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    Projet de loi issu de la Convention climat : l'exécutif peine à articuler priorités climatiques et économiques

    Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

    Projet de loi issu de la Convention climat : l'exécutif peine à articuler priorités climatiques et économiques

    Sortir les rames

    Par Laurence Dequay

    Publié le 09/12/2020 à 18:14

    Le projet de 80 articles que porte la ministre de l'Ecologie Barbara Pompili reprend la plupart des propositions législatives des 150 citoyens, mais en les édulcolorant sur certains sujets clés. Et sans proposer de pistes supplémentaires de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Sera-t-il suffisant pour que la France respecte ses engagements climatiques ?

    Le projet de loi « Convention citoyenne pour le climat » va-t-il devoir changer en janvier de nom ? Choyés pendant huit mois par les autorités organisatrices de la Convention pour le climat (CCC), les représentants des 150 citoyens sont tombés de haut en écoutant ces 7 et 8 décembre l'exécutif leur égrener les mesures structurant à ce stade, le projet de loi censé traduire une quarantaine de leurs propositions clés -, sont tombés de haut. Sur la forme d’abord.

    « En ne nous transmettant pas en amont ces contenus, l'exécutif nous a empêchés de nous préparer critique Agny, référente du groupe citoyens « Travailler-Produire ». Noyés dans la prise de notes, nous n'avons pu débattre. Nous avons même découvert que le gouvernement voulait inclure dans ce projet « Convention citoyenne climat », une réforme partielle du code minier dont nous n’avons jamais discuté ! C’est totalement inacceptable. » « J’ai été choqué que les députés présents, les représentants de la Nation, soient été aussi maltraités que nous », s’émeut pour sa part Eric, pompier retraité, animateur du groupe « Consommer ». Quand Matt, 32 ans coordinateur du groupe «  Se déplacer » ne pardonne pas, à titre personnel, au Président son revirement : avoir promis aux 150 citoyens de transmettre « sans filtre » leurs 147 propositions aux parlementaires, pour finir par déclarer sur le média Brut, qu’elles « n’étaient ni la bible, ni le Coran ». « Nous n’aurons été qu’une assemblée de concertation, cingle ce développeur informatique. Compte tenu de la crise sanitaire, je pouvais envisager des changements de calendrier, mais pas d’ambitions. »

    Ce revirement d’Emmanuel Macron dans une conjoncture - il est vrai - très difficile, révèle de fait crûment la difficulté qu’à l’exécutif à articuler la contrainte climatique et ses ambitions économiques et industrielles, notamment dans le nucléaire et l’hydrogène. Son irrésolution également, sur la nécessité d’envisager la réduction de notre consommation, jugée incontournable par nombre d’experts. Une évolution, aussi, qui doit être pensée sur un plan social…

     

    Aux 150 citoyens tirés au sort mais volontaires, le Président avait pourtant adressé une commande claire : articuler des mesures permettant de réduire de 40% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport à 1990) pour nous permettre de respecter nos engagements climatiques internationaux, pris il y a 5 ans à Paris. Mais 8 mois plus tard, le projet de loi qui est proposé à la discussion aux parlementaires - dont l’étude d’impact ne serait produite qu’en janvier prochain ! - édulcolore nombre de leurs recommandations. Sans proposer de nouvelles pistes de verdissement de l’économie. De sorte, que l’exécutif prend, a priori, le risque de ne pas tenir ses engagements climat au moment précis ou l’Union européenne veut relever son objectif de baisse des émissions de CO2 à 55 % en 2030. Et que certains pays comme l’Autriche estiment que la France ne peut contribuer à cet effort, en se reposant principalement sur son industrie nucléaire décarbonnée… Pour y voir plus clair, décryptage des principales mesures d'un texte qui suscitera certainement d’âpres débats jusqu’au printemps ?

    En ces temps de confinement, commençons par le logement. Le parc immobilier français (résidentiel-tertiaire) émet à lui seul 16 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Pour prétendre à une neutralité carbone en 2050, il faut diviser par 10 ses émissions…

    Logiquement, le PJL du gouvernement propose donc de s’attaquer aux passoires thermiques, en interdisant leur location en 2028 ; et en freinant dès 2021 la hausse de leurs loyers, afin d’inciter leurs bailleurs à engager les rénovations nécessaires. C’est un levier clé. Mais les citoyens eux voyaient nettement plus grand ! Après mûre réflexion, ils jugeaient nécessaire de rendre obligatoire la rénovation énergétique de tous bâtiments d’ici à 2040 ; y compris les cinq millions de pavillons insuffisamment isolés en aidant massivement leurs propriétaires occupants, afin que leur reste à charge avoisine zéro. Or, pour ses particuliers, le gouvernement mise surtout sur le volontariat en augmentant les primes Renov. Tout en préparant une refonte… des diagnostics de DPE, thermomètres de la dépense énergétique des logements, qui pourraient ré-avantager un mode de chauffage électrique ; au risque de brouiller les repères existants…

    Le secteur des transports est à l’origine de 31 % des émissions nationales de gaz à effet de serre  (CO2 mais aussi oxyde d’azote) dont 16 % pour les voitures. A l’unisson, le gouvernement et les citoyens soutiennent donc la création de parking relais, l’interdiction des centres-villes aux véhicules fortement émetteurs, la création sur les routes express, de voies réservées au transport collectifs et au covoiturage. Ils souhaitent des trains régionaux aux tarifs abordables, et prévoient des investissements dans le fret. Mais sur la voiture individuelle, le climat entre eux se gâte ! La CCC proposait en effet d’interdire dès 2025 à la vente les véhicules à moteur thermique les plus polluants. Le gouvernement lui repousse cet objectif à 2030 « afin de laisser le temps à la filière automobile de s’organiser » explique-t-il. Quand par ailleurs, il vise 100% de voitures électriques d’ici 2040. Cherchez l’erreur !

    Sur l’avenir du secteur aérien, même tiraillement. Alors que la CCC proposait d’interdire d’ici 2025 les vols intérieurs qui peuvent être remplacés par des trajets en train de moins de 4 heures, le Président Macron a ramené cette limite à 2 heures 30. Il a également maintenu l’autorisation de vols courts en correspondance. Le projet de loi (PJL) «  Convention citoyenne climat » propose toutefois d’interdire la création de nouveaux aéroports, ou leur extension. Mais cette mesure n’inclurait pas les projets déjà engagés. « Sur l’avenir de l’extension de Roissy en France, le ministre de Transports est d’ailleurs resté évasif critique Matt. Or sur ce point comme sur tous les autres, notamment le malus sur le poids des véhicules, on ne peut plus y aller trop doucement si l’on veut sérieusement enrayer le changement climatique ! »

    Pour atteindre nos objectifs climat, comment réformer, voire réduire certaines de nos consommations ? Les 150 de la CCC en ont discuté pendant des jours. Ils ont souhaité dans leurs recommandations qu’un « score carbone » sur le modèle du « nutri-score » figure sur tous les produits. Le projet de loi du gouvernement prévoit donc la mise en place de ce marqueur ;  et d’en estampiller les premiers produits dès 2022. L’ouverture de nouveaux centres commerciaux seraient également, sauf  dérogations, interdite. Une avancée clé.

    Mais les citoyens de la CCC jugeaient aussi nécessaire de diminuer la pression publicitaire à laquelle sont exposés les Français. Sur cette recommandation, ils ont été écoutés…sans être entendus. Sans attendre, le gouvernement propose bien d’interdire la publicité pour les énergies fossiles. Pour le reste, « il poursuit l’évaluation de la faisabilité juridique d’une interdiction de publicité sur la base du CO2 score. » « Nous souhaitions diminuer rapidement la publicité dans l’espace public argumente Eric. Or dans le projet de loi, le gouvernement se défausse de cette réforme sur les maires, en leur confiant cette régulation supervisée jusqu’ici par les préfets. Car les élus locaux auront du mal à résister aux pressions, notamment de leurs commerçants. Je crains que cette mesure n’ait pas d’impact fort avant 2030. »

    Après échange avec les acteurs de terrain, le PJL du gouvernement devrait fixer à 20% le pourcentage de surfaces des centres commerciaux de plus de 400 mètres carrés, allouées aux ventes de produits en vrac, pour 0,75% aujourd’hui (hors produits frais) : un ratio cette fois plus réaliste que la recommandation des 150. En revanche, les 150 citoyens voulaient faire payer le suremballage des articles mis en vente, par leurs producteurs en leur imposant une taxe. Le gouvernement envisage d’abord de poursuivre les expérimentations en cours, modulant la taxe d’ordures ménagère des particuliers en fonctions de leurs déchets.

    L'agiculture contribue à hauteur de 19% aux émissions de gaz à effet de serre de la France. Mais nos sols, avec leur couvert végétal absorbent également 30% des émissions humaines de gaz à effet de serre. Afin de doper l’agriculture biologique, les 150 citoyens souhaitaient donc étendre la loi Egalim qui oblige la restauration collective des écoles et des universités à utiliser 20% de produits bio, à la restauration collective privée ; une mesure reprise à horizon 2025 par le gouvernement.

    En revanche, l’exécutif se refuse pour l’instant à imposer une redevance sur les engrais azotés, afin de réduire leur utilisation. Il préfère attendre l’évolution de la réglementation européenne ; officiellement, pour ne pas défavoriser les agriculteurs tricolores en risquant de diminuer les volumes de leurs productions. «  C’est un choix frileux, tacle Grégory, 37 ans du groupe « Se nourrir ». Les spécialistes que nous avons audités nous ont clairement indiqué que les rendements des agriculteurs bios étaient aussi bons que ceux  de leurs collègues qui utilisent des engrais azotés. » De fait, si l’agriculture bio n’est par ailleurs pas davantage soutenue par la politique agricole européenne, collectivités locales et restaurateurs privés auront le plus grand mal à acheter 20% de bio...

    Sur un point cependant, le PJL climat va plus loin que les 150 citoyens : il propose d’instaurer dans la loi un Programme national de l’alimentation, de la nutrition et du climat (PNANC) plus ambitieux que le PNAN existant, qui prendra en compte toutes les sujets en lien avec l’alimentation (gaspillage, éducation, culture).

    Les citoyens du groupe « Travailler-produire » ont longuement réfléchi aux réformes qu’il faut engager pour d’abord, fabriquer de manière responsable des produits conçus pour durer. Pour, d’autre part, protéger nos écosystèmes. Mardi 8 décembre,  la secrétaire d’Etat à l’économie sociale et solidaire Olivia Grégoire leur a assuré que 8 de leurs 24 propositions seraient reprises dans le PJL, 10 déployées de façon réglementaire, et que 5 étaient déjà mise en œuvre. « Par rapport aux autres groupes, nous estimons que avoir été assez bien traités, confie Agny. Toutefois, souvent, ces mesures vont moins loin que ce que nous souhaitions. »

    Motifs de satisfaction : le gouvernement reprend la proposition de la CCC d’imposer aux acheteurs publics la prise en compte des considérations environnementales lorsqu’ils définissent des marchés. Il confère également aux CES, les comités sociaux économiques, une nouvelle prérogative : celle de prendre en compte les conséquences environnementales des activités de leurs entreprises. « sur le renforcement de la durabilité des produits de consommation, il nous manque cependant des garanties de mise à dispositions de pièces détachées, épingle Agny. Et les banques ne seraient pas contraintes de participer autant que nous le voulions aux efforts de réduction d’émissions de CO2 du pays. »

    Le projet de loi «  Convention citoyenne pour le climat » permettra-t-il in fin à la France de tenir ses engagements climatiques ? Les débats parlementaires devront le démontrer pour gagner la confiance... de tous les citoyens.


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    Le pasteur François Clavairoly et Jean-Daniel Roque s’élèvent, au nom de la Fédération protestante de France, contre un texte « modifiant profondément la loi de 1905 dont le protestantisme a été un des plus fidèles soutiens »

    Le protestantisme français critique le projet de loi présenté en Conseil des ministres ce 9 décembre et « renforçant les principes républicains » : une loi peu attractive pour l’islam, limitante et intrusive pour le protestantisme, l’un des principaux cultes concernés par le nombre des associations cultuelles.

    Très concerné par ce projet de loi modifiant profondément une loi dont il a été un des plus fidèles soutiens, le protestantisme français constitue environ les deux tiers des associations cultuelles 1905. Alors que le projet de loi voudrait rendre attractive la loi 1905 pour enfin donner un cadre législatif à l’islam français, qui ne demande que cela depuis tant d’années, il ne satisfait personne. La lutte contre les séparatismes et la réponse apportée à la menace d’un islam radical, qui motivaient ce projet, ne peuvent se réduire à ce seul texte.

    «Les lois de 1901 et 1905 étaient caractérisées par leur libéralisme (...): elles reposent sur la responsabilisation des instances des associations»

    Voici pourquoi le protestantisme français ne se reconnaît pas dans un texte limitant la liberté de culte et principalement la sienne, et qui ne répond pas aux objectifs visés. Les lois de 1901 et 1905 étaient caractérisées par leur libéralisme, auquel tenaient beaucoup leurs auteurs respectifs : elles reposent sur la responsabilisation des instances des associations. Le projet de loi revient fortement sur une telle orientation, en développant le contrôle de l’Etat sur la vie associative.

    Cette accentuation porte sur certains points, seulement pour les associations 1901, sans lien avec les cultes, mais est très forte pour les associations à objet cultuel. Quelle est la motivation d’une telle distinction, quand on sait que la plupart des associations à objet cultuel, d’une part, ne sont au bénéfice d’aucune aide publique, directe ou indirecte, et d’autre part, ne participent ni ne contribuent aux actions terroristes, réprimées à juste titre ? Augmenter les contraintes et charges administratives des associations ne peut que rendre plus difficile leur fonctionnement.

     

    Le projet de loi accroît la politique de surveillance et de contrainte et prévoit notamment de revenir en arrière, à un contrôle par le préfet de la qualité d’association cultuelle, semblable à celui déjà mis en œuvre entre 1988 et 2007. L’expérience a montré alors que soit les lourds dossiers établis par les associations cultuelles ne pouvaient pas être examinés par les préfectures, faute de personnel suffisant, soit l’examen de ces dernières pouvait s’arrêter à des détails insignifiants (telle la remise en cause de la qualité cultuelle sous le prétexte de l’existence de repas paroissiaux !). Or, depuis cette précédente expérience, elles n’ont pas bénéficié d’augmentation du nombre des fonctionnaires, bien au contraire. Pourquoi revenir à une expérience qui a montré dans la plupart des cas soit son inutilité soit son inadaptation ?

    «Cette loi 1905, brandie comme un étendard par les tenants d’une laïcité restrictive de la liberté de culte, est en réalité une loi de liberté qui établit les termes du culte public»

    On peut aussi se demander pourquoi est créée une procédure de déclaration et de contrôle relative aux fonds provenant, directement ou indirectement, de l’étranger, mais pour les seules associations à objet cultuel : de tels flux n’existent-ils pas aussi, et pour des montants bien plus élevés, pour d’autres domaines ?

    Le projet de loi veut introduire dans tous les statuts des associations cultuelles des dispositions sur certaines règles de fonctionnement, notamment relatives aux ministres du culte. Mais pour un grand nombre d’associations cultuelles, certaines règles régissant chacune d’elles ne relèvent pas de ses statuts : ces associations peuvent aussi reconnaître l’importance d’autres textes de référence, qui relèvent de leur union nationale, voire d’une autre autorité. Et l’article 4 de la loi de 1905 les oblige (à juste titre) à se conformer aux règles d’organisation générale de leur culte. Ainsi une telle demande – tout à fait nouvelle – méconnaîtrait l’autonomie interne des cultes, pour autant régulièrement affirmée par la Cour européenne des droits de l’homme.

    Par cette tribune, le protestantisme français demande qu’avant la publication des décrets une réelle et constructive concertation ait lieu, car c’est dans le détail de leurs énoncés que se vérifieront le pragmatisme et l’équité de la loi.

    Nous devons rappeler que cette loi 1905, brandie comme un étendard par les tenants d’une laïcité restrictive de la liberté de culte, est en réalité une loi de liberté qui établit les termes du culte public. S’il n’avait été question en 1905 que du culte assigné à la sphère privée comme on le comprend trop souvent encore aujourd’hui, 115 ans après, point n’eut été besoin d’une telle loi. Cette loi rappelle en effet que si la République est laïque, la société elle-même dans son organisation ne l’est pas et doit être le lieu de la libre expression de tous les cultes. Les cultes signent par leur présence dans la société les deux dimensions qui se conjuguent : celle, horizontale, de la fraternité et celle, verticale, de la spiritualité.

    Le pasteur François Clavairoly est président de la Fédération protestante de France et Jean-Daniel Roque président de sa commission Droit et liberté religieuse.

     





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