• "Les pays alliés s'espionnent mutuellement depuis toujours"

     
    Espionnage américain au Danemark : "Les pays alliés s'espionnent mutuellement depuis toujours"

    SAUL LOEB / AFP
    SAUL LOEB / AFP

    Espionnage américain au Danemark : "Les pays alliés s'espionnent mutuellement depuis toujours"

    Renseignement

    Propos recueillis par Pierre Coudurier

    Publié le 01/06/2021 à 18:19

    Selon les révélations de plusieurs médias ce dimanche 30 mai, les renseignements américains ont espionné des personnalités politiques européennes entre 2012 et 2014, grâce à des câbles sous-marins installés au Danemark. Ces pratiques pour le moins surprenantes ne sont pourtant pas des cas isolés.

    L’OTAN est confrontée à un nouveau scandale d’espionnage. Un rapport interne des services de renseignement danois, dévoilé par un consortium de journalistes européens, a été diffusé sur Danmarks Radio dimanche 30 mai. D’après l’enquête, Washington s'est servi entre 2012 et 2014 du réseau de câbles sous-marins danois pour écouter des personnalités politiques, reparties dans plusieurs pays européens (Allemagne, France, Norvège, Suède). En outre, la NSA aurait collaboré avec les services de renseignement militaire danois. Si l’assentiment des Danois n’est pas encore assuré, le rôle du Royaume dans l’opération pourrait venir accroître encore davantage la portée de l’affaire. Le Danemark est le seul pays nordique à être à la fois membre de l'OTAN et de l'UE.

    Ces évènements interviennent 8 ans après les révélations d’Edward Snowden ce lanceur d’alerte de la NSA (Service de renseignement étasunien) qui a révélé au monde la surveillance de masse internationale de la première puissance mondiale. Mais aussi cinq ans après que Julian Assange par le biais du site WikiLeaks, ait révélé que les États-Unis ont écouté Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande entre 2006 et 2012. Sommes-nous pour autant en train d'assister à une banalisation de ce genre de révélation ? A en croire Emmanuel Macron, pas encore : « Ce n'est pas acceptable entre alliés » et « encore moins entre alliés et partenaires européens », a-t-il déclaré à l'issue d'un conseil des ministres franco-allemand, lundi 31 mai. Des propos aussitôt approuvés par la chancelière allemande, visée personnellement par les écoutes. Peut-on toutefois être convaincu que les dirigeants des deux plus grandes économies européennes ne sont pas au courant des agissements du voisin étasunien ?

    Pour y voir plus clair, Marianne s'est entretenu avec Jacques Follorou, journaliste d’investigation au « Monde », spécialiste du renseignement et auteur de « La guerre secrète des espions » aux éditions Plon.

    Marianne : Après les révélations successives de WikiLeaks et de Edward Snowden, ces nouvelles accusations sont-elles surprenantes ?

    Jacques Follorou : Même si cette affaire intervient après des faits relativement similaires, les révélations n’en demeurent pas moins importantes. Et notamment car ce sont des médias qui étalent l'affaire sur la place publique. Cela permet aux populations de prendre la mesure des surveillances qui existent dans les démocraties occidentales. Tandis que les États souhaiteraient conserver ces affaires dans un périmètre secret.

    Ces évènements s’inscrivent dans un cadre de coopération qui a été mis en place entre les principales démocraties occidentales au début des années 2000. En juin 2005 à Amsterdam, il y a eu une rencontre clé entre les différents directeurs techniques des services de renseignement alliés. Ces derniers ont établi les bases de la coopération entre douze pays. Mais il faut bien comprendre que la NSA s’est positionnée comme le grand frère américain, en structurant cette opération via de gros moyens techniques. C’est bien à ce moment qu’ont été créées les conditions d’un double jeu des Etats-Unis.

    Les Danois affirment ne pas avoir été mis au courant de ces opérations. Est-ce crédible ?

    C'est là toute la question. Après les révélations de Snowden, les Danois comme les Allemands ou encore les Français ont réalisé des audits très poussés afin de traquer d’éventuels dispositifs espions placés par la NSA à leur insu. Comme c’est le cas aujourd’hui avec le Danemark, les États Unis avaient, en 2015, profité de stations d’observation en Bavière pour espionner des grandes sociétés allemandes comme Siemens. Pour cela ils ont apporté clé en main des outils très puissants, dans le but de doubler les autorités nationales. Ce sont les termes de ce double jeu.
    Il en va de même pour la France qui s’était vue proposer un dispositif d’interception de données en 2006 via la fibre optique, et des câbles sous-marins. Paris avait refusé au motif que le pays avait vocation à avoir une totale autonomie.

    Le caractère historique de l’espionnage entre pays dits « amis » ne date pas d’hier. Pourquoi s’espionne-t-on entre alliés?

    Il y a une leçon importante qui a été prise post 11 septembre 2001. Après les attentats de New York, les pays alliés ont fortement collaboré en matière de terrorisme, respectueux de la souveraineté de chacun. Cependant pour tous les autres sujets, il n’y a jamais eu d’amitié qui tienne. Les États quels qu’ils soient, peuvent être alliés, mais se cibler mutuellement. C’est un principe général qui vaut dans le monde du renseignement. En dépit de la longue amitié historique entre des pays alliés, l’espionnage économique et politique est monnaie courante.

    Y a-t-il déjà eu des conséquences diplomatiques suite à des espionnages entre partenaires, ou les contentieux sont-ils souvent réglés derrière le rideau ?

    Lorsque ce type d’affaire apparaît sur la sphère publique, il y a des déclarations de principes qui sont faîtes, mais ça ne va pas plus loin. Depuis les 20 dernières années, les affaires se règlent principalement en coulisse. Dès lors que les pays ciblés ont des preuves solides pour prouver leurs accusations, cela peut donner lieu à un échange. Les responsables politiques ne se satisfont pas d’un engagement de ceux qui les ont espionnés, et demandent un dédommagement. Les Etats ont l'habitude de mettre la pression en disant que si rien n'est offert en retour, l'affaire peut prendre une tournure politique et médiatique.

    Après les révélations de 2015, quelles ont été les mesures prises par la République pour contrecarrer les surveillances extérieures, mais aussi afin d'encadrer le renseignement français ?

    Après 2015, il y a eu un dialogue mondial sur les questions de surveillance, ainsi que des engagements de Barack Obama à ne plus espionner ses alliés. Quant à la capacité de collecte de renseignements française, elle est écrite dans le livre blanc de la défense publié en 2013. C’est un pilier de la sécurité nationale, au même titre que la dissuasion nucléaire. Les États campent sur les frontières du secret, car le renseignement est avant tout un souci d’efficacité et de sécurité nationale.

    La CNCTR (La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement) est une autorité administrative indépendante créée en 2015. C’est le seul petit contre-pouvoir face au gouvernement en termes de renseignement. Dans leurs rapports, ils ont écrit qu’ils souhaitaient voir apparaître une nouvelle loi qui prenne en compte les nouvelles capacités technologiques, en y adossant une protection des libertés. Mais cette proposition a pour le moment été rejetée par le gouvernement. Si un tiers suspecte l’état d’avoir indûment procédé à de la surveillance, il peut déposer un recours devant le CNCTR qui ira en appel au conseil d’État. Cet organisme a un rôle de contrôleur, et donne un avis juridictionnel.

    La Chine a été accusée d’espionner les discussions de l’Union européenne depuis son ambassade à Bruxelles. Quelle est l’ampleur de la menace d'espionnage chinoise ?

    Pour les dictatures que ce soit la Chine ou la Russie, le renseignement est un élément de puissance extérieure, mais aussi de sécurité intérieure. C'est un élément de protection du pouvoir qui permet de faire pression sur les individus et les libertés. Sans le renseignement qui est un moyen d’oppression, les dictatures ne pourraient pas tenir. Ce n'est pas du tout la même fonction dans les démocraties.

    La Chine s’est historiquement appuyée sur sa diaspora, tenue d'informer l'État si besoin, afin de préserver l’intérêt national. Cette formule est davantage utilisée que l'envoi d'espions. C'est une sociologie de renseignement différente. Aussi Pékin a-t-il des moyens techniques cyber qui sont importants, et permettent de s'insérer dans des systèmes, d'où l'affaire que vous évoquez au parlement de Bruxelles. Il en va de même pour l'OTAN, ennemi de la Chine, qui espionne ses discussions pour avoir des informations avant les négociations commerciale

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