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    Damien Laithier : « Pour les agents, les conditions de travail sont de pire en pire, un jour on va finir par avoir un accident très grave. » Sadak Souici
    Damien Laithier	: «	Pour les agents, les conditions de travail sont de pire en pire, un jour on va finir par avoir un accident très grave.	» Sadak Souici
     

    Répression antisyndicale. Il tire le signal d’alarme, la RATP veut le révoquer

    Mardi 14 Décembre 2021
    Luis Reygada

    Des années que Damien Laithier dénonce les graves défaillances sur les chantiers. Visé par sa direction, il passera mercredi devant un conseil de discipline.

     

    On appelle ça un lanceur d’alerte. Et comme souvent dans ces histoires, Damien Laithier, agent de la RATP et syndicaliste, en subit les amères conséquences. « La première fois que j’ai commencé à dénoncer les défaillances dans les modes opératoires, c’était en 2014 », explique le technicien spécialisé. Entré à la RATP en 2007, il intègre ensuite le département de la Maintenance des équipements. Son unité veille à l’entretien des trottoirs roulants et des 960 escaliers mécaniques répartis sur les plus de 300 stations supervisées par la régie des transports parisiens. Dix ans qu’il œuvre sur ces chantiers qui ont le don d’exaspérer les millions d’utilisateurs franciliens journaliers du métro et du RER, bien qu’ils soient essentiels à leur propre sécurité. « Pour les agents, les conditions de travail sont de pire en pire, un jour on va finir par avoir un accident très grave », prévient-il. « Selon moi, un responsable qui n’envoie que quatre agents alors que le manuel de procédure en indique six, c’est envoyer les gars au casse-pipe. »

    Voilà donc des années que Damien utilise son mandat de représentant du personnel – il est élu CGT – pour aborder les questions de sécurité au travail et dénoncer les dysfonctionnements qui exposent parfois ses collègues à de sérieux dangers. En juillet, il interpelle directement le responsable de l’unité Management des risques, énumérant dans un courriel plus d’une dizaine de problèmes concernant le chantier de Place-des-Fêtes (20e arrondissement de Paris), en 2020. Une opération d’envergure de trois mois puisque la station, à la croisée des lignes 7 bis et 11 du métro, abrite le plus grand escalier mécanique du réseau : 256 marches pour près de 30 mètres de dénivelé. « Sous-effectif, matériel inadapté, accidentogène ou non conforme, fixage des structures inadéquat, agents réalisant des manœuvres sans les habilitations requises… » Il raconte comment une catastrophe a été évitée de peu : « La chaîne principale (qui tire l’escalier mécanique – NDLR) a failli lâcher, on a dû la raccrocher au camion ; heureusement qu’on a trouvé des pavés pour le bloquer sinon on s’apprêtait à avoir une charge de presque dix tonnes qui allait dévaler. Vous imaginez les dégâts ! »

    Tout porte à croire que ses alertes dérangent

    Pourtant, la RATP dispose de bureaux d’études qui élaborent des manuels très précis. Celui du chantier de Place-des-Fêtes, que l’Humanité a pu consulter, avertit clairement en page 4 : «  Une mauvaise utilisation de ce mode opératoire peut entraîner : (…) des accidents (personnel et usagers) » ; en page 5 : « Des risques de heurt, chute, écrasement, cisaillement, brûlure, projection de métal en fusion sont potentiellement présents. »

    Malgré leur gravité, tout porte à croire que les alertes de Damien dérangent. En septembre, il est convoqué pour un entretien préalable. On lui demande de s’expliquer pour « non-port du masque », « manquements divers » et « détérioration de matériel ». Des motifs «  fantaisistes » pour la CGT, qui voit dans cette affaire « une forme de répression antisyndicale grossièrement déguisée ». Même constat pour le syndicat Solidaires : « La direction n’a rien d’autre à reprocher à Damien que son engagement. » En octobre, il est notifié d’une demande de comparution devant le conseil de discipline, fixée au 15 décembre. Il encourt jusqu’à la révocation. « J’ai l’impression qu’on essaye de m’écarter à cause de ce que je dénonce », conclut Damien.

    Sébastien Rini, également représentant de la CGT, l’accompagne dans cette procédure disciplinaire. Il le connaît « depuis l’époque du CHSCT » (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, instance qui a été effacée par la mise en place du comité social et économique depuis le 1er janvier 2020 – NDLR) et le décrit comme un travailleur « très engagé » sur les questions de sécurité. « La direction l’écoute sans vraiment l’écouter, poursuit l’élu du personnel, à part faire des économies, je ne vois pas d’autres explications à ces multiples anomalies sur les chantiers. D’ailleurs, pour les opérations de maintenance, la tendance est à l’externalisation, même si on ne voit pas ce que ça peut apporter de bon aux usagers. Au contraire… » Il rappelle l’existence de nombreux précédents en matière de discrimination antisyndicale à la RATP, comme récemment avec les deux cégétistes Ahmed Berrahal ou encore Alexandre El Gamal, symboles de la campagne d’intimidation menée par la direction contre les grévistes mobilisés contre la réforme des retraites, fin 2019. À l’époque, plus de 200 courriers avaient été envoyés à des agents et les mises à pied furent nombreuses, tout comme les menaces de révocation.

     « Les agents s’exposent à la violence managériale »

    Pour le chercheur Martin Thibault, spécialiste du militantisme et de l’engagement syndical, cette répression ne serait rien d’autre que « le prolongement et le bras armé » des réformes organisationnelles à l’œuvre depuis plusieurs dizaines d’années au sein de la RATP. Management par objectifs, vision court-termiste, impératifs de rentabilité : le sociologue pointe du doigt la mise en place de logiques gestionnaires, tandis que de nouveaux critères d’évaluation promeuvent la culture de la loyauté envers la hiérarchie, aux dépens de celle des compétences. « Les nombreux agents qui luttent contre ces transformations s’exposent à la violence managériale, explique-t-il, ils se retrouvent mis au ban et pénalisés dans leur évolution de carrière. » Alors que la RATP doit peu à peu s’ouvrir à la concurrence, il est logique, selon lui, que « la répression touche avant tout les agents défendant les missions de service public de l’entreprise ». Sécurité des agents – et in fine des usagers – ou politiques managériales nocives, quelle sera la voie suivie par la RATP dans les années à venir ? Quant à Damien Laithier, il sera fixé sur son sort demain. Contacté, l’établissement public n’a pas donné suite.

    « J’ai l’impression qu’on essaye de m’écarter à cause de ce que je dénonce. »

    Damien Laithier agent de la RATP et syndicaliste CGT


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    Manifestation des salariés, devant le siège de l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale, à Paris, le 13 décembre. Pierrick Villette
    Manifestation des salariés, devant le siège de l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale, à Paris, le 13 décembre. Pierrick Villette
     

    Augmentation de salaires : pour les 150 000 agents de la Sécu, c'est 0 euro... depuis des années

    Mardi 14 Décembre 2021
    Stéphane Guérard

    Pour la onzième année consécutive, la direction des caisses nationales gèle les augmentations collectives. L’intersyndicale devrait appeler à de nouvelles mobilisations.

     

    S’ils avaient reçu un euro à chaque remerciement pour leur dévouement, depuis l’irruption du Covid, les salariés de la Sécurité sociale seraient les nouveaux Crésus. Mais au bout de cette deuxième année passée contre vents et confinements à assurer leurs missions de service public, les 150 000 agents des caisses d’allocations familiales (CAF), de retraite (Cnav, MSA, régimes spéciaux), d’assurance-maladie et chômage (Urssaf) espèrent une autre forme de gratitude, plus tangible. Ce lundi, ils étaient en grève, à l’appel de l’intersyndicale CGT, FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC et SUD protection sociale, pour obtenir l’augmentation du point servant de base au calcul de leurs rémunérations. Au bout de quelques heures de discussion avec la direction de l’Ucanss (Union des caisses nationales de Sécurité sociale), l’affaire était vite réglée. Malgré la forte mobilisation, c’est un zéro euro pointé pour 2022.

    « C’est sûr que nos directions comme les pouvoirs publics n’ont pas été avares en remerciements, ironise Benjamin Sablier, élu CGT à la Cpam des Bouches-du-Rhône.  Elles ont toujours reconnu que nous avions tenu notre rôle et évité des drames en continuant à verser les prestations malgré les difficultés, en assurant aussi le contact tracing. Mais, aujourd’hui, ces remerciements commencent à être mal ressentis. Parce que, au bout, il n’y a rien. Encore aujourd’hui. »

    « La misère est aussi dans la Sécu »

    Ce nouveau tour de vis salarial devrait accroître la colère. Il intervient après dix années de gel des augmentations collectives (sauf + 0,5 % en 2017) et fait même fi de la hausse du coût de la vie (+ 2,8 % d’inflation). Cette absence de revalorisation va mécaniquement faire plonger les deux premiers niveaux de salaire d’embauche en dessous du Smic, qui, lui, a été revalorisé au 1er octobre, mais en dessous de l’inflation (+ de 2,20 %). « Ils vont bricoler avec l’enveloppe destinée aux augmentations individuelles pour compenser les premiers niveaux. Mais la valeur du point va rester à un peu plus de 7 euros. Si on avait suivi l’inflation, ces dix dernières années, on aurait été à 10 euros », déplore Nadine Leclerc, de la coordination des organismes sociaux CGT. Le syndicat a calculé que ce gel du point avait fait perdre, en dix ans, 33 000 euros à un salarié de niveau 3.

    À écouter les salariés massés devant le siège de l’Ucanss, à Montreuil, cette journée de mobilisation n’était pas une affaire de gros sous, mais de respect vis-à-vis des agents de la Sécurité sociale. « Certains de nos collègues touchent la prime d’activité qu’ils sont amenés à verser aux travailleurs les plus précaires. La misère est aussi dans la Sécu », souligne Florence Puget, de la CFDT. La grève du jour est surtout une affaire de respect vis-à-vis des usagers. « Si les conditions de travail étaient bonnes, cette question de salaire serait moins aiguë, analyse Laurent Weber, de FO. Mais la situation est difficile dans toutes les caisses car il manque du personnel. Si bien qu’il faut deux mois d’attente aux personnes en arrêt maladie pour recevoir leurs indemnités journalières, six mois pour toucher sa première pension retraite. On ne peut plus recevoir les allocataires qui rencontrent un problème au fil de l’eau comme avant. On casse le lien avec les assurés, avec des rendez -vous lointains. » Après le grand coup de froid du gel des salaires, les directions des caisses des organismes sociaux, qui avaient tenté il y a deux ans de remettre en cause le petit mécanisme d’augmentation à l’ancienneté, vont tenter de souffler le chaud en disséminant quelques revalorisations individuelles. L’intersyndicale n’entend pas faire girouette dans ces vents contraires. De nouvelles mobilisations sont à venir.