Le «système», la «caste» : ces inquiétants croquemitaines s’invitent régulièrement dans le discours lepéniste. Il est vrai que l’outil sert à tout, expliquant aussi bien les malheurs de la France que les soucis du Front national. Alors que les mises en examen s’accumulent dans son entourage, Marine Le Pen a multiplié dimanche les salves contre ces diaboliques adversaires, tenus responsables du vent mauvais qui souffle désormais sur sa campagne. Devant 3 500 personnes réunies au Zénith de Nantes (Loire-Atlantique), la candidate entamait une série de grands meetings qui, au rythme de presque un par week-end, la mèneront au premier tour de la présidentielle. Ces jours-ci, c’est aussi à un rythme soutenu que tombent les mauvaises nouvelles judiciaires pour la candidate.

«Pure broutille»

Mercredi, sa cheffe de cabinet, Catherine Griset, était mise en examen dans l’affaire des assistants parlementaires européens du parti. Des assistants rémunérés sur fonds publics, mais que la justice soupçonne de s’être avant tout consacrés à leurs fonctions internes au FN. Samedi, rebelote : le Monde révèle la mise en examen, dix jours plus tôt, de Frédéric Chatillon, ami de Marine Le Pen et important prestataire du parti (lire ci-dessous). Le même jour, Mediapart levait un nouveau lièvre, avec le témoignage à charge d’un ancien conseiller de Marine Le Pen, Gaël Nofri : ce dernier, actif durant la campagne présidentielle de 2012, affirme avoir été rémunéré via un contrat fictif au nom d’une société dirigée par un proche de Frédéric Chatillon. Dimanche, l’homme a dénoncé auprès de l’AFP un «système de corruption généralisé» au sein du FN.

Certes, rien de cela ne trouble pour l’instant la bonne forme de Marine Le Pen dans les sondages, qui la donnent largement en tête du premier tour. Pas de quoi non plus troubler les militants interrogés par Libération à Nantes, dimanche : «Tout ça, c’est parce qu’elle gêne, veut croire Aurore, une Bretonne de 34 ans. Moi, j’ai foi en elle. De toute façon, elle est tellement surveillée qu’elle sait bien que la moindre faute serait exploitée par ses ennemis.» Mêmes certitudes chez André, 53 ans, venu du Morbihan : «Je ne vois rien que des accusations gratuites. En plus, l’affaire des assistants européens, c’est extra-français, de la pure broutille pour brouiller son message.» En revanche, ajoute le même, «pour Fillon, cela me paraît sérieux». Jacques, 85 ans, ne veut retenir qu’une chose : «A ce que j’entends, Marine n’est pas soupçonnée d’enrichissement personnel. Contrairement à Fillon et son épouse. Si la justice faisait son boulot, elle commencerait par coffrer les émeutiers.» La veille, 2 000 à 3 000 personnes ont protesté à Nantes contre la venue de la candidate, dans un climat tendu.

Forte de ce soutien, la candidate a semé son discours, par ailleurs généraliste, de violentes attaques contre ses adversaires. Contre les «puissances d’argent». Contre François Fillon et Emmanuel Macron, «l’un le candidat des assurances, l’autre des banques et des médias». Contre «le gouvernement des juges, qui correspond à une oligarchie». Contre les médias, «qui ont choisi leur camp : ils font campagne de manière hystérique pour leur poulain, se parent de morale, hurlent à la liberté de la presse dès qu’on les critique, puis pleurnichent d’avoir perdu la confiance du peuple». Contre les fonctionnaires tentés de se joindre aux «cabales d’Etat» anti-FN : «Ils devront assumer le poids de ces méthodes. […] L’Etat que nous voulons sera patriote.» Et finalement contre un peu tout le monde, c’est-à-dire ce «système qui hésite entre mes deux principaux concurrents, même s’il semble avoir choisi de se mettre au service de monsieur Macron, qui représente la possibilité pour le système de se survivre».

«L’ennemi»

Normalisation ou radicalité ? Dans ce vieux dilemme frontiste, Marine Le Pen a tranché dimanche pour la seconde option. A l’image d’un Florian Philippot ces temps-ci plus fébrile qu’à l’accoutumée sur les plateaux télévisés, ou encore d’un Eric Domard, conseiller connu pour son usage compulsif et outrancier de Twitter : «Excellente charge de Marine Le Pen contre les médias, arme de guerre contre le FN, a posté celui-ci sur le réseau social après le meeting de Nantes. Il faut maintenant clairement désigner l’ennemi.» Quant au directeur de la campagne, David Rachline, il estimait récemment sur Twitter que l’AFP était «en guerre» contre la candidate du Front. Fut un temps où Marine Le Pen affichait le slogan «La France apaisée». Dimanche, on commençait à saisir l’esprit de la nouvelle promesse mariniste : «Remettre la France en ordre.»

Dominique Albertini envoyé spécial à Nantes. Photo Laurent Troude