• .

    .

     

     

    Covid-19

    Troisième dose de vaccin : «J’ai fait les deux premières, je n’en ferai pas plus»

    La pandémie de Covid-19 en Francedossier

    Mobilisation anti-pass sanitaire : 29 000 manifestants en France

    Alors que la reprise de l’épidémie de Covid-19 se confirme un peu partout en Europe, y compris dans l’hexagone, près de 29 000 personnes se sont rassemblés pour le 17e week-end consécutif de mobilisation contre le pass sanitaire.
    Santé7 nov. 2021

    Appelés à se faire administrer une piqûre de rappel anti-Covid depuis septembre, les plus de 65 ans sont 70% à y avoir consenti. A Paris, si certains assurent que cette nouvelle injection va de soi, d’autres se montrent toujours méfiants

     

     

    Au marché de Bastille à Paris, ce dimanche matin, l’activité a repris comme dans le monde d’avant la pandémie. Le vendeur de fruits propose à tous les badauds de croquer dans son merveilleux ananas du Costa Rica en les hélant d’un «beau gosse» ou «belle gosse». Devant le stand de foulards en soie, un groupe de vieilles dames se serrent, fichus noués au menton. Et un mendiant chante un blues sans mélodie en grattant aléatoirement les cordes de sa guitare. Si l’on s’était réveillé ce matin d’un long coma, on pourrait croire que rien n’a vraiment changé ces derniers mois. A un détail près : dans les allées bondées, les vieux ont le masque vissé jusqu’à l’entre-sourcils – les jeunes l’ont, eux, fait sauter depuis bien longtemps.

    Depuis le 1er septembre, la troisième dose de vaccin anti-Covid est proposée aux plus de 65 ans et aux personnes vulnérables. Deux mois plus tard, quelque 3 millions avaient fait leur rappel, soit 43 % de la population éligible (7,7 millions de Français), essentiellement des personnes âgées de plus de 65 ans et plus vivant chez elles (vaccinées à 69 %). Dans les Ehpad, la dynamique est également bonne (74 %). Mais l’adhésion est plus limitée chez les moins de 65 ans souffrant de comorbidités (19 %). La recrudescence de la pandémie à des niveaux inquiétants dans plusieurs pays européens inquiète l’OMS, qui craint une nouvelle vague de décès d’au moins «un demi-million d’ici février» 2022 sur le continent. En France, Emmanuel Macron s’exprimera mardi soir pour faire un point sur la situation sanitaire, voire annoncer de nouvelles mesures sur la stratégie vaccinale.

     

    «Comme si on n’avait jamais été piqués»

    A l’heure de prendre rendez-vous pour le rappel de troisième dose, les aînés se montrent pour la plupart prudents. L’hiver approche, le froid aussi, et le virus «aime bien cette période de l’année», rappellent Catherine et Jean, 78 ans. Ils avancent dans les dédales du marché en s’accrochant amoureusement l’un à l’autre, masques FFP2 collé sur le nez. Tous les deux ont fait tester leurs niveaux d’anticorps il y a quelques semaines, le bulletin leur est revenu avec des valeurs très faibles. «C’est comme si on n’avait jamais été piqués», s’amuse Jean, qui ne fait pas son âge mais «le [sent] tout de même dans [ses] artères».

     

    Jeannette (1), une femme de 80 ans à la chevelure blanche impeccable, a aussi ressorti son masque FFP2 en attendant son rendez-vous pour le rappel de troisième dose, prévu pour la semaine prochaine. «J’étais prof de bio. Je pense plutôt bien savoir ce qu’est ce virus. Etant donné ses capacités d’adaptation, je peux vous dire que nous ne sommes pas sortis d’affaire, prévient cette soixante-huitarde, qui observe l’époque avec des regrets. Beaucoup de gens de ma génération sont étonnés de l’évolution de ce monde, ce n’était pas nos espérances. On a mis en avant des gens qui ne disent que des conneries. Leurs discours [antivax] sont terrifiants.»

    «Se faire vacciner, c’est le minimum, ça me paraît être la chose la plus naturelle au monde pour préserver ses voisins, sa famille», plaide de son côté Agnès, 83 ans, qui ramène ses courses de la semaine dans un chariot rouge. «Vous vous rendez compte qu’il n’y a pas eu de morts de la rougeole ces dernières années ? Alors que ma petite-cousine est morte de la rougeole juste après la guerre. Ceux qui ne veulent pas se faire vacciner, ça relève plus du complot que de la pensée. Ces personnes ont une tendance à revenir à une forme d’appréhension du monde qu’ils ne comprennent pas», analyse cette retraitée de la recherche scientifique.

     

    «Je pense que certains vaccinés reçoivent du placebo»

    Assis sur un banc dans un coin du marché, un vieux monsieur fait une grimace quand on l’interroge sur le sujet. Il avait consenti à faire ses deux premières doses pour pouvoir profiter du beau temps, des enfants et des sorties, mais il estime en avoir fait assez. La troisième, il ne veut pas en entendre parler. «J’ai fait deux doses, je n’en ferai pas plus», répète-t-il à chacune de nos questions.

    Appuyée sur son bâton de marche, Anne (1), une retraitée aux cheveux grisonnants, clame de son côté qu’elle a «tous les anticorps naturels» pour lutter contre le virus. Pour le moment, elle n’a consenti à se faire injecter aucune des doses, tout comme ses enfants. «Je n’ai jamais eu de grippe, je ne suis jamais malade. C’est un vaccin qui a une durée de six mois, déjà ça, ce n’est pas normal. Je pense même que certains vaccinés reçoivent du placebo», affirme-t-elle, admettant dans le même temps n’avoir «aucun élément pour le prouver».

     

    «Je prends plus mes distances, je respecte les gestes barrières, c’est tout… Je suis privée de voyages, c’est ce qui m’ennuie le plus. Mais tant qu’il n’y a pas une loi qui passe pour nous y obliger, je ne le ferai pas», appuie la femme, lunettes dressées sur la tête. Dans le monde d’avant, elle a visité l’Inde, Madagascar, la Malaisie, la Chine. Sur celui d’après, elle finit par concéder d’un sourire : «C’est sûr que si on nous obligeait à y aller [se faire vacciner], comme en Chine, je m’y plierais. Mais en France, on est libres !»

    (1) Le prénom a été modifié.

     


  • Meta revers

    Facebook, excès story

    Failles de la modération dans les pays non occidentaux, effets pervers des algorithmes... Les révélations des «Facebook Files» transmis par Frances Haugen ont rallongé la longue liste des reproches faits à Meta. Le groupe de Mark Zuckerberg se retrouve plus que jamais dans le collimateur des autorités américaines et européennes.
     
     
     
    Mark Zuckerberg lors de l'annonce du changement de nom du groupe Facebook en Meta, le 28 octobre. Une manière de tenter de faire oublier les reproches qui lui sont faits. (Eric Risberg/AP)
     

    La vidéo relève du rêve de démiurge, le péché mignon des tycoons de la Silicon Valley, mais vu d’ici, tend clairement vers le cauchemar. Pull noir convoquant feu Steve Jobs, regard écarquillé, bras ouverts dans la gestuelle de l’enthousiasme, Mark Zuckerberg dessine un futur confiné où nos relations sociales ressembleraient à un jeu vidéo passablement kitsch, et semble bien y croire. Jeudi 25 octobre, le patron du plus gros réseau social de la planète présentait en conférence son nouveau grand projet, son univers virtuel, le «metaverse». Au passage, l’empire change de nom : le groupe qui possède Facebook, WhatsApp, Instagram mais aussi les casques de réalité virtuelle Oculus s’appellera désormais Meta. Soit, en grec ancien, «après», «au-delà». Au-delà du monde physique, donc, mais aussi certainement, dans les rêves de «Zuck», au-delà d’une séquence de mises en cause, critiques, auditions parlementaires voire plaintes en justice, dont la longueur se compte désormais en années, et qui culmine depuis plusieurs semaines avec les «Facebook Files», ces documents internes exfiltrés par l’ingénieure Frances Haugen. Ce lundi, celle-ci est auditionnée au Parlement européen, qui planche sur un projet de régulation des plateformes.

    En septembre 2017, déjà, le New York Times résumait les déboires de la firme de Menlo Park en une formule frappante : «Le moment Frankenstein de Facebook.» Et le moment dure. A cet égard, la campagne présidentielle américaine de 2016 et ses suites ont été un tournant. Avant, le modèle économique du réseau social préoccupait déjà, et de longue date, les internautes soucieux de vie privée – convaincus, selon la formule consacrée, que «quand c’est gratuit, c’est vous le produit» – tandis que les autorités de plusieurs pays l’exhortaient à mieux lutter contre la propagande jihadiste, et que des associations de lutte contre le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie dénonçaient les faiblesses de la modération en matière de propos haineux. Mais avec la découverte des achats de publicités ciblées par l’Internet Research Agency, une agence de propagande russe établie à Saint-Pétersbourg, la critique de Facebook – son business, l’opacité de ses algorithmes, son manque de réactivité face à la prolifération des «fake news» et aux campagnes d’influence – change de dimension, notamment parce que l’entreprise est étrillée sur son propre sol.

    Appels à la violence, partage de données avec des tiers, conditions de travail…

    Depuis, chaque année apporte son lot de révélations, et de nouveaux scandales succèdent aux annonces de changements faites par la plateforme. A l’automne 2017, le site américain d’investigation ProPublica dévoile comment le réseau social, en convertissant automatiquement en catégories publicitaires les «intérêts» de ses utilisateurs, permet de cibler des racistes et des antisémites. Au printemps 2018, Menlo Park est secoué par le scandale Cambridge Analytica, cette sulfureuse firme de «marketing» politique accusée d’avoir siphonné les données de 87 millions d’utilisateurs de Facebook pour tenter de les influencer par des messages pro-Trump et pro-Brexit. A la même époque, la plateforme est accusée d’avoir laissé proliférer les appels à la violence à l’encontre des Rohingyas, minorité musulmane de Birmanie victime de nettoyage ethnique. Suivront des mises en cause sur le partage de données avec des tiers, les conditions de travail des modérateurs, des polémiques sur la circulation des contenus antivax… Jusqu’aux «Facebook Files», donc, remis par Haugen à l’organisme américain de contrôle des marchés financiers, la SEC, et obtenus par plusieurs médias.

     

    «Facebook sait qu’Instagram est toxique pour les adolescentes, selon des documents de l’entreprise», écrit le Wall Street Journal le 14 septembre ; c’est ce dossier-là qui, plus que tout autre, semble avoir mis le feu aux poudres au Capitole. Le 4 octobre, Haugen sort de l’ombre et accuse le groupe de faire primer «le profit sur la sûreté» de ses utilisateurs. Les cas de dysfonctionnements, dont certains particulièrement alarmants, s’additionnent dans la presse : gestion discrétionnaire des profils «VIP», effets pervers des algorithmes de recommandation, lacunes de la modération dans les pays non occidentaux, comme en Inde où les discours de haine contre la minorité musulmane ont fait florès en 2020. L’entreprise a beau riposter, accuser la lanceuse d’alerte de «déformer» des documents «sortis de leur contexte», les parlementaires s’emparent du sujet, à Washington et ailleurs. Difficile de ne pas voir dans l’abandon de la reconnaissance faciale récemment annoncé par le réseau social une nouvelle tentative d’éteindre l’incendie.

    Prédation des données, logiques de viralité, effets de polarisation

    La séquence semble rejouer, crescendo, celles qui avaient suivi la campagne américaine de 2016 et surtout l’explosion de l’affaire Cambridge Analytica. Frances Haugen vole d’une audition à l’autre – après Washington puis Londres, aujourd’hui le Parlement européen, mercredi l’Assemblée et le Sénat français. Les mêmes mots reviennent dans la conversation publique : «régulation», «obligations» voire «démantèlement». Et pour cause : depuis cinq ans, c’est peu ou prou la même histoire qui se réécrit. Soit la mise en lumière et la prise de conscience, à une large échelle, des problèmes politiques et sociaux posés par une plateforme rassemblant chaque jour près de deux milliards d’internautes, et qui est tout à la fois un lieu de la conversation publique et semi-privée, un espace de création et d’entretien de liens sociaux, mais aussi et d’abord une entreprise attachée à maximiser l’«engagement» de ses utilisateurs pour attirer la publicité. Au prix de la prédation des données, des logiques de viralité, des effets de polarisation.

     

    Au point que les ingénieurs de Facebook ne semblent pas toujours capables d’anticiper les effets de changements des algorithmes, écrivait le Monde la semaine dernière. On aurait tort pourtant de voir dans le long «moment Frankenstein» de la firme de Menlo Park l’histoire d’une créature échappant à son créateur : le business model, l’architecture technique, les arbitrages budgétaires sont autant de choix, parfaitement conscients. C’est aux législateurs, aux régulateurs, que le groupe et ses outils échappent encore largement, la norme cavalant derrière la technologie et ses effets de bord. Sans compter que, tout empêtré qu’il soit dans l’une des pires séquences médiatiques de son histoire, le groupe désormais connu sous le nom de Meta continue à dégager de confortables bénéfices – 9,2 milliards de dollars (7,9 milliards d’euros) au troisième trimestre 2021… Les «Facebook Files» changeront-ils la donne ? Au moins auront-ils remis en haut de l’agenda politique l’urgence d’appréhender les effets systémiques des plateformes dites «sociales» en général, et de Facebook en particulier.