• Se laver, un droit essentiel

     

    Nous le savons, il faut des

    bains-douches pour les exclus.

    Enfant, vivant dans une très vieille bâtisse, nous ne disposions pas de salle de bain jusqu’au jour où il fallut abattre les cloisons de la cave au grenier pour y installer tout le confort dont disposaient alors mes camarades vivant en HLM. Curieux renversement des valeurs en cette époque lointaine. Pour nous laver, il y avait deux solutions : la grande bassine trônant dans la cuisine ou les Bains-Douches.

    J’ai raconté dans le passé ce souvenir, la fréquentation d’un lieu qui recevait ceux qui n’avaient pas le confort chez eux mais aussi les chemineux comme on disait en ce temps-là. C’était d’ailleurs un monde qui savait encore donner un nom à ceux qu’on refuse aujourd’hui de voir et pire que tout de nommer. Après les avoir affublés de différentes étiquettes : vagabonds, clochards, pauvres erres, notre belle civilisation de la honte se contente désormais d’un sigle pour dissimuler sa honte et son impuissance : SDF.

    Les gens de la rue ne se lavent plus, du moins dans toutes ces villes qui ont fermé les Bains-Douches, un service superfétatoire selon des responsables propres sur eux mais aux pensées malodorantes. La chasse aux exclus est ouverte, il convient d’équiper les bancs publics, les arrêts de bus, les espaces verts, de dispositifs empêchant ces malheureux de pouvoir se coucher. Que la honte étouffe à jamais ceux qui pratiquent pareille saloperie !

    La bonne conscience exige cependant de proposer des espaces d'accueil lorsque les frimas suscitent l’émotion chez les citoyens électeurs. Des abris d’urgence sont alors ouverts, des endroits aux horaires si limités qu’au petit jour, la diaspora de la rue retourne vers son invisibilité. Il convient de ne pas se montrer trop généreux afin de ne pas les encourager à demeurer dans cet état qu’ils ont nécessairement choisi. C’est du moins ce que pensent ces élus au grand cœur.

    Mais si on se refuse à les voir, on veut également ne pas les sentir. C’est sans doute la raison ubuesque qui leur interdit tout espace pour la toilette, cette exigence élémentaire de l’humanité. Pourtant, dans tous les gymnases, tous les stades, il y a des douches mais rien pour les Sans Salle de Bain Accessible. Quelle misère ! Quelle indignité !

    À Orléans, Yves Bodard, un bon Samaritain laïque, un homme qui n’a pas besoin de fréquenter la cathédrale ou défiler derrière la grande héroïne pour avoir du cœur, se bat pour obtenir l’ouverture de Bains Douches. Il est vrai que la grande Métropole a donné délégation à un organisme pour remplir cette mission. La structure dispose de deux douches quand elle reçoit près de cent cinquante personnes par jour, de quoi sans doute satisfaire tous les besoins d’hygiène de la cité…

    Nous pourrions lancer, avec notre combattant des causes perdues, un exercice pratique pour les élus du conseil municipal. Deux douches leur seraient attribuées et le temps d’une session, ils passeraient tous à tour de rôle se laver et pas seulement les mains, ce qu’ils font aisément sur un tel sujet. Naturellement, le tour de rôle serait déterminé dans l’ordre protocolaire inverse et c’est monsieur le Maire qui passerait en dernier.

    Se laver est un droit inaliénable. Les exclus du logement doivent accéder à cette dignité élémentaire. Il est grand temps qu’un droit des gens de la rue soit établi et respecté quelle que soit la couleur (et les odeurs) politique des équipes municipales. Nous savons que c’est nécessaire même si cette mesure ne permettra pas à ces grands philanthropes de se faire mousser.

    C’est en connaissance de cause que je réclame ce que ne cesse de demander l’ami Bodard. Faudra-il brosser dans le sens du poil monsieur l’échevin pour qu’il accède à cette requête. Je peux me munir d’une brosse à chiendent afin qu’il s’imprègne de cette nécessité.

    Proprement sien.

     

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