• Quelle réforme pour la réversion dans la réforme des retraites qui se prépare ?

     

    Avec la mise en place future d'un nouveau système de retraite tel qu'annoncé par Monsieur Macron dans son programme présidentiel, la réversion n'a pas fini d'enflammer les débats. Son coût de 36 milliards d'Euros par an représente environ 12% du budget des retraites. Par ailleurs, si ses objectifs étaient clairs au moment de sa création, ils sont devenus plus difficiles à identifier à une époque où les femmes ont largement intégré le monde du travail et où le nombre annuel de mariages poursuit inexorablement sa chute dans une société aux moeurs de moins en moins normés.

    C'est dans ce contexte que se présente la problématique de la pension de réversion dans un nouveau système de retraite où "un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé". Telle était la phrase clé du programme de Monsieur Macron lorsqu'il décrivait son futur système de retraite.

     

    Un dispositif souvent méconnu des jeunes générations, la réversion quésaco ?

    Faites un petit sondage auprès des jeunes voire même des trentenaires qui vous entourent. Demandez-leur s'ils connaissent l'existence de la réversion. Vous constaterez que la plupart d'entre eux en ignorent le principe et même son existence. Il convient donc d'en rappeler les grandes lignes. Mais avant cela, il est nécessaire d'analyser notre propre système de retraite.

     

    Les principes fondateurs de notre système de retraites

    Les régimes obligatoires de retraite par répartition, de base (retraite dite « Sécu »), complémentaires ou intégrés, offrent une protection sociale étendue en France. Ils garantissent des droits personnels de retraite à leurs assurés, mais également des avantages familiaux et conjugaux sous forme de pension de réversion pour un certain nombre d’ayant-droits (le conjoint survivant, les ex-conjoints survivants, ainsi que les enfants mineurs ou à charge dans certains régimes).

    La philosophie générale autour de laquelle notre système de retraite est construit consiste à lier l'acquisition des droits à la retraite au travail.

    La jouissance de ces droits sous forme de pension de retraite est financée collectivement. Notre système de retraite est financé à 75% par une part prise sur la richesse produite par le travail des actifs qui eux-mêmes acquièrent des droits à la retraite en échange de cette participation. Ces droits dépendent dans une certaine mesure de l'effort contributif de chaque actif, mais ils dépendent aussi de la durée pendant laquelle chaque actif a participé au financement de ce volet de la protection sociale : la pension de retraite tient compte de la durée de cotisation. Cette partie du financement constitue ce que l'on appelle la solidarité intergénérationnelle.

    Ces droits acquis par les actifs en échange de leur participation au financement du système des retraites sont des droits à caractère contributif. Comme leur obtention est liée au travail, ce sont des droits personnels.

    Une caractéristique essentielle de notre système de retraite est son lien étroit avec le travail.

    Les 25% restants sont financés par l'impôt au sens large y compris par l'impôt payé par les retraités eux-mêmes.

     

    A ces droits s'ajoutent des avantages non contributifs qui peuvent compléter la pension du bénéficiaire sans résulter d'une contribution financière supplémentaire de l'intéressé. Ces avantages non contributifs dont font partie les avantages familiaux et conjugaux de retraite sont financés collectivement.

    Jusque dans les années 2000, ces compléments de protection sociale non contributifs étaient qualifiés d'avantages. A partir de 2005 (environ) ces avantages ont été requalifiés de droits par certains acteurs de la protection sociale si bien que l'on parle aujourd'hui à tort de droits familiaux ou de droits conjugaux de retraite alors qu'il s'agit d'avantages de retraite car ils sont non contributifs et ne sont pas accordés à tout le monde.

     

    Certains pays comme le Royaume Uni ont fait d'autres choix.

    Une pension de base identique est attribuée à chaque citoyen sous les seules conditions d'âge et durée de résidence dans le pays. Cette pension est faible, elle est censée assurer le minimum vital. Ce système dit Bévéridgien laisse une large place au développement des systèmes par capitalisation (fonds de pensions). Le système de retraite Suisse est lui aussi principalement fondé sur la capitalisation. Le 2ème pilier Suisse est comptabilisé en Francs Suisses et la pension qui en découle n'est fonction que du capital accumulé. Le 2ème pilier Suisse est une retraite par capitalisation. Dans certains cas il est possible de retirer prématurément ses avoirs de retraite, par exemple pour acheter son logement.
     

    La réversion

    Le principe général de la réversion consiste à attribuer au conjoint survivant, sous certaines conditions, une partie de la pension que le défunt percevait au moment de son décés.

    Dans certains régimes de retraite il existe une réversion temporaire pour les orphelins.

    Historiquement, elle a d'abord été accordée au conjoint du fonctionnaire décédé. Après la guerre, cet avantage conjugal de retraite, la réversion, a été généralisé à l'ensemble des assurés sociaux au moment de la naissance de la Sécurité Sociale.

    Conçue dans une société aux mœurs normés, elle faisait écho au modèle Pétainiste de la famille. La femme à la maison, l'homme au travail. La vie en couple conditionnée au mariage, pas d'enfant hors mariage au point d'appeler "enfants illégitimes" les enfants de l'adultère et de différentier leurs droits de ceux nés dans le cadre du mariage.

    Sans réversion, la femme serait tombée dans la pauvreté au décès de son mari et à la charge exclusive de ses enfants. Minimum contributif, minimum vieillesse, APL, ASPA, APA n'existaient pas. Allocations pour garde d'enfants, crèches, etc.. n'existaient pas, les semaines de travail duraient 44 heures. Il était difficile et même impossible de concilier vie professionnelle et vie familiale.

    Aujourd'hui encore, cette conciliation reste difficile dans des pays comme l'Allemagne ou la Suisse où l'on considère que le rôle de la femme est celui de s'occuper des enfants avant de s'occuper de sa propre carrière. L'Allemagne profonde surnomme encore "corbeaux" les mères de famille qui travaillent.

     

    A l'origine la réversion ne pouvait être obtenue que selon des critères extrêmement stricts.

    Il fallait n'avoir aucun droit personnel de retraite pour en bénéficier. Peu à peu les conditions d'attribution se sont assouplies, en particulier pour répondre aux exigences d'égalité hommes-femmes. Ce n'est par exemple qu'en 2004 que les conditions d'attribution aux veufs de fonctionnaires décédées ont été alignées sur celles imposées aux veuves de fonctionnaires.

    La réversion que nous connaissons est attribuée selon des modalités différentes en fonction du régime de retraite. Pour simplifier nous nous limiterons à décrire les règles appliquée aux salariés du privé et à ceux de la fonction publique, ce qui couvre l'essentiel des assurés.

    Les salariés du privé sont affiliés à plusieurs régimes obligatoires de retraite. Le régime de base dit "Retraite Sécu" et les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO.

    1. La réversion du régime de base correspond à 54% de la pension de base du conjoint décédé. Elle est accordée sous condition de revenus. En 2018 le plafond de ressources pour en bénéficier s'établit à 20550,40 Euros/an.
    2. S'ajoute à cette réversion celle des régimes complémentaires qui est égale à 60% de la pension complémentaire du conjoint décédé. Elle est accordée sans condition de revenus du bénéficiaire mais sous condition de non remariage. Le remariage fait perdre définitivement la réversion.

    Les fonctionnaires n'ont qu'on seul régime de retraite qui regroupe implicitement base et complémentaire. Dans ce régime qui fonctionne exclusivement en annuités, la réversion est égale à 50% de la pension du défunt. Il n'y a pas de condition de revenus mais son obtention est soumise à une condition de non remariage, non PACS et non concubinage. Lorsque la nouvelle union se termine, elle peut être rétablie à condition qu’elle n’ait pas déjà été attribuée à un autre conjoint du défunt.

    En présence d'ex-conjoints la pension de réversion est répartie entre les bénéficiaires en fonction de la durée de chaque mariage.

    La réversion est donc d'une façon ou d'une autre soumise à une condition de revenus explicite ou implicite (condition de non remariage) et n'est accordée qu’aux conjoints survivants de couples mariés ou ayant été mariés.

     

    Un dispositif coûteux dont les objectifs sont difficiles à identifier.

    En 2017, les dépenses de réversion s’élevaient à 36 milliards d’euros soit environ 12 % du total des pensions versées. Ces 36 milliards d'Euros bénéficient à 90% aux veuves, les hommes sont largement minoritaires en tant que bénéficiaires de la réversion.

    Si son objectif initial était clair et pouvait être facilement compris dans le modèle normé de société de l'époque, il n'engendrait pas non plus de sentiment d'injustice. Il y avait peu de célibataires, le PACS n'existait pas, peu de couples en concubinage, la majorité des couples étaient mariés, la majorité des veuves n'avaient jamais travaillé.

    Il n'était donc pas aberrant d'accorder une pension à ces femmes qui autrement auraient sombré dans la pauvreté au décès de leur mari. Beaucoup de ces veuves là sont encore en vie, ce sont ces femmes de 70, 80 ans et plus dont la quasi totalité des ressources provient de la réversion. C'est pourquoi il est indispensable de ne pas modifier le système pour ces générations. Il est indispensable aussi de ne pas modifier le système pour ceux qui ont déjà accompli l'essentiel de leur carrière parce que des décisions aux effets irréversibles ont pu être prises en fonction de cette promesse de réversion qui leur a été faite par la collectivité, à tort ou à raison, en échange de mariage. On ne peut pas réécrire leur passé.

    Cependant, avec la conquête massive par les femmes du monde du travail, on peut s'interroger sur l'objectif d'un tel dispositif puisque les femmes sont aujourd'hui en mesure de se constituer des droits propres par leur travail, complétés par des avantages familiaux de retraite qui leurs sont accordés comme la MDA (majoration de durée d'assurance permettant d'annuler une éventuelle décote ou d'obtenir une surcote) ou les bonifications pour enfants (cas des fonctionnaires pour les naissances avant 2004, 2008 pour certains régimes spéciaux).

    Doit-on considérer qu'une femme cadre supérieure tomberait dans la pauvreté si son mari décédait ? Le passage par la case mariage autoriserait-il à lui seul à bénéficier d'un surplus de retraite ? Comment font les célibataires ?

    Avec la baisse constante du nombre de mariage, la hausse vertigineuse du nombre de PACS, l'augmentation du nombre de concubinages, l'accroissement du nombre d'enfants conçus hors mariage ( 6 enfants sur 10 naissent hors mariage ), on peut s'interroger sur la légitimité qu'il y aurait à ne réserver la réversion qu'aux coules mariés car, dans le fond, le financement de la protection sociale est l'affaire de tous.

     

    La réversion, un dispositif qui amplifie les inégalités là où il y en avait déjà et qui en fabrique là où il n'y en avait pas.

    Parce qu'elle dépend de la pension du défunt, la réversion tend à favoriser les survivants de couples aisés au détriment des survivants de couples moins favorisés. La condition de revenus dans le régime de base tend à réduire ces inégalités de traitement. Mais la condition de non remariage dans les régimes complémentaires ou dans celui de la fonction publique n'y suffit pas.

    Une veuve déjà riche de par son milieu social bénéficiera d'une pension de réversion supérieure à celle d'une veuve de milieu défavorisé.

    Pour deux veuves ayant accompli une carrière identique, la veuve du mari qui percevait une bonne rémunération percevra in fine une pension totale supérieure à la veuve du mari moins bien rémunéré.

    Au final les pensions perçues par deux veuves différentes peuvent varier du simple au triple au point qu'une employée de caisse de retraite disait voir passer des dossiers menant à des réversion supérieures à la retraite personnelle qu'elle-même pourrait obtenir par son propre travail.

    Par comparaison, les critiques formulées par certains experts qui pointent les inégalités qu'engendre la majoration de 10% aux parents de 3 enfants prêtent donc à sourire et apparaissent profondément ridicules.

    Car il ressort de ces considérations que plus encore que son coût financier, c'est bien l'iniquité du système qui est critiquable. Car n'oublions pas que notre système de retraite n'obéit pas à un principe de capitalisation. Nous sommes dans un système obligatoire de retraite par répartition.

    La pension de retraite n'est pas un salaire différé mais un salaire continué sinon, une fois que l'on vous aurait "rendu" l'équivalent de vos cotisations on ne vous verserait plus de pension. Par conséquent, on ne peut concevoir de "léguer" ses droits à la retraite.

    Les droits à la retraite sont extrapatrimoniaux. On ne peut les donner ni les vendre sans impacter, soit financièrement soit moralement, le reste de la collectivité qui en finance la jouissance.

     

    La réforme dans la réforme

    Au delà de ses aspects strictement économiques, la réforme de la réversion n'est pas une mince affaire car elle amène à s'interroger le bien fondé ou pas d'un système qui se révèle discriminatoire par construction et qui n'est pas lié au travail de son bénéficiaire.

    Réformer la réversion est une réforme dans la réforme. C'est donc avec tact et mesure qu'il faut avancer en ce domaine.

    Deux thèses s'affrontent que nous pouvons séparer en deux grandes catégories.

    Les thèses partagistes qui consistent à considérer que le conjoint survivant possède un droit patrimonial sur les droits à la retraite de l'autre, donc par transitivité sur son métier et ses qualifications professionnelles.

    Les thèses individualistes qui prenant acte des évolutions de notre société, en particulier de la conquête du monde du travail par les femmes et de leur souhait d'émancipation, visent à supprimer la réversion.

     

    Les thèses partagistes obéissent à un concept "capitalistique" de la retraite. Elles considèrent les droits à la retraite comme un actif patrimonial bien ce soit un concept en opposition de phase avec les principes d'un système de retraite par répartition.

    Par une série d'arguments basés sur une solidarité financière au sein du couple qui se poursuivrait au delà de la mort, elles conservent le principe d'une réversion calculée en fonction de la pension du défunt. Les tenants de ces thèses parlent d'un "patrimoine retraite" constitué par la somme des droits accumulés par chaque conjoint pendant le mariage. Il s'agit pour eux de privatiser la retraite entre deux personnes.

    Comme la seule forme de vie en couple qui implique une solidarité financière entre les conjoints au delà de sa fin est le mariage, en particulier par le paiement d'une prestation compensatoire d'un des deux conjoints à l'autre en cas de divorce, la réversion ne pourrait pas être étendue à d'autres formes de vie commune que le mariage. Par conséquent ni les PACSés ni les concubins ne pourraient en bénéficier. Comme ces thèses considèrent les droits à la retraite comme l'équivalent d'un patrimoine financier, elles visent à internaliser la réversion au sein du couple.

    D'autres y voient un moyen de réduire les écarts de pension entre les femmes et les hommes alors même que le nombre de mariages ne cesse de décroitre et qu'en fin de compte les maris ne sont pas responsables des différences injustifiées de salaires entre les hommes et les femmes lorsqu'elles existent. Est-il légitime de prendre les hommes en otage sous prétexte de mariage ? La fin justifie-t-elle les moyens en toutes circonstances sachant qu'il existe des avantages familiaux de retraite spécifiquement réservés aux femmes ? N'est-ce pas plutôt au cours de la vie active qu'il faudrait s'attacher à réduire les différences de salaires injustifiées ?

    Les thèses partagistes se déclinent de plusieurs façons qui vont d'un partage aveugle à 50-50 des droits acquis par chaque conjoint pendant le mariage, ce qui implique un partage obligatoire des droits à la retraite en cas de divorce, aux thèses plus édulcorées évoquées par Jean-Paul dans son audition du 14 novembre 2018 en commission des affaires sociales de l'assemblée nationale, en passant par une réversion optionnelle calquée le modèle des plans de retraite par capitalisation (PERP) dans laquelle un des deux conjoints accepterait de réduire d'emblée sa propre retraite en échange d'une réversion pour l'autre.

    En pratique, les thèses partagistes sont difficilement applicables dans un système de retraite en annuités à prestations définies. Et les choses se compliquent singulièrement lorsque la pension de retraite n'est pas calculée sur l'ensemble de la carrière mais seulement sur les 25 meilleures années (cas du privé) ou sur les 6 derniers mois (cas des fonctionnaires). Elles se compliquent aussi lorsqu'il n'y a pas de bijection entre le montant des cotisations et le montant de la pension de retraite, ce qui est le cas de notre système actuel de retraites. Le passage à un système universel géré en points constitue une bonne occasion pour les tenants de ces thèses pour remettre en avant leurs théories : on partagerait des points et la "question serait réglée".

    Cependant ces thèses ne résolvent pas les question d'iniquités relevées plus haut. L'internalisation de la réversion, c'est à dire la privatisation des retraites entre deux personnes, continuerait à générer des iniquités entre les femmes elles-mêmes mais aussi entre les hommes eux-mêmes. Elles reproduisent les défauts de la réversion actuelle puisqu'elles conduisent à augmenter les droits à la retraite de quelqu'un sans qu'il y ait de lien avec son travail. Pire encore, certaines thèses conduisent à réduire définitivement les droits à la retraite d'un assuré sans autre motif que celui d'une qualification professionnelle de son conjoint inférieure à la sienne mesurée à l'aune du salaire qu'elle permet de générer. C'est la thèse du partage à 50-50 éventuellement accompagné d'une petite bonification.

    Au lieu de 50-50 ce pourrait être 60% du total mais cet déclinaison pourrait aussi conduire à priver l'un des deux conjoints de ses droits. Pire que cela, pour une même retraite personnelle du survivant, un calcul basé sur 60% ou plus du total conduirait à augmenter sa pension si la pension du défunt était égale à la sienne, mais pourrait conduire à baisser sa pension si elle était supérieure à celle du défunt.

    En définitive, à travail égal, salaire égal, qualifications professionnelles identiques, carrière identique, cotisations identiques, l'on obtiendrait des pensions personnelles différentes en fonction des qualifications professionnelles du conjoint et de son envie de travailler ou pas. In fine, les droits à la retraite de chacun dépendraient autant ou plus de leur parcours de vie que de leur parcours professionnel.

    Or comme nous l'avons vu précédemment, il est dans l'ADN du système de retraite Français que d'établir un lien fort entre le travail et la retraite car quand bien-même il n'y aurait pas de relation stricte entre cotisations versées et pension de retraite, la pension de retraite reste liée à la durée de cotisation c'est à dire à la durée pendant laquelle chaque personne a contribué par son propre travail au financement du système de retraites.

    En conclusion, même si ces thèses impliquent une réduction des dépenses collectives de réversion, elles continueraient à mêler le code civil à la protection sociale et conduiraient à créer des "régimes spéciaux de la conjugalité" alors que la future réforme des retraites vise la disparition des régimes spéciaux qui eux au moins ont quelque chose à voir avec le travail.

    Par ailleurs, l'application des thèses partagistes n'irait pas sans poser de sérieux problèmes avec la législation actuelle. L'article 1404 du code civil qualifie les droits à la retraite de biens propres par nature quand bien-même ils seraient acquis pendant le mariage. Au vu de notre législation ce ne sont pas des biens communs. Si d'un seul coup on décrétait l'inverse, qu'adviendrait-il des autres biens propres comme les héritages, les biens acquis avant le mariage, les biens acquis dans les régimes séparatistes où il n'existe par construction aucune communauté de biens ? Pourrait-on concevoir plusieurs régimes de réversion en fonction du régime matrimonial alors que la réversion d'aujourd'hui ne dépend pas du régime matrimonial ? Il faudrait probablement partager l'ensemble des biens propres et s'interroger sur le partage des vocations successorales puisque qui dit partage de droits à la retraite dit partage de revenus futurs dans un avenir imprévisible.

    Accepterait-on de lier la protection sociale au régime matrimonial alors que l'on s'oriente vers un système de retraite où les règles d'acquisition des droits à la retraite devraient être les mêmes pour tous ?

    On imagine toute la complexité du règlement des effets du divorce et de ses conséquences sur la prestation compensatoire - articles 270 et 271 du code civil . Il faudrait modifier le code civil. Après ces changements, les droits à la retraite déjà acquis resteraient-ils des biens propres ou deviendraient-ils rétroactivement des biens communs ? S'ils devenaient rétroactivement des biens communs, il faudrait procéder à un partage rétroactif des droits à la retraites de tous ceux qui on déjà divorcé. On imagine les rancœurs et les mécontentements que de telles mesures susciteraient.

     

    Les thèses individualistes consistent à supprimer la réversion en l'assortissant de dispositifs facultatifs de transferts de droits sous contrainte de neutralité actuarielle pour tenir compte des différences d'espérance de vie entre les hommes et les femmes et des différences d'âge entre les conjoints. L'idée forte portée par ces thèses est que chacun doit et peut travailler pour sa propre retraite. C'est l'exemple de la Suède qui en 1990 a décidé de supprimer la pension de réversion pour y substituer des dispositifs temporaires d'aide au veuvage.

    Ces thèses s'accommodent parfaitement du règlement des effets du divorce dans la législation actuelle. Elles conservent ce lien étroit entre retraite et travail qui existe dans notre conception de la retraite. Elles respectent mieux les exigences d'équité associées à un système de retraite par répartition.

    De la même façon que les thèses partagistes, elles conduisent à réduire les dépenses de réversion. Cependant, même en y ajoutant l'exigence de neutralité actuarielle, la possibilité de transferts facultatifs de droits à l'intérieur du couple reproduit les défauts du système de réversion actuel en ce sens que tous les assurés sociaux ne sont pas égaux devant le retraite à travail et cotisations identiques. Même s'ils sont facultatifs, les transferts de droits décorrélés du travail engendrent des inégalités entre ceux qui peuvent en bénéficier et ceux qui ne peuvent pas. 

     

    La consultation citoyenne

    Ces question font partie de celles qui ont été posées dans la plateforme en ligne de consultation citoyenne sur la réforme des retraites.

    A la question doit-on introduire un mécanisme de partage des droits entre époux ? le nombre de votes défavorables dépasse de 23% le nombre de votes favorables

    A la question doit-on imposer un partage des droits à la retraite en cas de divorce, le nombre de votes défavorables dépasse de 300% le nombre de votes favorables

    Les citoyens sont donc majoritairement opposés aux thèses partagistes.

    Cependant, dans cette même consultation, ils ont exprimé leur attachement au principe de la réversion et apparaissent favorables à un financement collectif.

     

    Une solution intermédiaire juste, équitable dans le respect du travail et des personnes.

    Nous l'avons vu, le poids du passé ne peut pas nous permettre de réformer brutalement la réversion sans créer des situations dramatiques. Si réforme il y avait, il faudrait qu'elle n'entre que très lentement en application.

    Les thèses partagistes ne conviennent pas car elles déconnectent la retraite du travail et qu'elles s'appuient sur une conception capitalistique de la retraite incompatible avec les exigences d'équité portées par un système en répartition. Elles sont génératrices d'inégalités de traitement.

    Les thèses individualistes s'accomodent mieux de la philosophie générale de notre système de retraite mais elles négligent l'aspect solidarité qui existe traditionnellement dans l'ensemble du système de protection sociale Français. Lorsqu'elles sont associées à des possibilités de transferts de droits même facultatifs, elles sont aussi porteuses d'iniquités.

    La consultation citoyenne montre l'attachement des Français à la prise en charge collective du risque veuvage.

     

    Alors quelle autre voie proposer ?

    Une voie intermédiaire équitable consisterait à supprimer progressivement la réversion, mais à un horizon suffisamment lointain pour que ses effets n'aient pas d'impacts sur ceux qui ont pu prendre des décisions aux conséquences irréversibles en tenant compte d'une promesse de réversion que la collectivité leur a faite en échange de mariage.

    Corrélativement, pendant cette période transitoire la réversion devrait être étendue au PACS voire au concubinage notoire car tous participent au financement de la protection sociale et il serait discriminatoire de ne pas la leur accorder.

    Il faudrait aller vers une uniformisation du calcul de la réversion, mais les exigences d'équités devraient conduire à décorréler son calcul du montant de la pension du défunt ou à en limiter le poids quitte à augmenter les réversions qui seront accordées.

    Des dispositifs de transferts défiscalisés existent déjà : assurances vie au profit du conjoint, donations entre époux, clauses de préciputs sur certains biens. Les outils existent donc pour que ceux qui le souhaitent puissent aménager leur succession sans impacter le système de retraite par répartition, ni financièrement, ni moralement.

    Pour limiter les excès il faudrait généraliser la condition de non remariage et non PACS puisque par le remariage ou le PACS, le bénéficiaire d'une réversion est en mesure de se reconstituer un revenu ou de mutualiser les dépenses.

    A terme, chacun devra travailler pour sa propre retraite et il est du ressort de la puissance publique de faire en sorte que cela soit possible dans tous le plus grand nombre de cas : développement des dispositifs de garde d'enfant, aménagements fiscaux pour favoriser l'activité professionnelle des parents, suppression des trappes à inactivité, réduction des inégalités de salaires hommes-femmes à travail égal.

    Les 36 milliards alloués aujourd'hui au financement de la réversion devraient rester dans le système de retraite afin d'être redistribués à celles et ceux qui en ont le plus besoin. On pourrait alors relever les petites pensions, redistribuer plus équitablement les sommes restantes aux veufs et aux veuves en fonction de leur situation réelle, améliorer le financement de la dépendance au grand âge, tout en conservant l'ADN de notre système de retraite qui consiste à lier étroitement travail et retraite.

    Les droits à la retraite ont par définition vocation à se substituer à la force de travail de la personne, ils sont donc personnels et devront rester personnels.

     

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