Les chaînes d’info américaines ont dû recourir au split-screen pour couvrir les carnages du week-end. Samedi matin, un jeune homme a ouvert le feu aux abords d’un hypermarché Walmart de la ville frontalière d’El Paso (Texas), tuant 20 personnes et blessant 26 autres. Le tireur présumé, un homme blanc de 21 ans armé d’un fusil d’assaut de type AK-47, selon des témoins et la vidéosurveillance, a été placé en garde à vue. Dans la nuit de samedi à dimanche, vers 1 heure du matin, 9 personnes ont été tuées et 27 blessées au cours d’une autre fusillade près d’un bar du centre de Dayton (Ohio). La sœur de l’assaillant, Connor Betts, un homme blanc de 24 ans, fait partie des victimes. Le tireur est mort des blessures par balles reçues lors des tirs de riposte des policiers, selon Matt Carper, responsable de la police locale. Le suspect a ouvert le feu dans la rue «avec une arme à canon long et de nombreuses munitions», a-t-il ajouté, précisant que la présence de plusieurs policiers dans le quartier avait permis de mettre fin très rapidement à cet «épisode de violence» - la fusillade a duré moins d’une minute. Si la police n’était pas intervenue si vite, «des centaines de personnesauraient pu mourir aujourd’hui» , s’est émue la maire de Dayton, Nan Whaley, lors d’une conférence de presse dimanche.

Selon la base de données de la Northeastern University, il s’agit des 21e et 22tueries de masse (quatre morts ou plus, selon la définition choisie dans ce cas) de 2019 aux Etats-Unis. Totalisant 125 morts dans ce type d’événements depuis le début de l’année. Si le FBI et les policiers de Dayton tentent, à cette heure, de «déterminer les motivations» du tireur, selon Matt Carper, une piste semblait se dessiner dans le cas d’El Paso. Trois Mexicains font partie des victimes venues faire leurs courses à Walmart, une grande surface prisée de la communauté hispanique, à quelques jours de la rentrée des classes. La police soupçonne un crime à caractère raciste, et enquête sur un possible motif «haineux» (qui concerne aux Etats-Unis les attaques motivées par l’origine, la religion, ou l’orientation sexuelle des victimes) du jeune homme placé en garde à vue.

Manifeste suprémaciste

 

Originaire de la banlieue de Dallas, identifié par la police comme se nommant Patrick Crusius, il a conduit près de dix heures pour se rendre à El Paso, ville frontalière de 680 000 habitants face à la métropole mexicaine de Ciudad Juárez, et dont la population est à 83% hispanique. Les enquêteurs cherchent notamment à déterminer si le tireur est l’auteur d’un manifeste de quatre pages circulant sur internet, posté sur le forum 8Chan quelques minutes avant l’attaque. Le texte, non signé et intitulé The Inconvenient Truth (une vérité qui dérange), annonce une attaque imminente «en réponse à l’invasion hispanique du Texas», et détaille un projet de séparation des territoires américains selon des critères raciaux. «Si on peut se débarrasser d’assez de gens, alors nos modes de vie pourront être plus durables», affirme le texte. Il fait également référence à la tuerie perpétrée mi-mars par un suprémaciste blanc dans des mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande (51 morts). Le tireur avait lui-même publié en ligne un manifeste en faveur de la suprématie blanche et citant la théorie complotiste et xénophobe du «grand remplacement», selon laquelle il existerait une substitution délibérée et organisée dans le monde occidental des populations blanches par des immigrés de couleur. «Je soutiens le tireur de Christchurch et son manifeste», est-il écrit dans le texte publié samedi. Le document accuse également les politiques des partis démocrates et républicains de «laisser pourrir le pays de l’intérieur». Selon lui, «l’importante population hispanique au Texas va faire de l’Etat un bastion démocrate».

Rhétorique antimigrants

Il fulmine également contre l’automatisation du travail et affirme que les immigrés prennent des emplois aux «natifs» des Etats-Unis. «Mes opinions sur l’automatisation, l’immigration, et tout le reste précèdent Trump et sa campagne présidentielle», insiste le document. Cette attaque d’El Paso intervient alors que la question de l’immigration et la crise à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique divisent profondément la société américaine depuis des mois. Un clivage savamment entretenu par le président Donald Trump, qui a fait de la rhétorique antimigrants le refrain de sa campagne 2016, celle pour les midterms de novembre dernier et pour sa réélection en 2020.

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«Le Président et d’autres leaders ont dit [au tireur] que les Mexicains étaient des violeurs et des criminels violents. Qu’ils prennent nos emplois. Qu’ils sont nos ennemis. Puis ils lui ont donné un accès facile à un fusil d’assaut et à des munitions», résume sur Twitter Shannon Watts, la fondatrice de Moms Demand Action, une organisation de lutte pour un plus ferme contrôle des armes à feu aux Etats-Unis. «Le discours de ce manifeste est plein de haine, de racisme, de sectarisme et de division», a affirmé Veronica Escobar, députée démocrate qui représente la circonscription d’El Paso au Congrès. Si le document n’a pas encore été identifié et attribué à Crusius, les autorités fédérales ont déclaré, dimanche midi, qu’elles traitaient l’attaque de samedi comme un acte de «terrorisme domestique» et comme un possible «crime de haine».

Lors de son audition au Sénat le 23 juillet, le patron du FBI Christopher Wray a indiqué que depuis octobre, «la majorité des affaires de terrorisme domestique» aux Etats-Unis étaient «motivées» par différentes versions de l’idéologie suprémaciste blanche.

Isabelle Hanne