Ski, vélo, bricolage ou bruit : le casque est partout aujourd'hui. Pour notre chroniqueur Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès et auteur de « La fête est finie ? » (Éditions de l’Observatoire, 2021), c'est le signe visible d'une société où chacun veut se prémunir des risques.
Les casques sont partout. Et vous n’avez pas pu leur échapper. Il y a d’abord les casques pour écouter de la musique en vous coupant du reste du monde. Il en existe de toutes les couleurs et de tous les styles, du casque filaire au casque Bluetooth, donnant le sentiment que des disciples de David Guetta survivent malgré la fermeture des boîtes de nuit.
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Il y a évidemment les casques pour jouer aux jeux vidéo dans les meilleures conditions possibles, casques et jeux dont les grands adultes sont désormais coutumiers. Le Syndicat des éditeurs de logiciel de loisirs (SELL) vient de dévoiler les résultats de son étude annuelle, « Les Français et le jeu vidéo », montrant que l’âge moyen des joueurs est de 38 ans, que 71 % des adultes y jouent, et même que 18 % des joueurs sont des séniors. Le casque pour tous en somme.
Il y a aussi l’arrivée des casques de réalité virtuelle, qui vous permettent de fantasmer une vie qui n’est pas la vôtre, et celle des casques antibruit, vous protégeant du tumulte de la vie extérieure et du bruit de vos voisins.
Du bricolage au cyclisme
De jeunes cadres dynamiques, devenus récemment fans de bricolage, ont également investi dans des casques de chantier pour avoir la panoplie complète de Bob le bricoleur : pour 59 % des Français, la crise sanitaire a été l'occasion de passer à l'acte et de monter en compétence dans le domaine du bricolage, afin d’avoir un habitat plus sûr, plus sain, plus confortable et plus écoresponsable. Ainsi, fin octobre, les ventes dans le bricolage étaient en hausse de 15 % en valeur, et cela devrait durer : 85 % des propriétaires ont un projet d'aménagement dans les deux ans.
Tous ces individus casqués donnent le sentiment que le casque est l’un des objets les plus partagés de notre époque, l’un des éléments les plus démocratiques, quand bien même il faut casquer année après année pour les renouveler (si vous ne profitez pas des soldes pour cela, vous avez vraiment un pète au casque). En outre, il ne faut pas omettre de parler des casques de protection utilisés par les utilisateurs de deux-roues, de skateboards et de rollers, qui ont évidemment une part de responsabilité importante dans l’apparition de cette société casquée.
Récemment d’ailleurs, un sénateur socialiste, François Bonneau, a proposé une proposition de loi, rejetée depuis, visant à étendre l’obligation du casque à tous les cyclistes et plus seulement à ceux de moins de 12 ans. Sans rentrer dans les arguments pour et contre (ce n’est pas le débat ici, je ne veux pas de coup de casque), la chose intéressante est que cette mesure ferait que toutes nos grandes métropoles auraient bientôt autant de gens casqués que de gens non casqués dans les rues.
Et oui. Petit à petit, le casque a fait son lit. Il est présent sur les pistes de ski fréquentées par 6 % de la population française (population dont vous avez pourtant le sentiment qu’elle est bien plus importante au vu des stories qui défilent sur votre compte Instagram en ce début d’année) et sur la tête des adultes adolescents surfant sur les trottoirs en trottinette. Car le casque devient le préalable à toute activité où la chute est possible, une condition pour glisser sur la piste de la vie en toute sécurité.
Société sans risque ?
Ainsi, il ne sera guère surprenant de voir demain des casques pour les jeunes bébés afin de les protéger en cas de chute sur le parquet. Il ne sera pas déroutant que l’on demande demain aux écoliers de garder leur casque durant la classe, au cas où ils tomberaient de leur chaise en apprenant que les bébés ne naissent pas dans les choux. Il serait assez logique de voir des personnes âgées sortir casqués afin d’éviter de se cogner contre le réel. Et il ne serait pas absurde de rendre obligatoire le casque dans les stades de football afin d’éviter de se prendre des bouteilles et des fumigènes dans la poire comme c’est le cas depuis le début de la saison.
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Cette société parvient en effet de moins en moins à faire un certain nombre d’activités sans anticiper les risques. Prévenir plutôt que guérir, se barricader plutôt que gambader. Cela ressemble un peu aux discours ambiants sur la prévention face à l’alcool. Plus un jour ne passe sans que l’on vous dise que vous buvez trop et que c’est une prise de risque irresponsable (d’où le fameux « Dry January » qui n’est toujours pas terminé à l’heure où on se parle), alors que nous n’avons jamais aussi peu bu de vin à l’ère du bien-être, du petit footing, du chichon et du yoga. Alors qu'un Français consommait en moyenne 200 litres d'alcool par an en 1960, il n'en consomme plus que 80 litres. C'est principalement le vin que les Français délaissent, sa consommation ayant été divisée par 3,5 en 60 ans selon l'Insee.
En parlant de vin, une polémique est née il y a peu car le candidat du Parti communiste à l’élection présidentielle, Fabien Roussel, a fait l’apologie du bon vieux verre de rouge. Pour avoir osé cela, ce dernier s’est fait insulter de vieux réacs et de facho à la botte de l’extrême droite.
Dans une logique de paix, tel un casque bleu, peut-être aurait-il dû proposer dans son programme présidentiel qu’il obligerait les Français en cas de victoire à picoler uniquement s’ils sont casqués, afin d’anticiper les chutes liées à une consommation excessive de breuvage. Son slogan : « Pour vivre heureux, buvons casqués. » Vous serez moches, décoiffés, mais bien en sécurité. Cela lui aurait permis de rappeler à tous ses détracteurs pas très drôles que, fort heureusement, le ridicule n’empêchera jamais l’ivresse dans cette société du zéro