• La prise de parole, une prise de pouvoir

    La prise de parole, une prise de pouvoir

     

    BÉLIGH NABLI 22 AVRIL 2019 

    (MISE À JOUR : 23 AVRIL 2019)

    - Par NOV : NABLI, ORRU, VIKTOROVICH.

    Vendredi 19 avril 2019. Les visages sont fermés, les mains moites, les jambes ballotantes. Depuis les coulisses, les neufs lycéennes et lycéens guettent les centaines de spectateurs qui investissent leurs sièges. Dans quelques minutes, ils pénétreront à leur tour dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Montreuil. Avec une nuance : eux devront parler. Non pour réciter un texte, lire un poème ou jouer un rôle. Mais pour porter leur propre voix. Ces cinq jeunes femmes et quatre jeunes hommes sont les finalistes des Libres Parleurs, le concours d’éloquence des lycéens de Montreuil.

    Ils ont chacun cinq minutes pour traiter d’un des sujets les plus exigeants qui soit : s’approprier, à leur manière, notre devise républicaine. Nous dire comment s’incarnent, pour eux, nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Le jury de personnalités chargées de les départager, présidé par le Maire de la ville, a déjà pris place. Soudain, silence. Un candidat s’avance. Les premiers mots résonnent.

    Pendant près d’une heure, ces lycéens nous disent leur vérité. Racontent ce que signifie être jeune au 21è siècle, dans une ville de banlieue. Certains évoquent le sort des migrants qui se noient dans la Méditerranée. D’autres expliquent la souffrance de sentir rejeté par une partie de ses concitoyens, pour sa religion ou de sa couleur de peau. Ils parlent d’eux, de leurs parents, de leurs amis, de leur quotidien. Tous portent un regard doux-amer sur notre devise, promesse sans cesse réaffirmée, jamais réalisée. Liberté, vraiment ? Égalité, jusqu’où ? Fraternité, pour qui ? Mais tous disent également, chacun à leur manière, leur fierté d’être français ou d’avoir été accueillis en France.

    Le dernier mot s’éteint. L’émotion subsistera longtemps encore. Le jury se retire pour une courte délibération, et revient avec un verdict. Le gagnant est une gagnante. Meilleure jeune oratrice de Montreuil en 2019. Elle a effectivement été brillante. Tout le monde n’espère qu’une chose : avoir l’occasion de l’entendre parler à nouveau, bientôt. Mais au fond, sa victoire n’a pas d’importance. La seule chose qui compte, c’est d’avoir vu ces lycéennes et lycéens faire vibrer leurs voix. Eux, que l’on entend si peu dans les grands médias, ont démontré ce soir qu’ils n’avaient besoin de personne pour prendre la parole à leur place.

    Le rideau retombe sur la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville. Mais l’expérience, elle, s’impose d’ores et déjà comme un éclatant plaidoyer en faveur de l’enseignement généralisé de l’éloquence et de l’argumentation – en un mot, de la rhétorique. Car au delà de ces neuf finalistes, les Libres Parleurs de Montreuil, c’est avant tout un projet au long cours. Pendant trois mois, sous la coordination de Clément Viktorovitch, des ateliers rhétoriques ont rassemblé une soixantaine de volontaires dans tous les lycées publics de la ville. Chaque groupe était animé par un professeur de l’établissement et un intervenant extérieur. Les participants ont été régulièrement rassemblés, à l’occasion de trois Masterclass dans lesquelles des grands noms de l’éloquence sont venus leur prodiguer leurs conseils. Qu’ils soient issus de filières générales, technologiques ou professionnelles, qu’ils aient commencé avec des facilités ou des angoisses, en un trimestre, tous ces jeunes étaient devenus de vraies graines d’orateurs.

    Ne nous y trompons pas : au moment où le Ministère de l’Éducation nationale envisage de réformer le bac pour y introduire un exercice de grand oral, cette question est essentielle. Car la langue, c’est la première chose que l’on reçoit en héritage. Pour qui a grandi avec un parent anglophone, il n’y a aucun mérite à parler un anglais parfait. De la même manière, pour qui a été élevé par des parents professeurs, avocats, écrivains, il n’y a aucune gloire à s’exprimer dans un français virtuose. Il s’ensuit que, sans un enseignement spécifique de l’oralité au sein de l’école républicaine, cette nouvelle épreuve du bac ne ferait rien d’autre que discriminer les candidats en fonction de leur origine sociale.

    Au contraire, l’expérience montreuilloise montre qu’un enseignement de la rhétorique à tous les jeunes est possible. Avec un peu de temps, de bienveillance et d’accompagnement, chacun peut assimiler cette compétence cruciale à l’exercice de sa citoyenneté. Apprendre à défendre sa pensée. À faire valoir son point de vue. En un mot : devenir un libre parleur.

    « Le temps d’un week-end, le premier festival français garanti 100% chanvre s’est déroulé dans le XIIIe arrondissement de la capitale. a été hospitalisée sous contrainte en psychiatrie pendant cinq mois à la demande de sa mère. »