Des pêches pourries, des ballots de paille, des murs de moellons cimentés à la va-vite, des tonnes de fumier… Une petite dizaine de permanences parlementaires LREM ont été prises pour cible en une semaine, attaquées dans la très grande majorité par des agriculteurs qui manifestaient contre le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta). Le traité international a été adopté mardi par l’Assemblée nationale : neuf députés macronistes ont voté contre, 52 se sont abstenus. Soit la plus grosse fronde depuis le début du quinquennat et la preuve que les conséquences – agricoles, commerciales, sanitaires, écologiques – du Ceta interrogent jusqu’au sommet de la majorité. Depuis, les élus LREM ayant approuvé le texte sont dans le viseur de nombreuses organisations agricoles. A Guéret, dans la Creuse, un mur de parpaings a été monté devant la permanence de Jean-Baptiste Moreau, lui-même agriculteur, qui s’est démené au nom de la majorité pour défendre le Ceta des plateaux télé à l’hémicycle et se retrouve donc accusé de «trahir» les siens.

«Un vote de merde, une benne de merde»

Même opération à Vesoul, où les bureaux de la députée Barbara Bessot-Ballot ont été bétonnés, enfermant la permanence dans un mur de 2,5 mètres de haut. Au-delà des répercussions commerciales sur l’élevage français – le traité permet d’augmenter les importations de bœuf canadien, entre autres – la FDSEA de Haute-Saône pointe «les mensonges du gouvernement, notamment concernant les farines animales». Dans et hors de l’Assemblée, c’est sur ce point technico-juridique que s’est focalisé le débat. Contrairement à ce que le gouvernement affirmait, le Ceta ne comprend pas une interdiction à 100% des farines animales que les éleveurs canadiens utilisent. Les farines venant de squelettes et d’os d’animaux restent proscrites mais pas celles fabriquées à base de sang, de poils et de gras.

 

Dans les Pyrénées-Orientales, la Saône-et-Loire ou le Lot-et-Garonne, les bureaux des députés LREM ont été noyés sous les déchets agricoles. «Un vote de merde, une benne de merde», pouvait-on lire sur les banderoles déployées autour d’un tas de fumier déversé à Thuir, permanence de Sébastien Cazenove, élu des Pyrénées-Orientales. Des «attaques lâches», s’est insurgé le député du Lot-et-Garonne Olivier Damaisin sur Twitter. «Jamais l’intimidation n’aura sa place dans notre République. Ce climat de violence est inacceptable», a-t-il ajouté, à l’unisson avec la direction du parti et plusieurs ministres. «Les actes violents d’une toute petite minorité d’agriculteurs n’ont pas leur place dans une démocratie. Aucune cause ne peut les justifier», a estimé dans un communiqué le président du groupe parlementaire LREM Gilles Le Gendre.

Tentative d’incendie à Perpignan

Comme lui, le patron du parti majoritaire Stanislas Guerini a demandé à la FNSEA et aux organisations agricoles nationales de condamner publiquement et de faire cesser les violences de leurs entités départementales. «Je condamne et lutte contre l’agribashing comme contre l’antiparlementarisme. L’un et l’autre mettent à mal les fondements du vivre ensemble», a réagi le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, parlant d’insupportables "atteintes à la démocratie"».

A Perpignan, les choses ont pris une tournure bien plus violente et n’avaient a priori rien à voir avec le Ceta. La permanence du député Romain Grau a été saccagée par un groupe d’une trentaine de personnes,qui ont tenté de mettre feu au local alors que l’élu se trouvait à l’intérieur. Il s’est caché mais a vu tout ce qui se passait. «L’un d’entre eux a jeté un liquide inflammable dans la pièce. Un début d’incendie s’est déclaré. Heureusement, très rapidement, un voisin a envoyé un extincteur et j’ai pu éteindre les flammes», a-t-il raconté dans Midi Libre. Sa permanence se trouvait au rez-de-chaussée d’un petit immeuble, dont les habitants étaient présents au moment de l’attaque qui s’est produite en marge d’un rassemblement national de gilets jaunes qui se déroulait samedi dans la ville. Les médias locaux ont évoqué la présence de participants au black bloc lors de l’attaque. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a annoncé le déploiement d’un escadron de gendarmerie en renfort. Romain Grau a reçu des soutiens politiques de tous bords. De la présidente de région socialiste Carole Delga à son futur adversaire pour les municipales à Perpignan, le dirigeant du Rassemblement national Louis Aliot. «En démocratie, on peut débattre, contester, critiquer – mais on n’a pas le droit de casser, détruire ou brûler», a fait valoir la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Pour la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, «ce climat de lois de la jungle visant à propager la terreur permanente nuit gravement et durablement à la démocratie».

Laure Bretton