• Le désarroi de ces victimes indirectes du Covid-19 en attente d'une opération ou d'un examen

    ENQUETE. Le désarroi de ces victimes indirectes du Covid-19 en attente d'une opération ou d'un examen

     

    Ces victimes invisibles du Covid-19 vivent recluses en attendant une opération ou un examen, pourtant urgents.

    Le service d'imagerie médicale du centre hospitalier de Montluçon (Allier).

    Le service d'imagerie médicale du centre hospitalier de Montluçon (Allier). (Florian Salesse/Maxppp)
     

    "Je n'en dors plus, souffle Robert. Si je ne me raisonnais pas, j'appellerais la secrétaire du service trois fois par jour afin d'être sûr qu'elle n'oublie pas ma fille." Cette dernière, âgée de 17 ans, attend depuis le 3 janvier une place pour être hospitalisée en neurologie dans un CHU parisien. "Pour ne pas rater son appel, je suis devenu comme ces ados qui ne lâchent pas leur portable", poursuit-il en essayant de masquer son angoisse d'une plaisanterie. Sa fille doit subir une série d'examens pour comprendre la cause d'un mouvement de contraction involontaire du cou, de migraines quotidiennes et d'une perte de 8 kilos en trois mois. La neurologue n'a pas caché son inquiétude et évoqué l'hypothèse d'une maladie auto-immune ou d'une lésion cancéreuse profonde, au poumon ou à l'ovaire, à détecter le plus rapidement possible. "Mais un étage entier du service est réquisitionné pour les malades du Covid-19 , donc ils attendent qu'un lit se libère pour hospitaliser ma fille au plus vite", explique ce père désemparé.

     

    Sur tout le territoire, les plans blancs contraignent les établissements de santé à reporter des opérations ou examens en théorie non urgents mais qui le sont en réalité parfois, voire souvent. Et les notions abstraites de "déprogrammation" ou de "perte de chance" disent mal le désarroi qui gagne les milliers de victimes collatérales et invisibles de la crise sanitaire.

     

    Des patients "autoconfinés de fait"

    Attendre et surveiller son téléphone, c'est également le lot de Gabriela, dont l'opération du sein pour une infection, mi-décembre, a été reportée avant d'être annulée la semaine dernière sans nouvelle date prévue. Même si cette quadragénaire francilienne n'a pas d'inquiétude à court terme pour sa santé, elle souffre d'une douleur mammaire constante et raconte une vie en suspens. À rester presque confinée pour éviter d'être contaminée au cas où un accès au bloc opératoire serait possible à la dernière minute. Elle a même fini par renoncer au nouveau poste qu'elle devait rejoindre demain. "Quel employeur garderait quelqu'un en arrêt maladie pendant une semaine dès la période d'essai? interroge Gabriela. Ça me rend folle, tous ces gens qui minimisent les dangers de ce virus et racontent n'importe quoi sur les effets du vaccin… Je ne compte même plus les proches avec lesquels je me suis fâchée!"

     

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    Autre histoire, mais même colère. Nathalie a fait une chute avant les fêtes et souffre d'une fracture vertébrale. Le traitement est une cimentoplastie, une opération chirurgicale sous anesthésie générale. "'Impossible pour le moment', m'a dit mon médecin, se désole la quinquagénaire. Donc je souffre et je porte un corset en attendant. Et pourtant, j'ai une spondylarthrite ankylosante, c'est un rhumatisme inflammatoire chronique, donc on sait que ma vertèbre va mal se ­consolider et que je vais à coup sûr avoir des séquelles douloureuses qui auraient pu être évitées en m'opérant tout de suite."

     
     

    Le traitement de sa maladie chronique provoque une immuno­dépression qui fait de Nathalie une patiente par ailleurs très vulnérable aux formes graves du Covid-19. "Les laboratoires, les pharmacies et les cabinets médicaux sont en permanence pleins de personnes potentiellement infectées, y compris des enfants sans masque, déplore-t-elle. Rien n'a été pensé pour que nous, les malades fragiles, puissions continuer à accéder aux soins, aux examens et aux tests dont nous avons besoin sans nous mettre en danger. Nous vivons donc reclus dans l'indifférence générale."

    "Je suis autoconfiné de fait", résume Laurent, insuffisant rénal en attente de greffe. Ce quinquagénaire de Niort ne quitte presque plus son domicile que pour rejoindre son centre de dialyse trois demi-journées par semaine. Un lieu où, plus encore qu'ailleurs, la situation sanitaire actuelle est au cœur de toutes les discussions. "Nous sommes tous des malades chroniques donc pour nous il n'y a pas de débat, les non-vaccinés doivent être soignés comme les autres, assure Laurent. Mais il y a quand même de la colère et de l'incompréhension face à ce comportement irresponsable qui pénalise les transplantations. Savoir que des organes de donneurs décédés sont perdus faute d'accès aux blocs ou aux réanimations, c'est très difficile à accepter quand votre vie est en sursis en attente d'une greffe."

    Quelles seront les conséquences de toutes les opérations, greffes et dépistages retardés?

    Les transplantations d'organes issus de donneurs décédés sont par nature des opérations urgentes, non programmées et prioritaires. Mais l'Agence de la biomédecine a toutefois évoqué mercredi "une baisse sensible de l'activité de greffe depuis le début du mois de janvier et une très grande vigilance sur la situation en Paca, à la Martinique et en Guadeloupe qui affecte les activités de prélèvement d'organes".

     

    Au-delà de la qualité de vie dégradée de ces patients "déprogrammés", quelles seront les conséquences de toutes les opérations, greffes et dépistages retardés? "Le problème face aux décideurs, c'est que les pertes de chance ont un effet décalé dans le temps. On ne pourra chiffrer que dans un à deux ans les complications et les décès provoqués par la situation actuelle, et ces décisions de taux de déprogrammations fixés sans concertation avec le corps médical", regrette le gastro-­entérologue Patrick Gasser, président du syndicat Avenir Spé.

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    Les effets des premières vagues de Covid-19 commencent à apparaître ; des tumeurs repérées à un stade précoce et finalement opérées alors qu'elles sont devenues invasives et qu'une chimiothérapie s'impose avec son lot d'effets secondaires, des patients diabétiques avec des plaies du pied tellement aggravées qu'il faut amputer, des personnes âgées ayant tellement attendu leur prothèse de hanche ou de genou qu'elles ont irrémédiablement perdu la marche et leur autonomie…

    Autant de situations où s'entremêlent déprogrammations, retards de prise en charge et renoncements aux soins de patients soucieux de la circulation du virus dans les établissements de santé et de la saturation des capacités hospitalières. Ces "déprogrammés volontaires" sont une autre préoccupation majeure des soignants, qui rappellent tous que ne pas consulter par peur de la contamination serait la pire des options.

     

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