• La peur du pouvoir

     

     

     

    Pour que la confiance se maintienne entre deux scrutins, il est nécessaire que les citoyens puissent évaluer le déroulement de la gouvernance et être assurés que leurs capacités créatives sont prises en compte. Quand leurs voix, et celles des autres citoyens, pourront être entendues et prises en compte, le clash des gilets jaunes prendra fin. Cette approche qualité est d’autant plus nécessaire que beaucoup des orientations majeures sont décidées à l’échelon européen et que leur bonne mise en œuvre dépend de chaque nation, de chaque région et de chaque commune. Mon expérience d’expert législatif m’a montré que ces aspirations se heurtent à un obstacle majeur : la peur de dépossession du pouvoir. Il est pourtant possible de dépasser cet obstacle avec :

    1. L’évaluation citoyenne orientée vers le partage des bonnes pratiques
    2. La libération de la création (à suivre)
        1. Mettre le citoyen au centre du marché unique

    Le 16 février 2011, Alain Lamassoure organise au Parlement européen de Strasbourg un petit déjeuner avec plusieurs députés. Il s’agit de célébrer la fondation de la Fédération Eurefer. Auteur du rapport sur «  Le citoyen et l’application du droit communautaire  », M. Lamassoure soutient toutes les initiatives qui visent à placer « Le citoyen au centre du marché unique ». Il a rencontré quelques mois auparavant une équipe formée d’un expert législatif et de parties prenantes intéressés par la mise en œuvre des directives européennes. Il lui a semblé que le projet Eurefer s’inscrivait dans cette démarche.

    Eurefer est une association qui se propose de représenter les parties prenantes (entreprises, syndicats, associations non gouvernementales, experts, citoyens…) pour assurer l’harmonie de la transposition des directives européennes dans les différents Etats membres de l’Union européenne. Cette association dispose du logiciel TaO (Transposition-assistée par Ordinateur) qui permet aux différentes administrations nationales de se coordonner entre elles, grâce à une vision en temps réel de la préparation des lois et règlements de transposition, ainsi que d’échanger les meilleures pratiques dans leur mise en œuvre.

    Lors de ce petit-déjeuner, M. Lamassoure, qui a accepté d’être le Président d’honneur de la Fédération, introduit le projet d’un « Observatoire pour les Citoyens Européens ». Il suggère de modifier TaO afin qu’il permette à tous les citoyens dans les différents Etats de suivre et de comparer les dispositions nationales des transpositions qui les intéresse. La plateforme internet de l’Observatoire recueillera les évaluations données par chaque citoyen, au moyen de notes comparatives assorties de commentaires sur chacune des mesures nationales. Le logiciel calculera les moyennes. Ainsi dans chaque service public national concerné, les fonctionnaires pourront connaître l’évaluation et les préférences citoyennes.

    , Figure 1 La Table unique de Concordance

    Consulté le député allemand, qui participe à la réunion, est très favorable à l’introduction d’un processus d’amélioration continue dans la transposition des directives européennes. Il assure que la Commission qui s’occupe du marché intérieur au Parlement européen apportera son plein soutien au financement de la mise en place de l’Observatoire.

    Figure 2 L'Observatoire des citoyens Européens

        1. Supplément de croissance de 2,6 % pour les années 2012-2020

    Parallèlement à la préparation du marché d’étude pour le Parlement européen, la Fédération Eurefer s’efforce de développer la version beta du logiciel du Module d’évaluation Mutuelle. Elle choisit pour directive pilote la principale directive de l’Union européenne : la Directive sur les services. Dans la société post-industrielle où nous sommes entrés depuis plus de trois décennies, l’essentiel de la compétitivité et de la croissance, dont dépendent l’emploi et les finances publiques, se joue dans le secteur tertiaire. Le développement et la modernisation de ce secteur grâce à la mise en œuvre de la Directive ajoutera un supplément annuel de croissance de 2,6% par an sur la période 2012-2020 indique Michel Barnier dans un discours prononcé à La Haye le 19 octobre 2012.

    La politique qualité développée dans l’administration américaine par MM. Clinton et Al Gore aux Etats-Unis a démontré son impact considérable. Dans le Manuel Qualité de Juran, le Vice-Président Al Gore explique comment il a procédé. En simplifiant les procédures et en modernisant l’organisation des services publics grâce à la pression des parties intéressées, la Présidence Clinton a réalisé un véritable miracle : elle a éradiqué les déficits du budget fédéral et les a transformés en excédents.

     

    Figure 3 L'excédent budgétaire de l'administration Clinton

        1. L’échec de l’évaluation citoyenne

    Pour améliorer la transposition, la Directive sur les services a organisé un « processus d’évaluation mutuelle ».  Il est demandé à chaque Etat membre d’établir un rapport sur la compatibilité de leurs législation avec ses exigences et de soumettre ces rapports à l’évaluation « des autres Etats membres et (de) toutes les parties intéressées ». Au vu des observations collectées, la Commission doit rédiger un « rapport de synthèse » accompagné de « nouvelles initiatives ».

     

    Cette évaluation mutuelle aurait pu présenter un caractère révolutionnaire en associant les citoyens à l’évaluation de la mise en œuvre des directives qui les concerne. La notion de parties intéressées inclue en effet tous les citoyens concernés par l’application de cette directive. Cela n’a pas été le cas. Beaucoup d’Etats qui étaient en retard dans la transposition n’ont pas transmis leurs rapports d’évaluation. La procédure de l’évaluation à venir est restée confidentielle. Sur les 200 millions de citoyens concernés par la consultation, 71 personnes ont répondu.

    Figure 4 La participation des citoyennes et des citoyens à la mise en oeuvre de la directive

    De fait, compte tenu des expériences précédentes, on savait que la transposition – mises à part quelques exceptions – ne se déroulait pas dans de bonnes conditions. En fait, comme l’étude détaillée publiée plus tard aux Editions Springer (Stelkens and al., The Implementation of the EU Services Directive) allait le démontrer, l’esprit de simplification et de modernisation de la Directive a été détourné de sorte de ne toucher à rien, et ses effets bénéfiques sur les déficits publics, la croissance et l’emploi ne se sont pas réalisés.

    Vu l’importance des enjeux, que cet échec soit passé sous silence est particulièrement choquant. Les directives européennes sont devenues une des principales sources des lois et règlements nationaux. Placer les citoyens au centre de l’Union européenne par l’évaluation mutuelle aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ, d’une nouvelle légitimité.

    Dans le processus de la transposition, la part laissée aux Etats membres, c’est-à-dire la mise en œuvre, est très importante ; voire plus importante que la directive elle-même, L’exemple de la Directive sur les services n’est pas unique. De fait, une part considérable des objectifs fixés par les directives ne sont pas réalisés. La manière dont les directives sont exécutées intéressent les citoyennes et les citoyens au premier chef. D’autant que, si on leur reconnaît un pouvoir d’évaluation dans leur mise en œuvre, ils pourront à cette occasion donner leur avis sur les objectifs de la directive elle-même. 

    Cette mal gouvernance caractérisée s’explique par la peur du pouvoir de réduire ses marges de manœuvres – souvent injustement appelées souveraineté.

        1. Identifier les meilleures pratiques sur son smartphone

    A l’occasion de la mise en œuvre du MeM, la peur du pouvoir va se manifester à nouveau. Pour démontrer les facilités apportées par le numérique, Eurefer met en ligne la plateforme MeM et développe une organisation de référents.

    Le premier souci d’Eurefer a été de vaincre la complexité juridique de la législation et de rendre les directives et les transpositions lisibles pour tous les citoyens. Ceci est rendu possible par la « Table unique de Concordance » : chaque directive est découpée en une série de « dispositions élémentaires » dont chacune est désignée par un label particulier. Les mesures nationales de transposition sont découpées et rangées sous les mêmes labels. Un moteur de recherche du type Google permet aux citoyens d’accéder directement aux dispositions qui les intéressent (entretien du jardin d’enfants par exemple).

    Se présentent sur leurs smartphones, la disposition de la directive recherchée, les mesures nationales correspondantes et les mesures nationales de l’Etat le mieux valorisé par les autres internautes. L’utilisateur peut s’il le désire consulter d’autres dispositions voisines de la directive, faire défiler les mesures des autres Etats pour les comparer à ses dispositions nationales. Il peut aussi lire les notes et les commentaires des autres internautes. Une fois qu’il a pu forger son opinion, il note la qualité de sa législation nationale soit par des étoiles (1 à 5) ou par un pourcentage (1 à 100) et justifie son évaluation par un commentaire. S’il considère que la bonne pratique mise en avant par les autres internautes n’est pas vraiment la meilleure, il peut réexaminer celle-ci, abaisser la note et motiver sa décision, puis valoriser celle qui a sa préférence.

    Avant que les citoyens n’interviennent des Comités de référents (experts, entreprises, organisations non gouvernementales, représentants de l’administration) interviennent, pour chaque secteur concerné, au niveau européen et au niveau national pour donner un premier avis visant à éclairer les citoyens sur toutes les dispositions. Ces Comités de référents sont aussi réunis pour établir un rapport de synthèse des commentaires au vu des notes moyennes calculées par la plateforme.

    Figure 5 La dynamique de l'évaluation citoyenne

    1.5 La peur du pouvoir

    L’équipe d’Eurefer a tenté de présenter son projet aux décideurs de la Commission de Bruxelles, du Parlement européen et de la République française. Malgré les hautes recommandations dont bénéficiait la Fédération et l’importante documentation fournie à ses interlocuteurs, obtenir des entretiens pour réaliser des démonstrations s’est révélé difficile. Par exemple, malgré l’injonction donnée par le Ministre Borloo, le Secrétaire Général du Ministère a refusé d’assister à une démonstration de la plateforme au motif qu’il ne voyait pas en quoi celle-ci pourrait apporter une « valeur ajoutée ». A deux reprises, lorsqu’il a été possible d’effectuer une démonstration fonctionnelle de la plateforme, les participants ont été étonnés, tant par sa facilité d’emploi, que par l’énormité des écarts de transposition qu’elle permettait de mettre en évidence.

    Avec l’aide des étudiants de l’Ecole du Management de Strasbourg, la Fédération Eurefer a conduit une grande campagne d’information auprès des Parlementaires européens. Ceux-ci se sont montrés presque tous intéressés par le nouvel outil - il était destiné à améliorer la mise en œuvre des directives dont ils sont les principaux auteurs. Malgré l’appui de grands leaders, le Président de la Commission du Parlement chargé du marché intérieur, dont l’accord était indispensable, s’est opposé farouchement à la mise en œuvre de l’Observatoire des citoyens Européens.

    Figure 6 Une des équipes de l'EM devant le Parlement européen

    D’après les informations recueillies en coulisses, l’hostilité marquée par le pouvoir s’explique par la crainte de voir réduire « ses marges d’ingénierie politique  ». Cette hostilité avait déjà été rencontrée quand Robert McNamara avait voulu mettre en œuvre le Planning Programming Budgeting System (PPBS) dans l’administration américaine. La RCB (Rationalisation des Choix Budgétaires) s’était heurtée aux mêmes résistances en France.

    On peut s’interroger sur le bien-fondé de la peur du pouvoir. Pour lui, mettre en œuvre l’évaluation mutuelle des citoyens revient tout simplement à écouter les citoyens, s’informer des meilleures pratiques du terrain et développer dans l’administration un principe d’amélioration continue. Dans le domaine de la santé, Simone Weil avait développé un plan formidable qui a permis aux hôpitaux français d’être parmi les meilleurs du monde. Comme dans les entreprises privées, le Zéro défaut devrait devenir l’objectif des administrations publiques.

    Si Mr. Malcom Harbour, Président de la Commission du Parlement chargé du Marché Intérieur, avait dit oui à l’évaluation mutuelle, le sort de l’Union européenne aurait sans doute été différent. Les déficits publics et le chômage auraient disparu. Le referendum sur le Brexit n’aurait pas été positif. Un grand débat public permanent aurait été instauré avec les citoyens. Les Gilets jaunes auraient fait usage de leurs smartphones plutôt que des barricades.

        1. Beaucoup reste possible aujourd’hui

    Aujourd’hui, la crise des gilets jaunes est avant tout une manifestation du mécontentement des citoyennes et citoyens. Comme l’indique dans une récente conférence François Séners, rapporteur général de la section du rapport et des études au Conseil d’Etat, « il y a 60% des citoyens en France et dans les autres pays comparables qui sont mécontents du fonctionnement de la démocratie, à peu près autant qui considèrent qu’ils ne sont pas suffisamment associés à la chose publique … et il y a très peu de dispositifs publics associant les citoyens à l’évaluation et au contrôle de la mise en œuvre des politiques publiques ».

    Beaucoup reste possible aujourd’hui. Par exemple : en ce moment même, la Communauté urbaine de Bordeaux instruit le marché d’étude du Tableau des indicateurs et des labels Prieur. Michel Prieur a mis au point toute série d’indicateurs pour permettre de suivre les performances des régions, des Etats et des continents en matière de transition écologique. L’ONU peut reprendre ces indicateurs et ces labels, les directives du Paquet climat, le logiciel TaO et le système MeM, de sorte à ce que tous les Etats du monde puissent partager les bonnes pratiques et mettre en œuvre réellement les objectifs de la COP 21. Les marchés pour l’Europe seraient considérables. 100 milliards de dollars ont été budgétés à cette fin en 2020.

    « Il n’est de richesses que d’êtres humains. » Une dynamique plus forte encore peut encore être conduite avec les citoyens. Nous verrons, dans un prochain article, comment la créativité de 7 milliards d’êtres humains, cruellement sous-exploitée actuellement, peut-être mise au service d’un Plan Global de Contrôle du Changement Climatique (PG3C), motiver nos concitoyens, changer nos modes de production polluants et permettre d’atteindre les objectifs impossibles, en l’état actuel des choses, que se sont assignés les dirigeants de la planète.

    Alain Souloumiac

    Expert législatif européen

     

    « Les débilités de la France & ses cerveaux démunis de neurones & des mélanges des genresINQUIÉTUDE POUR CES BÉBÉS OGM »