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    Port du casque : "Le ridicule n’empêchera jamais l’ivresse dans cette société du zéro risque"

    Tous ces individus casqués donnent le sentiment que le casque est l’un des objets les plus partagés de notre époque, l’un des éléments les plus démocratiques, quand bien même il faut casquer année après année pour les renouveler.
    SARAH MEYSSONNIER / POOL / AFP

    Port du casque : "Le ridicule n’empêchera jamais l’ivresse dans cette société du zéro risque"

    Modes d'après

    Par Jérémie Peltier

    Publié le 19/01/2022 à 9:30

    Ski, vélo, bricolage ou bruit : le casque est partout aujourd'hui. Pour notre chroniqueur Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès et auteur de « La fête est finie ? » (Éditions de l’Observatoire, 2021), c'est le signe visible d'une société où chacun veut se prémunir des risques.

    Les casques sont partout. Et vous n’avez pas pu leur échapper. Il y a d’abord les casques pour écouter de la musique en vous coupant du reste du monde. Il en existe de toutes les couleurs et de tous les styles, du casque filaire au casque Bluetooth, donnant le sentiment que des disciples de David Guetta survivent malgré la fermeture des boîtes de nuit.

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    Il y a évidemment les casques pour jouer aux jeux vidéo dans les meilleures conditions possibles, casques et jeux dont les grands adultes sont désormais coutumiers. Le Syndicat des éditeurs de logiciel de loisirs (SELL) vient de dévoiler les résultats de son étude annuelle, « Les Français et le jeu vidéo », montrant que l’âge moyen des joueurs est de 38 ans, que 71 % des adultes y jouent, et même que 18 % des joueurs sont des séniors. Le casque pour tous en somme.

     

    Il y a aussi l’arrivée des casques de réalité virtuelle, qui vous permettent de fantasmer une vie qui n’est pas la vôtre, et celle des casques antibruit, vous protégeant du tumulte de la vie extérieure et du bruit de vos voisins.

    Du bricolage au cyclisme

    De jeunes cadres dynamiques, devenus récemment fans de bricolage, ont également investi dans des casques de chantier pour avoir la panoplie complète de Bob le bricoleur : pour 59 % des Français, la crise sanitaire a été l'occasion de passer à l'acte et de monter en compétence dans le domaine du bricolage, afin d’avoir un habitat plus sûr, plus sain, plus confortable et plus écoresponsable. Ainsi, fin octobre, les ventes dans le bricolage étaient en hausse de 15 % en valeur, et cela devrait durer : 85 % des propriétaires ont un projet d'aménagement dans les deux ans.

    Tous ces individus casqués donnent le sentiment que le casque est l’un des objets les plus partagés de notre époque, l’un des éléments les plus démocratiques, quand bien même il faut casquer année après année pour les renouveler (si vous ne profitez pas des soldes pour cela, vous avez vraiment un pète au casque). En outre, il ne faut pas omettre de parler des casques de protection utilisés par les utilisateurs de deux-roues, de skateboards et de rollers, qui ont évidemment une part de responsabilité importante dans l’apparition de cette société casquée.

    « Le casque devient le préalable à toute activité où la chute est possible, une condition pour glisser sur la piste de la vie en toute sécurité. »

    Récemment d’ailleurs, un sénateur socialiste, François Bonneau, a proposé une proposition de loi, rejetée depuis, visant à étendre l’obligation du casque à tous les cyclistes et plus seulement à ceux de moins de 12 ans. Sans rentrer dans les arguments pour et contre (ce n’est pas le débat ici, je ne veux pas de coup de casque), la chose intéressante est que cette mesure ferait que toutes nos grandes métropoles auraient bientôt autant de gens casqués que de gens non casqués dans les rues.

    Et oui. Petit à petit, le casque a fait son lit. Il est présent sur les pistes de ski fréquentées par 6 % de la population française (population dont vous avez pourtant le sentiment qu’elle est bien plus importante au vu des stories qui défilent sur votre compte Instagram en ce début d’année) et sur la tête des adultes adolescents surfant sur les trottoirs en trottinette. Car le casque devient le préalable à toute activité où la chute est possible, une condition pour glisser sur la piste de la vie en toute sécurité.

    Société sans risque ?

    Ainsi, il ne sera guère surprenant de voir demain des casques pour les jeunes bébés afin de les protéger en cas de chute sur le parquet. Il ne sera pas déroutant que l’on demande demain aux écoliers de garder leur casque durant la classe, au cas où ils tomberaient de leur chaise en apprenant que les bébés ne naissent pas dans les choux. Il serait assez logique de voir des personnes âgées sortir casqués afin d’éviter de se cogner contre le réel. Et il ne serait pas absurde de rendre obligatoire le casque dans les stades de football afin d’éviter de se prendre des bouteilles et des fumigènes dans la poire comme c’est le cas depuis le début de la saison.

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    Cette société parvient en effet de moins en moins à faire un certain nombre d’activités sans anticiper les risques. Prévenir plutôt que guérir, se barricader plutôt que gambader. Cela ressemble un peu aux discours ambiants sur la prévention face à l’alcool. Plus un jour ne passe sans que l’on vous dise que vous buvez trop et que c’est une prise de risque irresponsable (d’où le fameux « Dry January » qui n’est toujours pas terminé à l’heure où on se parle), alors que nous n’avons jamais aussi peu bu de vin à l’ère du bien-être, du petit footing, du chichon et du yoga. Alors qu'un Français consommait en moyenne 200 litres d'alcool par an en 1960, il n'en consomme plus que 80 litres. C'est principalement le vin que les Français délaissent, sa consommation ayant été divisée par 3,5 en 60 ans selon l'Insee.

    « Vous serez moches, décoiffés, mais bien en sécurité. »

    En parlant de vin, une polémique est née il y a peu car le candidat du Parti communiste à l’élection présidentielle, Fabien Roussel, a fait l’apologie du bon vieux verre de rouge. Pour avoir osé cela, ce dernier s’est fait insulter de vieux réacs et de facho à la botte de l’extrême droite.

    Dans une logique de paix, tel un casque bleu, peut-être aurait-il dû proposer dans son programme présidentiel qu’il obligerait les Français en cas de victoire à picoler uniquement s’ils sont casqués, afin d’anticiper les chutes liées à une consommation excessive de breuvage. Son slogan : « Pour vivre heureux, buvons casqués. » Vous serez moches, décoiffés, mais bien en sécurité. Cela lui aurait permis de rappeler à tous ses détracteurs pas très drôles que, fort heureusement, le ridicule n’empêchera jamais l’ivresse dans cette société du zéro


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    Maisons squattées : "Si les préfets appliquaient la loi, il y aurait moins de difficultés !"

    La maison d'un homme de 88 ans à Toulouse, occupée par des squatteurs le 10 février 2021.
    Frédéric Scheiber / Hans Lucas via AFP

    Maisons squattées : "Si les préfets appliquaient la loi, il y aurait moins de difficultés !"

    Impuissance

    Propos recueillis par Mathilde Karsenti

    Publié le 18/01/2022 à 16:31

    Dénonçant l'inaction de la police, le propriétaire d’une maison située à Bobigny a voulu faire justice lui-même en tentant de déloger les présumés squatteurs de son domicile. Une enquête est en cours pour vérifier ses dires. Au-delà de ce fait divers, la loi protège-t-elle les victimes de squats ? Faut-il changer le droit ? Entretien avec l'avocat spécialiste du sujet, Romain Rossi-Landi.

    Une justice privée, faute de solutions ? Avec l’aide de 22 personnes rassemblées via les réseaux sociaux, le propriétaire d’un pavillon situé à Bobigny (Seine-Saint-Denis) a tenté, ce samedi 15 janvier d’expulser trois individus qui occupaient, selon lui, son logement. Malgré de multiples appels à la police, le propriétaire et sa mère avec qui il partageait la maison n’ont pas réussi à retrouver la possession de leur bien immobilier depuis le mois d'octobre. Les services de police, qui ont empêché l'expulsion, doivent vérifier s'il s'agit bien d'un « squat ». Pour tenter de mieux comprendre le régime juridique actuel et ses possibles lacunes, Marianne s’est entretenu avec Romain Rossi-Landi, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit immobilier.

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    Marianne : Des vérifications sont en cours pour savoir si l'affaire survenue à Bobigny relève bien d'un phénomène de squat. Toujours est-il que le propriétaire du logement a tenté de faire justice lui-même en délogeant les occupants de la maison. Que traduit selon vous cette situation ?

     

    Maître Rossi-Landi : Elle traduit une lassitude des propriétaires vis-à-vis de la complexité de la procédure pour obtenir l’expulsion des squatteurs. C’est un parcours du combattant et ce n’est pas à eux de pallier la carence de l’État. Certes, depuis l’année dernière, le gouvernement est intervenu en sortant des tiroirs un ancien texte – l’article 38 de la loi DALO de 2007 – permettant aux préfets, et non aux juges, de réaliser la procédure d’évacuation administrative. Ce qui évite aux propriétaires de lancer une procédure judiciaire qui dure parfois un an et demi. Mais la réforme, votée le 7 décembre 2020, tend aussi à ce que le préfet réponde dans un délai de 24 heures et ce que j’ai constaté sur le terrain, c’est qu’elle n’est pas encore bien appliquée.

    C’est-à-dire ?

    Il y a une ambiguïté qui subsiste autour de la notion de « domicile » et souvent les forces de l’ordre ne l’interprètent pas très bien. En effet, l’idée de la nouvelle loi est qu’elle s’applique à toutes les résidences – principales, secondaires et occasionnelles – et non plus que la résidence principale. Jusqu’alors la loi n’était pas utilisée car les logements squattés sont, dans la majorité des cas, des résidences secondaires. Mais à la suite à plusieurs affaires médiatiques – dont celle de Saint-Honoré-les-Bains, dans la Nièvre, où j’ai défendu une famille –, le gouvernement est venu préciser le texte de 2007. Je pense néanmoins qu’il n’est pas allé au bout car la notion de « domicile » y est toujours mentionnée.

    Quelles sont les conditions pour le propriétaire, qui s’estime victime d’un squat, puisse invoquer le bénéfice de l’article 38 de la loi DALO ?

    Il y a trois conditions pour que le propriétaire bénéficie de cet article 38 : d’abord, il faut qu’il rapporte la preuve qu’il est propriétaire (il n’est pas toujours évident de fournir un acte authentique de vente instantanément donc une circulaire du 22 janvier 2021 est venue assouplir cette règle). Ensuite il doit avoir porté plainte pour « violation de domicile » (il faut que la police accepte de qualifier la plainte et non en « dégradation de domicile » par exemple). Enfin l’infraction doit avoir été constatée par un officier de police judiciaire. Or, ce dernier ne se déplace pas toujours soit car il craint d’être lui-même accusé de violation de domicile, soit pour des questions de priorités.

    « Tant que figurera la notion de « domicile » dans la loi, il y aura des interprétations divergentes et opportunes. Il faudrait protéger la propriété et non le domicile. »

    En théorie, une fois que les trois conditions sont remplies, le préfet a 24 heures pour répondre. En réalité, le délai n'est presque jamais respecté par ce dernier et souvent, le préfet répond sous une dizaine de jours. Mais c'est toujours plus rapide qu’une procédure judiciaire… Une fois que le préfet a donné son feu vert, cela va très vite et l’expulsion se fait dans les 48 heures. Sauf qu’en pratique, il y a beaucoup de refus.

    Comment ces refus sont-ils justifiés ?

    Il est fait application de l’ancienne jurisprudence selon laquelle le domicile correspond à la résidence principale et non à une résidence secondaire… Pourtant, la circulaire du 22 janvier 2021 est venue compléter la loi en expliquant aux préfets qu’il ne devait plus y avoir de débat sur le type de résidence du propriétaire. Mais tant que figurera la notion de « domicile » dans la loi, il y aura des interprétations divergentes et opportunes. Il faudrait protéger la propriété et non le domicile selon moi.

    En janvier 2021, une proposition de loi (PPL) pour simplifier la procédure administrative permettant l'expulsion était examinée par le Sénat. Qu’est-elle devenue ?

    Bien que le Sénat ait adopté cette proposition de loi le 19 janvier 2021, cela n’est pas allé plus loin. Aucune loi sanctionnant le délit autonome d’occupation frauduleuse d’un immeuble n’a été votée par le Parlement. Néanmoins, je sais qu’une partie du camp LR dont le député Julien Aubert, se positionne depuis un certain temps en faveur de la protection du droit de propriété. Et si je ne fais pas de la politique, rappelons tout de même que le droit de propriété figure au sommet de la hiérarchie des normes ; or avec le squat il en prend un sacré coup ! En effet, d’après ce que disent les législateurs et le gouvernement, il n’y a plus de débat puisque toutes les propriétés sont protégées. La semaine dernière encore, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, affirmait au Figaro que peu importe si l'occupation illégale intervient entre deux locataires, la loi doit fonctionner : sauf que les préfets s'abstiennent.

    Comment y remédier alors ?

    Si les préfets appliquaient la loi, je pense qu’il y aurait déjà moins de difficultés ! Après, si l'on veut éviter tout débat, à mon avis, il faudrait rédiger à nouveau l’article 38 pour faire disparaître la notion de « domicile » qui n’est pas claire. Il faut protéger la propriété elle-même. Certes, il y a un problème d’accès au logement en France, mais ce n’est pas au propriétaire privé victime de squat de supporter la carence de l’État. La ministre du Logement estime que la question du squat est résolue mais je considère qu’elle l’a fait de manière imparfaite. À certains endroits comme en Seine-Saint-Denis, les préfets n’appliquent pas la réforme du gouvernement et l’exemple de Bobigny en témoigne une nouvelle fois. Aujourd’hui, il faut qu’une affaire soit médiatisée pour que le gouvernement agisse, ce n’est pas normal !

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    En conclusion, c’est un sujet qui pose pleins de questions intéressantes en matière de hiérarchie des normes et de principes. Le droit au logement est aussi un droit à valeur constitutionnelle et il vient heurter le droit de propriété. Il faut donc opérer une mise en balance des droits fondamentaux et cela n’est pas toujours évident. Mais en l’espèce, le propriétaire est victime car il n’a rien demandé, il est très seul et ce n’est pas facile pour lui de faire valoir ses droits.