Concerts, expositions, stands et conférences, la rencontre organisée par l’antenne française de l’association Norml (National Organization for the Reform of Marijuana Laws) est une première dans l’Hexagone. L’idée : surfer sur la vague du phénomène américain 420 (prononcer «four twenty»), pour célébrer la culture du cannabis en France et s’impliquer dans un processus politique. Pour Sophie Nicklaus, membre de Norml France, «ce festival est l’occasion de réhabiliter cette date mythique pour les usagers de cannabis. On leur donne la parole et la liberté».Créée en 1970 aux Etats-Unis, Norml milite pour une réforme des lois sur le chanvre et les autres stupéfiants. Mise en place à Bordeaux en 2014, la division française du collectif rassemble plus d’un millier de citoyens et entend fédérer autour de la législation du cannabis. Sophie Nicklaus, également porte-parole du parti EE-LV en Ile-de-France : «C’est un moment qui représente toute cette culture qui va de l’usager à l’artiste, en passant par les projets d’entreprise, jusqu’aux histoires personnelles. Notre discours est axé autour de la réduction des risques et de la promotion d’une régulation responsable de la filière. C’est un mouvement large qui dit que l’interdiction ne fonctionne pas.»

Un circuit à définir et organiser

Selon une enquête publiée le 18 avril par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), plus de 9 Français sur 10 (91%) se déclarent favorables à une prescription «par les médecins dans le cadre de certaines maladies graves ou chroniques». Quelques jours plus tôt, à l’occasion d’un déplacement dans la Creuse, le Premier ministre, Edouard Philippe, estimait qu’il serait «absurde» de s’interdire d’étudier les possibilités du cannabis thérapeutique. Dans ce département, l’un des plus pauvres du pays, la culture de cette plante à des fins médicales est un des projets de développement, emmené par le président du Grand Guéret, l’ancien anesthésiste Eric Corréia. En décembre 2018, c’est le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mis en place par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui s’est prononcé «en faveur de la pertinence de l’usage du cannabis thérapeutique». L’ANSM a depuis demandé au CSST de définir le circuit de distribution et de délivrance ainsi que les modalités d’administration, les formes pharmaceutiques et les dosages et concentration en principe actif dispensés.

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Ancien architecte, Frédéric Prat s’est reconverti dans la recherche autour du cannabis thérapeutique et développe petit à petit un réseau d’entreprises partenaires. Son histoire avec cette plante est fortement liée au cancer qui a touché sa mère et maintenant sa sœur aînée. «L’huile essentielle de CBD et les gélules l’aident à se détendre, à soulager ses douleurs.» Via sa boutique Chanvre Avenue, il s’est lancé dans le créneau du cannabidiol (CBD) et entreprend des projets de partenariats avec le génopole d’Ivry, un bioparc dédié à la génétique et à la biotechnologie. «Ma boutique est un moyen de promouvoir le CBD via des cosmétiques ou encore de l’aromathérapie, sans propriété psychotrope et non régi par la loi sur les stupéfiants. Le plus important est d’avancer sur le cannabis thérapeutique, pour favoriser l’accès pour les patients.»

«Il faut faire confiance au patient»

Pour Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles, «le CBD est un super outil de réduction des risques. On voit qu’il y a beaucoup de patients, certains avec des pathologies lourdes, qui trouvent dans le CBD des réponses pour soulager leur douleur. Le retour patient est très fort et le constat est là». Les spécialistes invoquent pour la plupart l’exemple du modèle suisse qui propose des produits de bien-être chargés en THC dosé à moins de 0,2% ainsi que des produits de CBD avec un certain seuil. «Je pense que le gouvernement actuel n’aura pas d’autre choix que d’autoriser le CBD. La question est de savoir si les problématiques des patients seront prises en compte. Car les dispositifs prévus pour l’instant sont très contraignants, comme la dispensation en pharmacie d’hôpital. Si on multiplie les contraintes par peur du détournement, le gars ira sur Amazon et achètera son CBD. On aura raté le coche. Il faut faire confiance au patient et faire quelque chose de souple.»

Béchir Bouderbala, 24 ans, est responsable lobbying et justice au sein de Norml France. Il suit de près les évolutions de la législation et accompagne juridiquement les usagers de cannabis. «En France on ne peut pas produire du CBD mais il est possible de s’en faire livrer par la poste venant d’Espagne ou d’ailleurs. La loi est tellement mal comprise.» Pour Sophie Nicklaus, «ce n’est pas parce qu’une drogue est mauvaise qu’elle est interdite, c’est tout l’inverse».

Avocat très actif en faveur de la légalisation du cannabis, Francis Caballero était également présent au festival à l’occasion d’une conférence autour de l’usage médical. Plus que le cannabis thérapeutique, l’ancien professeur de droit pénal défend la légalisation du cannabis récréatif. «L’Etat doit s’emparer de ce commerce. Il restera dans son rôle de contrôle de la filière qui va de la production jusqu’à la distribution. Nous avons le zamal de la Réunion, la ganja des Antilles, et des territoires ensoleillés pour cultiver le cannabis, dit-il face aux visiteurs. Il faut utiliser ces territoires comme des laboratoires pour montrer qu’on peut arriver à encadrer cette culture sans problème. Ce serait la Française du cannabis.»

Charles Delouche