• Au sein même de l'Union européenne, les compétiteurs brisent les reins des paysans français.
    Guillaume Horcajuelo / MAXPPP

    Crise agricole : une concurrence acérée entre pays de l'UE… et la compétitivité française est grignotée

    Crise agricole : une concurrence acérée entre pays de l'UE… et la compétitivité française est grignotée

     

    La « concurrence déloyale » tant dénoncée par les agriculteurs depuis le début de leur mouvement de contestation n’est pas seulement celle de pays de l’autre bout du monde. Au sein même de l’Union, les compétiteurs brisent les reins des paysans français.

    Faire du voisin son prochain. Cette philosophie part d’un bon principe choisi par les Européens depuis longtemps. Mais quand ledit voisin se révèle un concurrent redoutable, voire carrément déloyal, comment faire sien ce généreux précepte ? L’agriculture française pourrait faire l’objet d’un sujet au prochain bac de philo tant elle tient du cas d’école (ou de conscience).

     

    Selon une étude menée par l’Iéseg School of Management, en matière d’alimentation (hors boissons), la France présentait, de fin 2022 à fin 2023, un déficit commercial de 12,3 milliards d’euros avec ses partenaires européens. Hors zone UE, elle affichait en revanche un excédent de 3,6 milliards. Même si le Ceta (avec le Canada), les accords UE-NZ (avec la Nouvelle-Zélande) et peut-être demain le Mercosur (Brésil, Paraguay…) finiront par faire pencher le fléau de la balance française du mauvais côté


  • L’Allemagne, première puissance exportatrice agricole, devant la France. Oui, mais… bonjour les déficits ! Un modèle de dumping social.

     

    L'Allemagne enregistre toujours un solde commercial négatif car elle importe bien plus qu’elle ne produit.

    Comment l'Europe agricole, excédentaire de 58 milliards d'euros avec le reste du monde, peut-elle être à ce point en mauvais état ? L'Allemagne illustre à quel point la puissance économique est parfois trompeuse. Si l'on s'en tient au récit ordinaire, l'agriculture allemande serait devenue, dès 2005, la première puissance exportatrice de l'UE, détrônant les Français et à leur détriment.

    Certes, après la réunification, l'Allemagne récupère les grandes exploitations collectivistes de l'ex-RDA et ne tarde pas à les rentabiliser. Les surfaces des exploitations à l'Est (246 hectares en moyenne) sont nettement plus élevées qu'en France (69 hectares en 2020). En vérité, l'Allemagne présente plusieurs facettes : au Sud (Bavière, Bade-Wurtemberg), les campagnes se hérissent de petites exploitati...

     

     


  • Arrachage des vignes : en Gironde, les pelleteuses rentrent dans les parcelles

     

    Arrachage des vignes : en Gironde, les pelleteuses rentrent dans les parcelles

    Le plan d’arrachage se concrétise avec les premières pelleteuses qui rentrent dans les parcelles. Exemple chez Luc Bergerie, vigneron près de Saint-Émilion

    Pour celui qui veut prendre des photos ou tourner une vidéo, on peut désormais bien visualiser le plan d’arrachage massif et historique mis en place en Gironde, le plus grand département viticole français (110 000 hectares). En septembre 2022, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) annonçait vouloir faire arracher 10 000 hectares pour réduire la production et tenter de coller, à terme, à une courbe des ventes structurellement à la baisse.

    En mars 2023, le ministère de l’Agriculture donnait son aval, avec un plan de financement à hauteur de 57 millions d’euros. En décembre dernier, le bilan tombe : 1 200 viticulteurs, essentiellement situés dans l’Entre-deux-Mers, sont volontaires pour arracher un total de 8 000 hectares contre une prime de 6 000 euros par hectare. Fin janvier, les autorisations d’arrachage sont envoyées par l’administration et, dans la foulée, les premières pelleteuses rentrent dans les parcelles pour tout détruire. Avec le choc émotionnel qui va avec.

    À Saint-Sulpice-de-Faleyrens, aux portes de Saint-Émilion, Adrien Duvigneau-Lobre, un enfant du pays âgé de 39 ans, fait un travail soigné. Sur son engin à chenille – le terrain est bien boueux –, il arrache méthodiquement deux rangs à fois. Il faut parfois tirer fort avec le godet. C’est ici une parcelle de merlot d’une quarantaine d’années située en AOC Bordeaux rouge, l’appellation générique du département.

    Prime de 6000 €/ha

    « J’ai senti il y a plusieurs mois que cette campagne d’arrachage serait une opportunité pour monter mon affaire d’entrepreneur de travaux agricole, DLP Presta location. J’ai acheté deux machines et c’est aujourd’hui [jeudi 1er février, NDLR] mon premier chantier pour ce type de boulot. Si tout se passe bien, je serai occupé jusqu’au 31 mai, date à laquelle tout devra être arraché dans le département. »

    Les ceps, les piquets et les fils de fer forment un tas qui sera brûlé plus tard (les fils de fer seront recyclés). Celui qui est issu d’une famille de pépiniéristes et a longtemps travaillé chez un fournisseur de produits agricoles remonte sur sa machine. Avec les secousses et le bruit, ce n’est pas facile. « Je suis tout seul et, depuis des semaines, dans différents travaux que je mène, les journées sont longues. Le soir, je rentre quand je suis épuisé. » Il rejoindra alors son épouse, viticultrice.

    Ces vignes appartiennent à Luc Bergerie, 35 ans, qui habite à deux pas. « La situation économique en AOC Bordeaux rouge est dramatique, on ne vend presque plus rien. Heureusement que je possède à côté six hectares en AOC Saint-Émilion et que je produis aussi des céréales – blé, maïs, tournesol. » Ce coopérateur chez Louis Vallon (Bordeaux Families, à Sauveterre-de-Guyenne) travaille depuis une douzaine d’années dans la ferme familiale où son père vient juste de prendre sa retraite. Sur ses 36 hectares en AOC Bordeaux rouge, il a fait une demande pour en supprimer cinq. Ils sont dans une zone gélive et près d’un foyer de flavescence dorée, une maladie qui peut entraîner de lourdes pertes de récolte.

    « Planter ici des céréales, comme cette parcelle en portait il y a des décennies »

    Dans les faits, il ne pourra en arracher que quatre car la demande totale des vignerons girondins – dans la catégorie de ceux qui se reconvertiront dans une autre culture – est supérieure au budget prévu (19 millions d’euros versés par le CIVB). Chacun ne pourra détruire que 80 % des surfaces demandées. Luc Bergerie touchera donc 24 000 euros, sans savoir encore quand. « C’est ça, l’agriculture, on avance les frais puis c’est le brouillard pour la date du paiement. »

    Pressé d’arracher

    Lui qui a monté avec son épouse un moulin pour proposer de la farine et des pâtes en circuit court sait déjà ce qu’il va en faire : « Planter des céréales, comme cette parcelle en portait il y a des décennies. Je suis pressé d’arracher la vigne car il me faudra préparer la terre pour semer au printemps. »

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    Un dernier regard à Adrien Duvigneau-Lobre qui repart dans l’autre sens pour raser deux autres rangs. Avec une bonne nouvelle pour tous les entrepreneurs : le préfet de Gironde vient d’annoncer qu’ils seront payés, via les banques, avant que la prime n’arrive dans la poche du vigneron bénéficiaire. Il en coûte autour de 1 000 à 1 500 euros pour arracher un hectare.

    150 millions pour arracher

    Le plan anticrise dévoilé le 31 janvier par le ministre de l’Agriculture prévoit 150 millions pour financer un vaste plan d’arrachage au niveau national, et ce suivant plusieurs modalités. Le chiffre de 100 000 hectares est avancé, alors que la France en compte 750 000. Ce qui se passe en Gironde de façon pionnière devrait arriver dans d’autres départements, en particulier dans le Languedoc-Roussillon et la vallée du Rhône.

     


  • Agriculture biodynamique : « Nous dénonçons les liens entre la recherche publique et un mouvement philosophico-religieux »

    Une soixantaine de scientifiques et d’agriculteurs s’alarment de l’infiltration de l’anthroposophie dans des instituts comme l’Inrae et le CNRS.

    Travail avec un cheval dans des vignes en biodynamie dans le Bordelais.

     

    L'agriculture contemporaine déchaîne les passions. L'encre coule pour dénoncer les problèmes liés aux pesticides, aux OGM et à la surconsommation carnée. Dans ce déferlement brûlant d'arguments, une agriculture prend de plus en plus de place dans l'espace associatif, médiatique et même institutionnel*.

    De fait, l'agriculture biodynamique, considérée comme plus bio que bio par ses promoteurs – utilisation de quantités moindres d'intrants par rapport à l'agriculture biologique notamment –, est parvenue à faire oublier au grand public ses fondements réels et ses pratiques magiques.

    La biodynamie a été théorisée par Rudolf Steiner en 1924. Celui que certains décrivent comme un philosophe est également à l'origine de l'anthroposophie, un mouvement occulte directement inspiré de la théosophie – dogme agrégeant plusieurs croyances religieuses – d'Helena Blavatsky.

    Influence de la Lune
    L'anthroposophie postule par exemple que la Terre et les humains se réincarnent, que notre monde est traversé par des énergies cosmiques qui agissent sur des « corps subtils » – éthériques ou astraux. Tout cela régirait la vie sur Terre, la santé humaine, la hiérarchisation de supposées races humaines et la pousse des plantes.

    L'agriculture biodynamique s'inscrit explicitement dans les concepts ésotériques et occultes de l'anthroposophie. D'ailleurs, parmi les concepts ésotériques de ce courant de pensée, nous pouvons citer les célèbres « préparations biodynamiques ». Les préparations 502 et 505 par exemple sont obtenues en fourrant des vessies de cerf et des crânes d'animaux domestiques avec respectivement des fleurs et des écorces de chêne, selon le cahier des charges Demeter. Les préparations sont ensuite diluées pour donner, selon les préceptes de la biodynamie, une « information » au sol, aux feuilles ou au compost.

    Cette pensée est proche du concept de la « mémoire de l'eau » parfois invoquée pour donner des fondements théoriques à la pratique de l'homéopathie. La biodynamie postule également d'une influence de la Lune et des planètes lointaines sur les cultures. Toutes les allégations spécifiques à la biodynamie relèvent du domaine des pseudosciences.

    Le dernier rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) annonce un nombre de saisines concernant l'anthroposophie égal à celui de la scientologie et maintient ainsi une vigilance quant à une potentielle emprise mentale.

    Esprit critique

    Nous, citoyens, chercheurs, enseignants, agriculteurs, dénonçons publiquement la position ambiguë de certaines institutions publiques vis-à-vis de cette agriculture particulière dont les fondements relèvent de croyances ésotériques et mystiques.

    Ainsi, du 19 mars au 7 mai, se tiendra une série de conférences à l'initiative du Mouvement pour l'agriculture biodynamique (MABD) au cours desquelles interviendront des chercheurs de l'Université de Strasbourg, du CNRS et de l'Inrae**.

    Nous dénonçons ici les liens contradictoires entre le monde de la recherche publique et un mouvement philosophico-religieux. L'intervention de chercheurs, dont certains ont déjà collaboré ou signé des articles à prétention scientifique avec des anthroposophes, exerçant, qui plus est, au sein de grands instituts de la recherche publique française, permet de douter de la place de l'esprit critique au sein de ces institutions et impacte clairement leur crédibilité vis-à-vis du grand public.

    Anges, gnomes et salamandres
    En effet, nous nous interrogeons sur les références peu claires à la physique quantique et plus particulièrement à la conscience quantique dans un article académique en sciences sociales pour « permettre un dialogue constructif entre les sciences académiques et les praticiens de l'agriculture biodynamique »***. L'utilisation de la science ne sert ici qu'à donner un vernis de scientificité à des concepts pseudoscientifiques.

    Nous nous interrogeons également sur l'utilisation de la spiritualité via l'agriculture biodynamique pour « "réenchanter" l'agriculture, de manière comparable et complémentaire aux savoirs autochtones » dans un autre article académique.

    Les résumés de ces conférences, données à l'occasion du centenaire du « cours aux agriculteurs » de Rudolf Steiner, nous permettent d'avoir un aperçu assez clair du contenu. Aussi, vous pourrez entendre parler de :

    « La théorie de la connaissance qui sous-tend l'approche steinérienne de la biodynamie. »
    « La biodynamie interroge en profondeur les cadres et présupposés de la systémique agraire. »
    « L'enjeu de la biodynamie serait ainsi "la réanimation du monde" au double sens vitaliste et spirituel de l'expression. »
    « Nous avons ainsi montré que l'immunité de la vigne est à la fois plus active et plus réactive aux stress du climat et des maladies lorsqu'elle est cultivée en conduite biodynamique. »
    « Influences lunaires et cosmiques sur la vie des plantes : voyage au cœur d'une controverse. »
    Nous dénonçons ainsi l'utilisation de référence à des instituts de recherche tels que l'Inrae et le CNRS, ainsi que l'Université de Strasbourg et des instituts de recherche européens dans le but d'apporter une caution scientifique à l'agriculture biodynamique. Nous ne contestons pas la pratique de l'agriculture biodynamique, chacun étant bien sûr libre de ses croyances.

    Nous ne contestons pas l'étude et la recherche portant sur l'agriculture biodynamique dès lors que ces études s'éloignent et se détachent de l'influence de l'anthroposophie et portent un regard objectif mais critique sur celle-ci. Mais nous contestons l'utilisation de la science comme tentative de légitimer une pratique non scientifique.

    *Alim'agri, journal édité par le ministère de l'Agriculture, 2019, p58-59.

    **Webinaire Recherche, Science & biodynamie.

    ***C. Rigolot, Quantum theory as a source of insights to close the gap between Mode 1 and Mode 2 transdisciplinarity : potentialities, pitfalls and a possible way forward. Sustain Sci, 2020. 7 C. Rigolot, M. Quantin, Biodynamic farming as a resource for sustainability transformations : Potential and challenges, Agricultural Systems, 2022.

    ****Message des êtres élémentaires, Karsten Massei, 2022.

    Les premiers signataires de cette tribune : Catherine Regnault-Roger, professeur des Universités émérite, membre de l'Académie d'agriculture de France et de l'Académie nationale de pharmacie ; Léon Guégen, directeur de recherches honoraire Inrae, membre émérite de l'Académie d'agriculture de France ; André Fougeroux, membre de l'Académie d'agriculture de France ; Patrick Vincourt, ex-directeur Inrae ; Guillaume Lecointre, professeur du Museum national d'Histoire naturelle ; Christophe De La Roche Saint-André, chercheur CNRS (CRCM) ; Cyril Gambari, enseignant de biologie-écologie, lanceur d'alerte sur l'agriculture biodynamique ; Richard Monvoisin, didacticien des sciences, Université Grenoble-Alpes ; François-Marie Bréon, chercheur physicien-climatologue ; Jacques Blondy, ingénieur agronome ; Karine Lacombe, chercheuse et enseignante, Sorbonne Université… Retrouvez l'intégralité des signataires ici.


  • Les dessous de la mise en « pause » du plan Ecophyto

    En annonçant la suspension pour quelques semaines du plan Ecophyto, Gabriel Attal a provoqué la fureur des Écologistes. Pourtant, l’indicateur est unanimement décrié, y compris… par les écolos !

     

    Le Premier ministre a annoncé la suspension pour quelques semaines du plan Ecophyto.

    Hier encore, ils clamaient leur soutien aux agriculteurs en colère… Pour mieux tempêter alors que s'amorce une sortie de crise. Annoncée le 1er février par Gabriel Attal, la « mise en pause » du plan Ecophyto, ce programme mis en place en 2008 visant à baisser de 50 % l'utilisation des pesticides, ne passe pas auprès des Écologistes, des membres de la Nupes et des organisations environnementales.
    « On a un gouvernement qui a décidé de ne plus protéger l'eau, de ne plus protéger la terre, de ne plus protéger la biodiversité, ni même notre santé », gronde la patronne des Écologistes, Marine Tondelier. Après les appels à la « nuance » pour comprendre les revendications disparates des agriculteurs, voici revenu le temps des postures binaires…

    Le programme Ecophyto pourtant, mis en place sous...

     

     

     


  • «Farm to fork», histoire d'une déroute annoncée

     

    Pesticides 27/02/2023 Ducros

     

    La stratégie européenne Farm to fork (« de la ferme à la fourchette ») est la déclinaison agricole du Green New Deal engagé par la Commission européenne pour décarboner massivement l'économie d’ici à 2030. Cette feuille de route, écrite en 2019, a été votée par le Parlement de Strasbourg et par le Conseil

    Son objectif affiché : tendre vers « un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement », tout en limitant les émissions de CO2 et en minimisant les atteintes à la biodiversité.

    Il est vite apparu, cependant, que les impératifs de cette stratégie (baisse drastique des usages de produits phytosanitaires de 50 %, des engrais de 20 %, hausse des surfaces consacrées à l’agriculture biologique de 25% et promotion des jachères) n’avaient pas été évalués concrètement. Les études extérieures se sont multipliées, montrant toutes des chutes importantes de production, des hausses massives d’importations (et une déportation des pollutions), ainsi que des hausses de prix pour les consommateurs. La Commission elle-même en est arrivée à ces conclusions.

    L’Opinion a suivi l'évolution du débat autour de la stratégie Farm to fork qui est, en février 2024, au cœur de la contestation agricole européenne. Voici les principaux articles que nous lui avons consacrés.





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