• L’ancien ministre de la Défense accuse le chef de l’État de « céder à l’hubris » et de mettre la France en péril en provoquant la Russie, puissance nucléaire.

    L’ancien ministre de la Défense accuse le chef de l’État de « céder à l’hubris » et de mettre la France en péril en provoquant la Russie, puissance nucléaire.

    Propos recueillis par Nathalie Schuck

     

    Hervé Morin porte un regard sévère sur la politique du président de la République.

    Hervé Morin porte un regard sévère sur la politique du président de la République. © SICCOLI PATRICK/SIPA / SIPA / SICCOLI PATRICK/SIPA

    Pourquoi avoir pris le risque de se mettre à dos nos partenaires de l'Union européenne et de l'Otan et de défier la Russie, puissance nucléaire dotée d'armes tactiques et stratégiques, s'insurge l'ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy (2007-2010) ? Pour Hervé Morin, en évoquant des troupes au sol en Ukraine, Emmanuel Macron s'est comporté en « enfant roi », cédant « à l'hubris » à force d'être « enfermé dans un château depuis sept ans avec une cour ». En dévoilant à l'excès son jeu face au Kremlin, il a fragilisé à ses yeux le concept militaire de l'ambiguïté stratégique.

    « Il parle trop », accuse le centriste, qui invite le président, au lieu de « jouer les va-t-en-guerre », à accélérer les livraisons d'armes et de munitions à Kiev. « Ce que demandent les Ukrainiens aux Français, c'est avant tout que nous soyons un allié crédible et fiable », chapitre-t-il, alors que Paris fait figure de mauvais élève en termes de soutien militaire. Ne fallait-il pas poser des limites à Vladimir Poutine, toutefois ? « Qui peut croire un seul instant que les Russes, qui ne sont pas capables d'enfoncer l'armée ukrainienne, de conquérir un pays avec une armée affaiblie, soient une réelle et sérieuse menace conventionnelle pour l'Otan ? » Le président de la région Normandie met par ailleurs en garde l'exécutif, « pompier-pyromane », contre la tentation de frapper les collectivités territoriales au porte-monnaie pour combler le gouffre de la dette.

    Le Point : En tant qu'ancien ministre de la Défense, avez-vous été choqué d'entendre Emmanuel Macron envisager des troupes au sol en Ukraine ?

    Hervé Morin : Ce sont des provocations d'enfant roi, comme il le fait régulièrement depuis le début de son mandat ! Que ce sujet soit évoqué entre chefs d'État et de gouvernement dans le secret des discussions diplomatiques, c'est naturel. Mais quand on réunit les dirigeants européens à l'Élysée, ce n'est pas pour créer les conditions immédiates de la rupture et de l'isolement de la France. Ce que demandent les Ukrainiens aux Français, c'est avant tout que nous soyons un allié crédible et fiable, ce n'est pas d'annoncer l'envoi de troupes, mais que nous fassions partie des bons élèves qui les aident. Or, nous en sommes de très médiocres sur le plan du soutien militaire puisque nous nous situons, en volume, derrière la Lituanie et l'Estonie et, en pourcentage de PIB [produit intérieur brut, NDLR], parmi les dernières nations européennes. Au lieu de jouer les va-t-en-guerre, le président devrait faire en sorte que l'Ukraine dispose des équipements militaires dont elle a besoin pour se défendre.

    Pourquoi accuse-t-on autant de retard dans nos livraisons d'armements ?

    Parce que nous avons de très faibles stocks de missiles et de munitions du fait de notre modèle même de défense, qui était jusqu'à présent fondé sur le principe de projection et d'opérations extérieures. On voulait de la mobilité, de l'agilité, du renseignement et une force de frappe suffisante lorsqu'on devait intervenir sur le sol africain et, pour le reste, nous avons la dissuasion nucléaire et nous appartenons à une alliance qui s'appelle l'Otan.

    Ne fallait-il pas fixer une limite à Vladimir Poutine ?

    Cette limite existe déjà, c'est l'Alliance atlantique ! Soyons sérieux. Passer la frontière de l'Ukraine en allant vers l'Ouest, c'est-à-dire passer la frontière des pays de l'Otan reviendrait pour Moscou à affronter la plus grande puissance militaire au monde. Qui peut croire un seul instant que les Russes, qui ne sont pas capables d'enfoncer l'armée ukrainienne, de conquérir un pays avec une armée affaiblie, soient une réelle et sérieuse menace conventionnelle pour l'Otan ? Sauf à penser que Vladimir Poutine ait des soucis psychiatriques ! En revanche, provoquer vainement la Russie est inutile et dangereux, car c'est une puissance nucléaire avec des armes stratégiques et tactiques.

    Emmanuel Macron est dans le narcissisme, et Narcisse n’a besoin que de lui-même.

    Comment expliquer, dès lors, la position d'Emmanuel Macron ?

    Quand on est enfermé dans un château depuis sept ans avec une cour, on perd pied avec la réalité, on cède à l'hubris ! Ses soi-disant visites de retour sur le terrain ne se font que sous escorte de gendarmes mobiles et de CRS, il ne voit pas la vraie France. Tous ses prédécesseurs avaient été confrontés aux Français durant leur carrière politique. Ils avaient tous appris la modestie au travers du suffrage universel et de leurs échecs électoraux. Ils n'oubliaient jamais les immenses colères qui peuvent surgir de nos territoires, qui nous rappellent que nous sommes l'un des seuls peuples à avoir renversé son roi. Tout homme politique est égocentrique, mais l'égocentrisme est la culture de soi avec des gens autour. Emmanuel Macron est dans le narcissisme, et Narcisse n'a besoin que de lui-même. C'est sa façon de gouverner : il n'a pas besoin de vrai Premier ministre, il fait les annonces à la place des membres de son gouvernement et, comme avec Narcisse, il y a toujours des provocations inutiles. On en a eu encore la preuve avec cette photo ridicule du président en boxeur…

    N'a-t-il pas simplement agi en vertu du principe militaire de « l'ambiguïté stratégique » ?

    Comme le soulignait le cardinal de Retz, « on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». Cette ambiguïté stratégique existe par nature : nous avons un traité, celui de l'Atlantique nord, avec une obligation de sécurité partagée entre les États membres de l'alliance. L'ambiguïté impose évidemment de ne pas trop parler, et Emmanuel Macron parle trop. D'autant qu'on ne peut pas imaginer qu'une telle décision, l'envoi de troupes, puisse être prise par un seul pays, la France, qui n'a du reste pas de frontière commune avec l'Ukraine. Cela impliquerait de franchir des couloirs aériens d'autres pays européens qui pourraient éventuellement s'y opposer !

    Faudra-t-il un jour se mettre autour de la table pour négocier ?

    Commençons déjà par livrer des armes à l'Ukraine, beaucoup plus qu'on ne le fait. Emmanuel Macron en est à envisager des forces armées, alors qu'il refuse dans le même temps d'envoyer des avions, cherchez la cohérence…

    N'est-ce pas le genre de décision qui devrait incomber à l'Europe de la défense ?

    Je suis un Européen convaincu, c'était le cœur de mon engagement dans ce grand parti qu'était l'UDF. J'ai été ministre de la Défense pendant près de quatre ans. Et je sais une chose : je ne confierai jamais ma défense aux Européens, car la plupart ont démissionné. Avant la guerre en Ukraine, certains pays européens étaient déjà atteints d'une démission quasi munichoise. Aucun effort n'est fait pour augmenter les capacités militaires de l'Europe. Et qui dit défense commune dit processus décisionnel commun, qui conduirait soit à l'impuissance soit à la paralysie, car cela ne pourrait fonctionner qu'à l'unanimité. Si une chose doit rester entre les mains de la Nation française, c'est sa sécurité ultime : sa défense. J'ajoute que nous avons déjà des outils européens que nous n'utilisons jamais, pas même en Afrique, comme les battle-groups ou les unités franco-allemandes, parce qu'il y a en permanence un pays qui n'est pas d'accord. Nous pourrions de même avoir des programmes communs sur l'armement pour bâtir des complémentarités opérationnelles, comme nous l'avons fait avec le traité de Lancaster avec la Grande-Bretagne, ou un partage des tâches, sur la surveillance maritime par exemple.

    Vous dirigez la région Normandie. Face au mur de la dette, le président accuse les collectivités de ne pas en faire assez et menace de vous frapper au porte-monnaie…

    Emmanuel Macron, c'est 1 000 milliards d'euros de dette en plus ! C'est le pompier-pyromane qui nous donne des leçons ! Il autorise le dimanche son ministre de l'Économie à annoncer 10 milliards d'euros d'économies alors qu'il venait de flamber 3,5 milliards le vendredi entre l'aide à l'Ukraine et l'aide d'urgence aux hôpitaux, auxquels continuent de s'ajouter de nouvelles annonces de dépenses depuis un mois, comme les 40 millions pour l'agriculture bio ou les centaines de millions d'euros de « primes JO » dans la fonction publique. Quand la ministre de la Famille, Sarah El Haïry, annonce un plan sur le nombre de places en crèche, qui paie ? La commune ou l'intercommunalité, pour l'essentiel de la charge. Quand un ministre des Sports lance un grand plan d'équipement sportif, qui paie ? Les communes, subventionnées par les régions, les départements et, pour une part, l'État.

     

    Prenons les chiffres : ces deux dernières années, les collectivités ont réduit leurs dépenses de fonctionnement et contribué au désendettement du pays, ramenant leur dette, en proportion du PIB, au même niveau qu'en 2017 malgré la pandémie. Quand on sait que la totalité des dépenses locales ne représente que 18 % des dépenses publiques, soit moins de 300 milliards d'euros, alors que le seul déficit de l'État dépasse désormais les 170 milliards d'euros, qui peut croire que le problème de la dépense publique se situe au niveau des collectivités ? Si, comme on le pressent, nous sommes lourdement frappés financièrement en fin d'année, de nombreux investissements seront abandonnés – par exemple sur le rail, où nous finançons des infrastructures qui appartiennent à l'État. Et, ce qui est sans doute plus grave, cela créerait un peu plus les conditions de l'éclatement de la société française alors que les collectivités sont les dernières à tenir le ciment.

     

     

     

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