• « Commençons par appliquer le droit commun dans les quartiers populaires »

    Camille Bauer
    Dimanche, 12 Février, 2017
    François Hollande en visite aux Ulis (Essonne) en 2012.
    François Hollande en visite aux Ulis (Essonne) en 2012.
    Photo. Fred Dufour/AFP

    La sociologue Marie-Hélène Bacqué revient sur les promesses non tenues de la gauche de gouvernement et propose des pistes de réflexion pour que les habitants des quartiers populaires soient enfin considérés et traités comme des citoyens à part entière.

    Sociologue et urbaniste, Marie-Hélène Bacqué est une spécialiste reconnue des quartiers populaires. À la demande du ministère de la Ville, elle a écrit en 2013 avec Mohamed Mechmache, président d’AC le feu et coprésident de la coordination nationale des quartiers populaires Pas sans nous, un rapport sur la participation des citoyens.

    Qu’est-ce que les violences d’Aulnay-sous-Bois disent de la politique menée vis-à-vis de ces quartiers ?

    Marie-Hélène Bacqué. Ce qui se passe à Aulnay montre la permanence des tensions avec la police. Le candidat Hollande avait promis la mise en place d’un récépissé de contrôle d’identité, mais rien n’a été fait. On a même régressé. Avec les attentats et l’état d’urgence, la tension est très forte dans les quartiers populaires. Ce qui se passe à Aulnay n’est pas un épiphénomène. Il y a quelques mois, Adama Traouré a trouvé la mort dans un commissariat. Il faut par ailleurs reconnaitre que la police travaille dans ces quartiers dans des conditions très difficiles, avec des injonctions aux résultats chiffrés, sans formation.Mais cela n’excuse pas le racisme et la discrimination et aujourd’hui, les quatre policiers accusés sont en liberté quand deux jeunes qui ont lancé des pierres sont eux emprisonnés. Il y a quand même un décalage dans la façon dont est rendue la justice. Il est aussi significatif que, jusqu’à cette affaire, les quartiers populaires aient été totalement absents de la campagne présidentielle. C’est terrible qu’il faille une agression aussi violente pour qu’on parle de ces quartiers, et toujours sous le prisme de la violence.

    Quels sont les autres points sur lesquels il y a eu peu ou pas d’avancées ?

    Marie-Hélène Bacqué. Il y a les discriminations, question centrale dans les quartiers populaires. Là-dessus aussi, on a regressé puisque le Défenseur des droits a des prérogatives moins importantes que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) qu’il a remplacée. Les politiques n’ont pas pris la mesure de cette question, alors que la racialisation des rapports sociaux monte dans notre société. Au-delà, il y a un éloignement du PS et de la grande majorité des politiques, des classes populaires. A l’Assemblée, seuls 2 % des élus viennent des classes populaires qui représentent 50 % de notre société, sans compter la quasi absence des minorités visibles. Il y a là un vrai problème de représentation mais aussi une méconnaissance de ce que sont les quartiers populaires.

    Qu’est ce qui a été fait au niveau des services publics de base ?

    Marie-Hélène Bacqué. Du point de vue scolaire, on n’a pas beaucoup avancé. Il y a besoin de vrais moyens dans les établissements des quartiers populaires. Or, un élève qui fait sa scolarité en Seine-Saint-Denis aura une année de scolarité en moins qu’un élève parisien, simplement à cause de l’absence des enseignants. Se pose aussi la question des cartes scolaires. Tant que les écoles privées n’y seront pas intégrées, il sera difficile de rétablir un peu de mixité et d’égalité. Ces territoires, comme d’ailleurs certains territoires ruraux, sont aussi en train de devenir des déserts du point de vue de la santé. Il y a un manque de médecins en France en général, à cause du numerus clausus beaucoup trop restrictif de la fin de première année. Mais le manque est plus criant dans ces territoires défavorisés. Ce sont d’ailleurs l’ensemble des structures de santé publique (hôpitaux, centres municipaux…) qui sont en difficulté. Quand un centre municipal ferme en Seine-Saint-Denis, c’est toute une population qui reste sur le carreau.

    Avez-vous constaté une évolution du discours avec la gauche au pouvoir ?

    Marie-Hélène Bacqué. Le discours n’est pas le même que celui de Sarkozy, qui parlait de « karcher » et de « racaille ». Mais en même temps, après les attentats, beaucoup de regards se sont tournés vers les quartiers populaires auxquels on a renvoyé la question du terrorisme. La priorité est devenue la déradicalisation, question certes importante mais qui renvoie à des enjeux plus larges comme les inégalités, la discrimination, le post-colonialisme qui ne sont pas abordés. Il y a aussi eu une montée forte de l’islamophobie qui transparait dans les débats comme celui sur le burkini, dans lesquels certains responsables politiques de gauche ont repris des discours identitaires clivants. Tout cela affecte profondément les habitants des quartiers populaires. Il y a quand même une façon très stigmatisante de parler de ces quartiers qui contribue à criminaliser leur jeunesse. Et là-dessus, il y a aussi une responsabilité des médias.

    Que préconisez-vous pour ces quartiers ?

    Marie-Hélène Bacqué. La première chose à faire, c’est d’appliquer le droit commun. On a mis en place une politique dite de « discrimination positive » qui visait à rattraper l’écart entre les habitants de ces quartiers et le reste de la population en y mettant plus de moyens. Or, malgré le discours, il n’y même pas dans ces quartiers des moyens équivalents à ceux qui sont alloués à d’autres parties du pays. Ainsi, un enfant scolarisé dans la banlieue populaire parisienne coûte beaucoup moins cher qu’un enfant scolarisé à Paris. Donc, la simple égalité pour les habitants de ces quartiers, en termes d’accès aux équipements, aux services publics, serait une avancée. Mais pour y arriver, il faut un projet porté par une vraie politique publique et pas une politique marginalisée qui correspond comme aujourd’hui à seulement 0,16 % du budget de l’État. Il faut aussi développer la coproduction des politiques publiques. Il y a un vrai enjeu à reconnaître le pouvoir à agir des citoyens, alors que les politiques publiques, locales comme nationales, sont souvent plus écrasantes qu’incitatives. Il est significatif qu’une association comme AC le feu, née en 2005 à Clichy-sous-Bois au moment des révoltes, rencontre aujourd’hui de graves difficultés financières. On demande aux citoyens de se mobiliser quand il y a des problèmes, puis on écrase ou on ne soutient pas leur action quand on trouve qu’ils revendiquent trop. Les élus locaux ont parfois peur des contre-pouvoirs, mais ils ont tout à y gagner. Aujourd’hui, face à la crise sociale et politique, la seule arme, c’est le débat public et l’initiative citoyenne. Si nos élus ne le comprennent pas, ça va leur éclater entre les mains.

    Journaliste rubrique Société

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    Qui veut la peau des lanceurs d'alerte ?

     
    Au nom de la vérité, ils ont témoigné. Mais les grands groupes n'ont aucune pitié pour ceux qui sortent du rang. A la clé : procès, harcèlement, chômage, dépression... L'intégrité coûte cher.
    Antoine Deltour, qui est à l'origine des révélations du Luxleaks. - JEROME MARS/JDD/SIPA

    Asphyxiés par les procès, chamboulés dans leur quotidien, inquiets pour leur avenir... Dans une société où le culte de la hiérarchie est davantage ancré que celui de l'intérêt général, les lanceurs d'alerte mènent le combat d'une vie, la leur. Un combat dont les pouvoirs publics peinent encore à définir les contours, et l'indispensable protection juridique qui devrait l'accompagner. Multinationales ou institutions reconnues, les Goliath qu'affrontent ces nouveaux David ont l'argent et les réseaux pour étouffer toute affaire gênante les concernant. Autant d'armes dont sont dépourvus celles et ceux qui, un jour, osent rompre le rang. « Des lanceurs d'alerte que je connais, aucun n'est sorti indemne, constate le magistrat Eric Alt, vice-président de l'association Anticor. Malgré les avancées législatives récentes et la médiatisation de certains scandales, le rapport de force n'est pas encore favorable à ces hommes et ces femmes qui remettent en cause l'ordre établi en disant la vérité, cette vérité qui heurte, qui fait mal, qui choque, et que personne ne veut ou ne peut accepter. »

    Du temps d'Antigone, les porteurs de mauvaises nouvelles avaient du mal à se faire entendre. A l'heure d'Internet, leur audience est démultipliée. Mais la violence - bien réelle ou symbolique - qu'exercent à leur égard les puissants visés par leurs révélations continue de faire froid dans le dos. Car il y a mille manières de « tuer le messager ». Menacée dans son intégrité physique par ceux dont elles avaient dénoncé les magouilles comptables et les fausses factures, cette fonctionnaire, qui n'hésitait pas il y a quelques années à raconter son combat à visage découvert, confie aujourd'hui à Marianne : « Je ne veux plus qu'on parle de moi. Il va bientôt falloir que je cherche un nouveau travail, et, croyez-moi, cette affaire me dessert. Quand je vois ce que sont devenus les autres lanceurs d'alerte, dépressifs, suicidaires, condamnés au chômage, je me dis que le mieux est de raccrocher les gants et de faire profil bas. C'est une honte pour notre pays, mais là, en ce qui me concerne, c'est "opération survie". »

     





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