tant que secrétaire d'État fédéral en 1801 avant d’être élu à la présidence sept ans plus tard. Il fut par ailleurs proclamé citoyen français par l’Assemblée nationale législative en 1792), un Virginien influent jouissant de la confiance de Washington et de Jefferson milite pour faire entériner la Constitution. Pour ce dessein, il s'attelle à la tâche de convaincre les antifédéralistes, bien qu'il ne partage pas leurs appréhensions. Il s'inspire de la déclaration virginienne pour proposer des amendements. Le but : assurer l'unité nationale. C'est alors que, de façon nullement anodine, cinq Etats, dont le Massachusetts et la Virginie, proposent un amendement en faveur du droit de chaque citoyen au port d'armes, afin d'assurer leur défense et celle de l'Etat. Il faut se replacer dans un temps où la police est embryonnaire, ce qui délègue à chacun la tâche d'assurer la sécurité de son bassin de vie local, le plus souvent rural. Le droit à détenir et à porter des armes est alors conçu, comme un droit naturel qui ne suscite aucune polémique. Les us et coutumes ont, toujours, des racines historiques profondes. La préférence américaine pour le port d'armes n'y déroge pas. Et ce trait explique également que, jusqu'à une date récente, le Deuxième amendement n'a été ni contesté ni véritablement discuté. 

    La Cour suprême s'implique

    Mais, forte de son poids constitutionnel accru, la Cour suprême s'est néanmoins ressaisie, il y a une décennie, de ce vieux dossier. C'est en 2008 qu'elle "a rendu un arrêt d'une importance capitale sur les armes à feu". Son auteur : le juge Antonin Scalia (Antonin Gregory Scalia, né le 11 mars 1936 à Trenton au New Jersey, et mort le 13 février 2016 près de Marfa au Texas, est un juge de la Cour suprême des États-Unis. Titulaire de cette fonction de 1986 à sa mort en 2016, il est le doyen de la Cour au moment de son décès. Il est partisan de l'école de jurisprudence américaine originaliste qui soutient que la Constitution doit être interprétée conformément à son sens originel à l'époque de son adoption. Cette doctrine a fait de Scalia l'un des juges les plus conservateurs de la Cour). Que nous dit, pour Scalia, le Deuxième amendement ? "Le premier membre de la formulation fait référence à "une milice bien ordonnée nécessaire à la sécurité d'un Etat libre. Voilà qui a perdu de son importance. Reste la seconde moitié de la phrase : "Le peuple, c'est l'ensemble des Américains, chacun d'entre eux étant pris séparément, disposant pleinement des droits qui sont énumérés. Donc le Deuxième amendement concerne chaque Américain, individuellement. Conclusion, pour Scalia : "L'amendement accorde à chaque individu le droit de détenir et de porter au sens strict du terme des armes ; c'est un droit individuel, qui n'a rien à voir avec l'armement de la milice. Ainsi entre 2010 et 2013, la Cour Suprême a-t-elle étendu à tous les Etats son application. Et pendant ce temps, le Deuxième amendement s'est mué en "une sorte de vérité intemporelle, la référence essentielle de ceux qui défendent la détention des armes à feu". Pire, son invocation est "une protection intangible contre toute réforme". Ahurissant.

    Dans le débat interne à la Cour, un autre juge, Stephen Breyer (Stephen Gerald Breyer, né le 15 août 1938 à San Francisco, est un juriste américain, juge à la Cour suprême des États-Unis depuis 1994. Nommé par le président Bill Clinton, il fait actuellement partie du quatuor progressiste de la Cour suprême aux côtés de Ruth Bader Ginsburg, Sonia Sotomayor et Elena Kagan. Il est auparavant juge à la cour d'appel des États-Unis pour le premier circuit, à partir de 1980 et sa nomination par Jimmy Carter. Il préside l'instance de 1990 à 1994), avait pour sa part défendu le droit individuel au port d'armes tout en demandant qu'on s'interroge sur "son application et ses limites". C'est précisément ce que le puissant lobby des armes à feu refuse. - et assez inquiétante - galaxie des pro-guns. Direction le musée de la National Rifle Association, la fameuse NRA, à quelques encablures du centre de Washington. Un lieu, " imbibé de la culture des armes à feu". 

    Le difficile contrôle des armes. Plus que jamais, les Américains sont divisés. Fracturés par cette question. Jusqu'à la haine. Le "gap" entre pro- et antiguns surclasse largement en acuité celui qui existe entre les démocrates et les républicains. Au musée de la NRA, on refourgue à chaque visiteur une documentation de "sensibilisation" où abondent les réconfortants exemples d'honnêtes gens qui ont réussi à mettre en déroute leur agresseur, grâce à l'arme qu'ils abritaient discrètement dans la poche de leur veste ; chez les antiguns, malgré le soutien notable d'un Barack Obama, on peine encore à combattre "à armes égales" la propagande

    huilée de la NRA. Dernièrement, les partisans du contrôle dénoncent ce bump stock, cet accessoire d'armurerie qui transmue une arme semi-automatique, comme l'AR 15, en arme automatique, et si facile à acquérir. Néanmoins d’aucun ne se résigne pas. Il faut rester prudent, mais espérons que le programme des antiguns pourrait finir par remporter l'adhésion d'une majorité d'Américains. La récurrence horrifique des fusillades de masse qui endeuillent le pays commence à faire - un peu - bouger les esprits, même les plus attachés à une interprétation extensive du Deuxième amendement. 

    Reste une interrogation formuler, il y a plusieurs décennies, par le grand historien Richard Hofstadter (Né à Buffalo le 6 août 1916 et mort à New York le 24 octobre 1970, est un historien américain, professeur à l'université Columbia. Il a obtenu à deux reprises le prix Pulitzer : en 1955, le prix Pulitzer d'histoire pour son livre The Age of Reform et le prix Pulitzer de l'essai pour Anti-Intellectualism in American Life en 1964), si actuelle : "Pourquoi, parmi les nations industrielles de notre temps, les Etats-Unis s'accrochent-ils à l'idée que l'accès, répandu et sans limites, aux armes est, pour une population urbaine, acceptable et sans danger ?" Oui : pourquoi ? 

     

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