Cela aurait pu être une répétition. Le 4 octobre 2018, Emmanuel Macron se rend à Colombey-les-Deux-Eglises pour déposer une gerbe sur la tombe du général de Gaulle, soixante ans jour pour jour après l’adoption de la Constitution de la Ve République. Le chef de l’Etat n’est pas le seul à faire le voyage. Quand elle a eu vent de son initiative, Valérie Pécresse a décidé de s’inviter. La patronne de la région Ile-de-France n’entend pas laisser le chef de l’Etat récupérer si facilement l’icône de la droite. Avec une délégation d’élus, elle doit arriver juste au moment où la visite présidentielle touchera à sa fin. La rencontre n’aura finalement pas lieu. Sur l’autoroute, le chauffeur de bus a loupé la sortie. Valérie Pécresse arrivera avec quarante minutes de retard.
Cette fois, l’affrontement entre Emmanuel Macron et l’ex-ministre du Budget, choisie il y a huit jours par les adhérents LR pour être leur championne en 2022, est bel et bien programmé. « Les Français l’ont compris : ce sera Macron ou nous ! », a lancé samedi la seconde, devant les cadres du parti réunis à la Mutualité, à Paris. C’est sur ce match qu’elle veut se concentrer, laissant de côté la « primaire sauvage », selon la formule de son entourage, qui se déroule entre Marine Le Pen et Eric Zemmour. En intervenant mercredi en prime time sur TF1 et LCI, le premier montre qu’il n’y est pas indifférent : Valérie Pécresse devait être l’invitée à la même heure de BFMTV, avant que l’émission ne soit annulée d’un commun accord. « Il nous marque à la culotte », a réagi Patrick Stefanini, le directeur de campagne de la candidate, quand il a appris la contre-programmation de l’Elysée.
Entre la présidente de l’Ile-de-France et le chef de l’Etat, il n’y a ni vraie animosité, ni fausse affinité. S’ils se tutoient, c’est avant tout parce que c’est un usage traditionnel dans le milieu politique et que leur CV compte quelques lignes similaires. Tous deux ont fait l’ENA et sont passés par Bercy.
Entre eux, cela ne tient pas du rendez-vous manqué. Cela ressemble plutôt à une histoire qui ne s’est pas écrite. Quand, après sa victoire en 2017, Emmanuel Macron a sondé un président de région afin de savoir s’il serait intéressé par Matignon, il s’agissait de Xavier Bertrand, pas d’elle. Quand, en 2020, Alain Minc, qui échange avec le locataire de l’Elysée, approche Valérie Pécresse afin de tester son envie de succéder à Edouard Philippe dont les jours sont désormais comptés, elle ne donne pas vraiment suite. Lui ne l’a jamais tout à fait inscrite dans ses radars. Elle ne comprend pas comment un chef de l’Etat peut choisir un Premier ministre qu’il ne connaît pas.
« Bombe ». La première fois qu’ils se rencontrent, c’est le 2 février 2016. François Hollande et Manuel Valls ont organisé une journée de consultation des présidents nouvellement élusdes 13 super-régions, que l’exécutif socialiste a redessinées. Après une matinée de travail à Matignon, ceux-ci sont conviés à déjeuner rue du Faubourg Saint-Honoré. Pour effectuer le trajet, chaque élu est invité au covoiturage avec un ministre. Emmanuel Macron et Valérie Pécresse partagent le même véhicule. Dix minutes durant, ils parleront réformes.
Après sa victoire, le nouveau locataire de l’Elysée convie la Francilienne à trois tête-à-tête. Le 17 juillet 2017, ils évoquent les grands dossiers de la plus puissante région française. Ils parlent beaucoup du Grand Paris. Le Président a bien l’intention de relancer ce dossier enlisé dans une architecture inextricable. Dès le 24 novembre, ils se revoient ainsi pour en rediscuter. « Elle a eu le sentiment que les choses allaient bien se passer », rapportera plus tard un proche.
Le troisième entretien date ne figure pas à l’agenda officiel. Il a lieu le 23 janvier 2019. Valérie Pécresse veut parler à Emmanuel Macron des banlieues. « Après les Gilets jaunes, la France des quartiers populaires est la deuxième bombe. Il faut casser les quartiers ghettos », lui dit-elle. L’ex-ministre du Budget insiste également sur la baisse des dépenses publiques. Comme à son habitude, le chef de l’Etat prend des notes, marque de l’intérêt, mais au fond ne s’engage pas sur grand-chose.
« Morte ». A l’époque, à droite, Valérie Pécresse est dans une position singulière. Ses relations sont glaciales avec Laurent Wauquiez, qui occupe la tête des Républicains. Ils ne défendent pas la même ligne : lui veut en priorité récupérer les électeurs LR partis au RN ; elle ceux qui ont été séduits par les sirènes macronistes. La présidente de la région Ile-de-France se fait siffler au sein de son propre parti. « Elle est morte. Elle sera un jour obligée de toquer à la porte d’Emmanuel Macron », estime Bruno Le Maire. Le chef de l’Etat, qui n’a de cesse de priver la droite d’oxygène depuis le début de son mandat, lui tend donc quelques perches, tandis que la première élection de son quinquennat, les européennes, approche.
Dans son livre Et c’est cela qui changea tout, paru en 2019, elle écrira : « Ce n’était pas compliqué de s’apercevoir que je n’étais pas à l’aise avec la droite de Wauquiez et Bellamy. Emmanuel Macron ne m’a rien proposé, il faisait de la provocation quand il me voyait. Du style : “Alors quand est-ce que Libres ! [le mouvement qu’elle a créé en septembre 2017] quitte les LR ? Vous n’avez rien à y faire”. »
Par la suite, il n’y aura plus de rendez-vous. Aux yeux du chef de l’Etat, Valérie Pécresse appartient à deux catégories qu’il ne prise guère. D’abord celle des présidents de région. Depuis son élection, il n’a de cesse de se méfier de ces grands féodaux, qu’il ne recevra jamais ensemble. Ensuite, l’élue francilienne est une quinqua. Baroin, Valls, Bertrand, Copé, Montebourg… Emmanuel Macron n’a pas une énorme estime pour cette génération qui se programmait pour l’Elysée mais n’a pas su se sortir des griffes de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Il la soupçonnera aussi de ne pas lui pardonner d’avoir pris sa place et de lui avoir donné un sacré coup de vieux.
Au fil des ans, Valérie Pécresse a elle affiné son jugement sur celui qui a accédé à 39 ans à la fonction que, comme les autres, elle lorgne. Dès le départ, elle a reconnu qu’il incarnait la fonction – et elle n’a depuis pas changé d’avis. Elle a eu malgré tout très tôt une intuition. « Il y a trois failles potentielles chez lui : quelle sera son audace réformatrice ? Quel sera son degré de fermeté face aux menaces, sur les questions de sécurité et de justice ? Enfin, c’est l’homme des métropoles et non l’homme de la France périphérique. Il n’est pas du tout dans l’équilibre territorial », nous confiait-elle au début de l’automne 2017. Très vite, elle estime qu’il reste une place pour plus réformateur qu’Emmanuel Macron et que si elle l’occupe, cela finira bien par payer un jour.
« Terra Novien ». Au fur et à mesure du quinquennat, sa conviction se renforce. En mai 2018, quand le chef de l’Etat qualifie Jean-Louis Borloo, venu lui remettre un rapport sur la ville, de « mâle blanc », elle s’étrangle. « C’est la phrase la plus grave de l’année. Macron est “Terra Novien” jusqu’au bout des ongles, arguera-t-elle quelques mois plus tard, faisant allusion au think tank de gauche Terra Nova. Il est très communautariste. Le «mâle blanc», cela décrédibilise tout le monde. »
En janvier 2020, elle prend très mal de ne pas recevoir de carton d’invitation pour le forum Choose France qui se tient au château de Versailles. L’année d’avant, Emmanuel Macron avait été furieux que, bien que conviés, aucun des présidents de région ne vienne, sauf elle; il y avait vu de la désinvolture, alors que le gratin du business mondial était présent. Valérie Pécresse rue dans les brancards face à ce qu’elle estime être un manque total de correction. Elle fait appel à Jean-Yves Le Drian, avec qui elle s’entend bien. Elle obtiendra sa place. « L’orgueil est le principal moteur d’Emmanuel Macron », assène-t-elle. « Il ne dépasse pas le stade séduction-soumission », analyse un de ses plus fidèles collaborateurs.
Durant la crise sanitaire, les critiques de l’élue francilienne monteront d’un ton. Entre l’exécutif et les élus locaux, cela se passe mal. « Nous, on connaît la vie. On a vécu plus d’épreuves que lui. C’est très désagréable qu’au lieu de s’appuyer sur les présidents de région pour gérer la crise, son seul objectif soit de mettre en place des gens qui n’y connaissent rien », s’irrite-t-elle. Un point la frappe particulièrement : la versatilité d’Emmanuel Macron. Plusieurs fois, elle en a fait le constat avec Nicolas Sarkozy. Les régionales du printemps 2021 accentueront les crispations. L’identité du conseiller politique au sein du cabinet du chef de l’Etat rend plus que méfiante Valérie Pécresse : Thierry Solère, ex-président du groupe LR à la région, est son ennemi juré. Cinq ministres partiront au combat face à elle. Elle gagnera haut la main.
Dans la foulée, elle annoncera sa candidature à l’élection présidentielle. Emmanuel Macron mettra lui en scène sa rivalité avec Xavier Bertrand, qu’il s’attend à affronter, en s’invitant à plusieurs reprises dans les Hauts-de-France. On connaît la suite.