• Pass sanitaire: l’exécutif sur un fil

    Modus vivendi

    Pass sanitaire: l’exécutif sur un fil

    Pour convaincre les Français de passer le cap vaccinal et adopter le pass sanitaire, le gouvernement doit sans cesse louvoyer entre carotte et bâton, l’obligeant à des compromis sanitaires et politiques

    Pass sanitaire: l’exécutif sur un fil
    © Kak
     

    Le Parlement a adopté le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, qui entérine l’extension du recours au pass sanitaire, l’obligation vaccinale des soignants et l’isolement des malades de la Covid. Saisi par Matignon et des députés de gauche, le Conseil constitutionnel rendra son verdict le 5 août.

    Pour Henri IV, Paris valait bien une messe. Pour le gouvernement de Jean Castex, la santé des Français vaut bien un pass sanitaire. Et tout un été à justifier les arbitrages délicats qui vont avec, voire à les affiner au fil de l’eau.

    Le vote définitif, dans la nuit de dimanche à lundi, du projet de loi traduisant les annonces du 12 juillet d’Emmanuel Macron, marque un tournant dans la stratégie de lutte de l’exécutif contre l’épidémie et ses sempiternels variants.

    Après une semaine éprouvante de débats, députés et sénateurs ont accordé leurs violons en commission mixte paritaire (CMP) sur l’obligation vaccinale pour les soignants, l’extension du pass sanitaire (vaccination complète, test PCR négatif ou certificat de rétablissement) aux lieux de loisirs accueillant plus de 50 personnes et sur les modalités d’isolement des malades de la Covid. Trois mesures aussi iconiques que controversées qui ont poussé la veille du vote 160 000 personnes dans la rue contre un texte jugé «  liberticide  ».

    Après le vote, le Premier ministre Jean Castex a immédiatement saisi le Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision le 5 août pour une entrée en vigueur espérée prestissimo, via une série de décrets qui viendront apporter les ultimes ajustements à la loi.

    Dimanche, Olivier Véran a salué le consensus parlementaire, qu’il a jugé « juste, efficace, (…) entre notre liberté et la protection de notre santé ». « Nous ferons un usage parcimonieux  » du pass sanitaire, a promis le ministre de la Santé en anticipation des embûches à venir. «  A la minute où nous pourrons nous en passer, nous prendrons la décision de lever toutes ces contraintes », a-t-il juré.

    «  Protéger, protéger, protéger  ». Cette brusque accélération du calendrier (l’accord en CMP a évité une seconde navette parlementaire) et la volonté sans équivoque de l’exécutif d’avancer au pas de charge reflètent l’inquiétude grandissante des pouvoirs publics, mais aussi du monde sanitaire face à la progression du variant Delta. Il n’est plus question de tergiverser, il faut y aller et «  protéger, protéger, protéger  », a conjuré une fois de plus Emmanuel Macron depuis la lointaine Polynésie.

    Stimulée par la prise de parole présidentielle du 12 juillet, la campagne vaccinale va pourtant bon train, au point que le cap symbolique des 40 millions de primo-vaccinés a été franchi ce lundi avec près d’un mois d’avance sur le calendrier initial. Un Français sur deux (33,2 millions) est aujourd’hui doublement piqué, un chiffre plaçant l’Hexagone au-dessus de la moyenne de l’Union européenne (46,4 %), ce qui était loin d’être gagné. Fort de ces bons chiffres, Jean Castex a fixé ce lundi le prochain cap à 50 millions de primo-vaccinés fin août. Surtout, il faut protéger les 4,15 millions de Français de plus de 50 ans qui n’ont toujours pas vu l’ombre d’une piqûre. Et les amener sur le chemin vaccinal sans les brusquer.

    La mécanique bien rodée de la campagne vaccinale, où aucun cheveu ne dépassait, ou chaque étape était minutieusement préparée, quitte à traîner un peu de la savate, s’est muée, contrainte et forcée par l’épidémie et le risque de quatrième vague, en opération action/réaction, en stratégie de l’ajustement permanent

    Au ministère de la Santé et à Matignon, les petites mains s’activent depuis des semaines pour apporter de la souplesse au dispositif vaccinal (trop) rigoureux élaboré par les experts de la logistique à l’hiver 2020. La mécanique bien rodée de la campagne vaccinale, où aucun cheveu ne dépassait, ou chaque étape était minutieusement préparée, quitte à traîner un peu en longueur, s’est muée, contrainte et forcée par l’épidémie et le risque de quatrième vague, en opération action/réaction, en stratégie de l’ajustement permanent.

    Depuis peu, les Français peuvent recevoir leur seconde dose sur leur lieu de villégiature ; ils sont considérés comme pleinement vaccinés une semaine (au lieu de deux) après leur seconde injection ; dès lors, ils ne sont plus enregistrés dans les fichiers de l’Assurance-maladie comme cas contact (et sont donc exempts de quarantaine) ; et, comble de la récompense, ils pourront enlever leurs masques dans les lieux assujettis au pass sanitaire – si le variant et les autorités locales le permettent.

    Toutes ces récentes mesures, qui ne coulaient pas de source, montrent à quel point l’exécutif fait feu de tout bois dès lors qu’il s’agit de convaincre les Français de l’intérêt de retrousser leurs manches. Quitte, parfois, à brandir la carotte de la main gauche et le bâton de la main droite et risquer le procès en incohérence, égarant quelques compatriotes en route. Mais tout est bon pour éviter un énième confinement. Ce qui réclame d’aller vite sans (trop) passer en force et braquer opinion, oppositions et sceptiques de la piqûre. De pousser à la vaccination d’un côté sans (trop) restreindre les libertés individuelles de l’autre et ouvrir la porte à une belle grogne sociale à la rentrée.

    Schizophrénie. Les tractations et compromis parlementaires sur les modalités d’application et le calendrier du pass sanitaire illustrent cette schizophrénie avec laquelle le gouvernement doit composer. Son projet initial réclamait un régime de sanctions et de contrôle très strict : une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros et un an de prison pendait au nez de l’exploitant d’un lieu qui manquerait aux futures obligations de contrôle du pass. Les parlementaires ont mis de l’eau dans le vin de l’exécutif. Les établissements mauvais élèves passeront par la case mise en demeure et fermeture administrative avant la sanction pénale.

    De la même manière, les salariés des secteurs concernés pouvaient, dans la version originale, perdre leurs emplois sans indemnités s’ils ne respectaient pas les règles imposées. Sursis du Parlement : s’ils ne sont pas en mesure de présenter un pass au 30 août, ils seront d’abord poussés en congés avant que leur salaire soit «  seulement  » suspendu.

    Les autres Français soumis à l’obligation vaccinale (soignants en hôpitaux, Ehpad, à domicile, en ville, pompiers, ambulanciers) ont obtenu une tolérance d’un mois et demi supplémentaire (jusqu’au 15 octobre) pour se mettre dans les clous vaccinaux.

    Idem pour le contrôle des malades confinés à leur domicile pour casser les chaînes de transmission. Vaille que vaille, la droite sénatoriale a poussé pour que l’Assurance-maladie ou les agences régionales de santé se chargent de vérifier que les personnes positives à la Covid jouent bien le jeu de l’isolement avant d’envoyer la maréchaussée, comme le souhaitait au préalable l’Etat.

    Sur les centres commerciaux, en revanche, le gouvernement n’a pas lâché. La Chambre haute avait bien réussi à rayer du projet de loi l’obligation du pass pour ces lieux où se croisent plusieurs milliers de personnes chaque jour mais que les données scientifiques jugent moins à risque que les bars ou les restaurants. Surprise : Olivier Véran a fait passer dimanche in extremis un amendement renvoyant la balle aux préfets, susceptible d’imposer le pass aux centres commerciaux si «  la gravité des risques de contamination  » à l’échelle d’un département le justifie.

    A l’inverse et pour laisser souffler les parents, les pouvoirs publics n’envisageaient pas d’imposer le pass sanitaire aux 12-17 ans avant le 30 août, une date finalement reportée au 30 septembre par les députés.

    A l’heure ou la quatrième vague, dont les épidémiologistes peinent à anticiper les ravages, semble inévitable, le pass sanitaire sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Le gouvernement a gardé un atout dans sa manche : l’obligation vaccinale pour tous. Un game changer polémique dont il préférerait sans doute se passer.

    « Disproportionnalité et vie sous contrôleDu passe sanitaire à l’impasse autoritaire »