L’élection présidentielle est l’occasion d’un grand débat sur la réforme de notre protection sociale face au chômage de masse, à la précarité au travail et à l’intensification de la pauvreté qui touche près de 9 millions de nos concitoyens. Dans ce contexte, l’accès à un emploi, accompagné d’un salaire décent et d’un droit à la formation, reste un facteur essentiel d’inclusion sociale. Il apporte des ressources financières, des droits, mais aussi des liens sociaux, un sentiment d’utilité et une activité souvent indispensables à l’épanouissement personnel. Les associations de solidarité qui accompagnent vers l’activité et la formation peuvent témoigner de la volonté farouche des personnes d’accéder à une activité rémunérée. Lutter contre le chômage, contre cette privation - qui, ne l’oublions pas, frappe 6 millions de nos concitoyens - reste l’urgence de notre société, et doit donc demeurer notre priorité.

Certaines voix proposent de durcir les conditions d’accès au RSA, de le conditionner à une activité rendue obligatoire, ou de rendre dégressive l’allocation chômage. Des propositions qui stigmatisent les chômeurs et précaires - présentés comme responsables de leur situation - et qui accusent les minima de favoriser «l’assistanat» en décourageant la reprise de l’activité. Ces affirmations sont fausses et dégradantes pour les personnes qui vivent le chômage et la pauvreté au quotidien. Elles oublient aussi l’impact de la crise économique sur un marché de l’emploi qui rejette les moins qualifiés ou les plus âgés.

Pourtant, le fonctionnement actuel des minima sociaux pose de sérieux problèmes : trop nombreux et trop complexes, ils ne sont compréhensibles pour personne, pas même pour ceux qui les perçoivent. D’un montant variable et souvent trop faible, ils traitent de manière très différente des personnes dont la situation est pourtant très proche, faisant naître un sentiment puissant d’injustice. Enfin, conditionnés à la répétition de démarches administratives kafkaïennes, ils génèrent des frais de gestion énormes et découragent près d’un allocataire sur trois, qui finit par ne plus les demander. Ils doivent être réformés.

Disposer d’un revenu décent garanti n’est pas une invitation à l’inactivité. C’est au contraire un préalable nécessaire à la reprise d’activité. Retrouver un emploi nécessite de pouvoir se déplacer pour se rendre aux entretiens d’embauche et sur le futur lieu de travail, de pouvoir faire garder ses enfants, d’être en bonne santé pour occuper un poste de travail - donc de pouvoir se loger, s’alimenter correctement, se soigner. Assurer des ressources à chacun en cas d’absence d’emploi, c’est donner les moyens de faire face à ces dépenses, et ainsi augmenter la probabilité de retrouver un emploi. Inversement, ne pas le faire, c’est souvent condamner les personnes à demeurer exclues du marché du travail. Aujourd’hui, lorsque l’indemnisation chômage s’arrête ou fait défaut, les minima sociaux constituent la seule source de revenu pour un demandeur d’emploi sur deux.

Pour favoriser le retour à l’emploi de ceux qui en sont privés, il est donc capital, non pas de réduire mais, au contraire, de renforcer les minima et d’en simplifier l’accès, pour garantir des ressources et des conditions de vie décente si essentielles à l’insertion.

Cette nécessaire amélioration est aussi un impératif de justice et de solidarité à l’égard des personnes dont les ressources ne permettent pas l’accès aux biens essentiels comme le logement, l’énergie ou l’alimentation. Ne pas s’indigner devant leurs souffrances et les rejeter ainsi hors de notre communauté, c’est trahir cette promesse qui nous engage tous : celle de bâtir ce que Léon Bourgeois appelait une «société de semblables», rassemblant des femmes et des hommes prêts à faire des sacrifices les uns pour les autres.

C’est pourquoi nous soutenons la création d’un revenu minimum décent attribué automatiquement, pour éviter que des démarches administratives ne privent des personnes du revenu auquel elles ont droit. Ouvert sous condition de ressources, il serait le fruit de la fusion des différents minima sociaux actuels. Toute personne résidant de manière stable et régulière sur le territoire national y aurait droit, et ce dès l’âge de 18 ans (et non comme aujourd’hui à partir de 25 ans) de manière à lutter contre la pauvreté des jeunes et à favoriser leur prise d’autonomie. Cette prestation serait différentielle, c’est-à-dire qu’elle viendrait compléter les revenus de la personne pour qu’ils atteignent son niveau. Enfin, pour concilier les objectifs d’émancipation des individus et d’adaptation aux conditions de vie de la personne, il serait semi-individualisé, c’est-à-dire attribué en fonction des ressources de l’ensemble du foyer - le conjoint d’une personne aisée ne le percevrait pas - mais sans que son montant soit diminué en fonction du nombre de personnes composant le foyer - le conjoint sans revenu d’une personne gagnant l’équivalent du revenu minimum décent percevrait lui l’allocation dans sa totalité.

Reste donc à fixer son montant : nous proposons qu’il se situe autour de 800 euros par mois. Cela signifie donc qu’aucun majeur, en condition de résidence régulière et stable dans notre pays, ne vivrait avec moins de 800 euros par mois environ. Ce montant garantirait à chacun la possibilité de vivre décemment et d’avoir l’opportunité de retrouver un emploi (pour ceux qui ne sont ni retraités ni inaptes à travailler). Il reste toutefois suffisamment éloigné du Smic, complété par la prime d’activité, pour que les travailleurs précaires ne se sentent pas lésés.

Estimé entre 20 et 30 milliards d’euros selon les modalités retenues, le coût brut de cette réforme est important. Mais c’est un investissement social qui générerait des économies de gestion (les coûts de gestion des 10 minima sociaux actuels sont estimés à près de 10 milliards d’euros !) et soutiendrait le pouvoir d’achat - et donc la consommation des plus pauvres. Elle éviterait des dépenses supplémentaires de lutte contre la grande exclusion tout en facilitant le retour à l’emploi du plus grand nombre. Surtout, elle réincarnerait ces valeurs de solidarité, de justice et de décence qui sont au fondement du «pacte républicain».

Louis Gallois Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (nouveau nom de la Fnars) , Thierry Pech Directeur général de Terra Nova