Des revendications et arrière-pensées électorales derrière le mouvement paysan
Les élections aux chambres d’agriculture de janvier 2025 sont déjà dans tous les esprits et pèsent sans doute aussi lourd que le Mercosur dans la mobilisation actuelle des agriculteurs.
Par Erwan Seznec
Un agriculteur du syndicat FNSEA lors d'une manifestation contre le Mercosur à Albi (Tarn), le 18 novembre 2024. © Arnaud Bertrand/Abaca
Bien sûr, il y a les accords de libre-échange avec l'Amérique latine. Il y a aussi les réglementations ubuesques et les inspections chronophages. Toutefois, un autre facteur, moins souvent évoqué, explique aussi pourquoi les paysans français sont aujourd'hui sur les ronds-points. Il s'agit des élections aux chambres d'agriculture qui auront lieu fin janvier 2025.
Si le choix d'un président pour une chambre d'industrie et de commerce a rarement passionné les entrepreneurs (5 % de participation au niveau national en 2021), il en va tout autrement dans le monde agricole. En 2019, le taux de participation était de 46,22 % dans le collège des chefs d'exploitation, le plus important. Plus d'un agriculteur retraité sur quatre (28,43 %) s'était déplacé pour voter.
Il y a à cela une raison simple. Les chambres d'agriculture, qui ont cent ans cette année, sont de vrais lieux de richesse et d'influence. Employant plusieurs milliers de salariés, brassant plus de 700 millions d'euros par an, elles sont écoutées des pouvoirs publics, comme des banques. Les élus des chambres d'agriculture siègent souvent au conseil d'administration des caisses locales du Crédit agricole. Elles flèchent des aides et elles prennent des décisions importantes en matière de formation.
Une source de financement importante
Et ce n'est pas tout : le financement public des syndicats d'agriculteurs (14 millions d'euros par an environ) est réparti en fonction des résultats obtenus aux élections professionnelles. Le mode de distribution, assez complexe, prend en compte le nombre de sièges obtenus, mais aussi le nombre de voix. Il ne suffit donc pas de gagner pour rafler la mise. Il faut le faire avec un score massif. Alors que le réseau des chambres d'industrie et de commerce est très éclaté – les fusions imposées par l'État restant souvent lettre morte sur le terrain –, il existe une seule chambre d'agriculture par département.
Actuellement, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) domine outrageusement le paysage. En 2019, parfois alliée au Jeunes Agriculteurs, elle a raflé toutes les chambres, sauf le Lot-et-Garonne, la Vienne et la Haute-Vienne, la Moselle et la Loire-Atlantique. Elle a récupéré cette dernière chambre au bout de quelques semaines, en obtenant l'annulation du premier scrutin pour vice de forme devant le tribunal administratif, et remportant le second. Quant à la Moselle, elle est tenue par des dissidents internes, issus des Jeunes Agriculteurs.
La véritable opposition, représentée par la Coordination rurale, proche de l'extrême droite, tient donc seulement trois chambres en métropole. La Confédération paysanne, classée à gauche et très présente dans les médias, pèse 20 à 25 % de l'électorat agricole, et n'en contrôle aucune. Un des enjeux du scrutin de janvier 2025 sera de déterminer si le rapprochement de cette dernière avec Les Soulèvements de la Terre – mouvement radical à l'origine des violences de Sainte-Soline –, très net ces dernières années, a été électoralement payant.
Il a probablement irrité l'électorat traditionnel, mais il faut aussi compter avec des inscrits récents, issus des nombreux programmes d'aide à l'installation sur des petites exploitations, en bio ou en agriculture alternative, financés par les collectivités. Économiquement, ils ne pèsent pas d'un poids significatif, mais leur voix compte autant que celle d'un grand céréalier de la Beauce.
La FNSEA veut donner des gages à la base
La FNSEA part favorite, mais elle n'aborde pas pour autant le scrutin – qui se terminera le 31 janvier 2025 – en toute décontraction. Très schématiquement, elle serait la représentante des « gros » contre les « petits », défendus par la Coordination rurale quand ils sont de droite, et par la Confédération paysanne s'ils penchent à gauche.
Beaucoup de petits producteurs – de lait, en particulier – sont en colère depuis des années contre les coopératives, perçues comme proches de la FNSEA. Ce sont eux qui ont fait basculer le Calvados du côté de la Coordination rurale, de 2013 à 2023. Ils dénoncent un partage inégal des bénéfices et reprochent aux coopératives de trop regarder vers l'export et les industriels, et pas assez vers les producteurs.
Détail qui ne trompe pas, à Callac (Côtes-d'Armor), sur le tout premier barrage du mouvement mis en place jeudi 14 novembre, un délégué de la FDSEA22 était présent pour parler au nom des paysans… et de la coopérative laitière Sodiaal, dont il se déclarait administrateur.
L'idée de la FNSEA est de marquer sa solidarité avec la base. Il s'agit de lui prouver que personne ne sera sacrifié dans les négociations internationales en cours. Exercice délicat, car le Mercosur a vocation à profiter à certains paysans français ! Les clauses sur les indications géographiques protégées contenues dans le projet d'accord, par exemple, joueraient en faveur des producteurs français de vins et de fromages. Les éleveurs, au contraire, redoutent l'accord.