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    Biologie. Et L’intelligence artificielle révéla les secrets de nos cellules

    Samedi 11 Décembre 2021
    Jérémie Bazart

    Une nouvelle technique, basée sur l’IA et baptisée MuSIC, a permis à une équipe de chercheurs californienne de découvrir des structures cellulaires inconnues jusqu’alors. Une approche qui pourrait fournir des indications inédites et précieuses à propos du fonctionnement des cellules humaines et des maladies qui y sont liées. Explications.

     

    Chez l’homme, de nombreuses pathologies ont pour origine un dysfonctionnement des cellules du cœur, du cerveau ou du sang. Ainsi, une tumeur peut se développer car un gène n’a pas été traduit de manière correcte, ou lorsque la division des cellules n’est plus contrôlée. De la même façon, une maladie métabolique peut survenir lorsque certaines structures cellulaires ont modifié leur fonctionnement. C’est le cas par exemple lorsque les cellules du pancréas ne synthétisent plus l’insuline ou lorsque celles du foie ne filtrent plus le sang.

    Qui fait quoi, comment et quand ?

    Afin de mieux comprendre l’origine de ces dysfonctionnements, les chercheurs en biologie cellulaire – un domaine à part entière de la médecine – étudient les mécanismes qui se déroulent au cœur des cellules. Ils cherchent à comprendre, structure après structure, qui fait quoi, comment et quand ? Pour cela, ils commencent par dresser une liste exhaustive de l’intégralité des composants de nos cellules, depuis la membrane plasmique jusqu’à l’intérieur du noyau, en passant par tout ce qui se trouve dans le cytoplasme.

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    Habituellement, les chercheurs utilisent deux techniques : l’imagerie par fluorescence des protéines et l’association biophysique des protéines. Avec la première, les scientifiques ajoutent des balises fluorescentes de différentes couleurs aux protéines qu’ils étudient. Ils suivent ensuite leurs mouvements et associations par un microscope qui offre une vision à l’échelle du micron, soit à peu près la taille de certains composants comme les mitochondries (les usines à énergie des cellules).

    Les éléments plus petits, tels que les protéines, ne peuvent pas être observés au microscope, et c’est là qu’est utilisée la seconde technique. Pour examiner les associations biophysiques, les chercheurs peuvent utiliser des anticorps spécifiques à une protéine afin de l’extraire de la cellule et d’observer ce qui y est attaché. Cela permet aux chercheurs de descendre à l’échelle nanométrique. Mais alors, comment combler cet écart entre l’échelle du nanomètre et celle du micron, 1 000 fois plus gros ? C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle.

    Une carte hiérarchique unifiée

    C’est grâce à elle que des scientifiques de la faculté de médecine de l’université de Californie à San Diego (États-Unis) ont fait d’étonnantes découvertes. La technique, connue sous le nom de Multi-Scale Integrated Cell (MuSIC), est décrite dans un article publié le 24 novembre dans la revue « Nature » (1). « Lorsque vous imaginez une cellule, vous imaginez probablement le diagramme coloré de votre manuel de biologie cellulaire, avec des structures classiques, mais est-ce tout ? Certainement pas ! Grâce à notre approche, nous avons été en mesure de créer une carte hiérarchique unifiée de l’architecture des cellules humaines, expliquent les auteurs. Les scientifiques ont compris depuis longtemps qu’il y a de nombreuses choses que nous ne savons pas. Mais maintenant nous avons enfin un moyen d’aller plus loin. »

    Dans l’étude pilote, MuSIC a pu identifier 69 composants contenus dans une lignée cellulaire de rein humain, dont la moitié n’avait jamais été observée auparavant ! Un exemple parmi d’autres : les chercheurs ont repéré un groupe de protéines formant une structure nouvelle qui se lie à l’ARN (la copie du gène qui sort du noyau afin de construire les protéines). Le complexe est probablement impliqué dans ce que les généticiens appellent « l’épissage », un événement cellulaire important qui élimine certaines régions du gène lors de leur traduction en protéines. Plus simplement, ce phénomène détermine quels gènes sont activés et à quel moment.

    Une combinaison unique de technologies

    « Cartographier le fonctionnement interne des cellules n’est pas nouveau. Ce qui est différent avec MuSIC, c’est l’utilisation de l’apprentissage en profondeur pour cartographier la cellule directement à partir d’images de microscopie cellulaire. La combinaison de ces technologies est unique et puissante car c’est la première fois que des mesures à des échelles très différentes sont réunies », concluent les auteurs.

    C’est donc en examinant les données de plusieurs sources et en demandant au système de les assembler dans un modèle de cellule que l’intelligence artificielle a été capable d’aider les chercheurs à découvrir de nouvelles structures. Toutefois, le système est incapable d’associer une structure et un lieu précis dans la cellule car leurs emplacements ne sont pas nécessairement fixes. Du coup, la cartographie publiée n’est pas un Google Maps de la cellule mais plutôt une liste de structures et de sous-structures. Comme si, sur une carte, il y avait le nom des rues et celui des bâtiments mais sous forme de liste, pas sur un plan… Il y a donc encore du travail !

    Pour la suite, les chercheurs comptent étudier d’autres types de cellules que celles des reins, afin de mieux comprendre les bases moléculaires de nombreuses maladies en comparant les différences entre les cellules saines et les cellules malades.

    Fabriquer une protéine

    Les protéines sont des assemblages d’acides aminés. L’ordre de ces acides aminés confère à la protéine sa structure 3D. Pour la fabriquer, la cellule a besoin d’un plan dont l’original se trouve dans l’ADN contenu dans le noyau des cellules. Une copie de cet ADN quitte le noyau sous forme d’ARN messager, c’est l’étape de transcription. Des structures appelées ribosomes vont se fixer sur l’ARN et coller les acides aminés en suivant le plan, c’est l’étape de la traduction.


    (1) « A Multi-Scale Map of Cell Structure Fusing Protein Images and Interactions », « Nature », 2021.


  • Stella Morris, l’avocate et compagne de Julian Assange, lors d’un rassemblement devant la Cour de justice de Londres. Henry Nicholls / Reuters
    Stella Morris, l’avocate et compagne de Julian Assange, lors d’un rassemblement devant la Cour de justice de Londres. Henry Nicholls / Reuters
     

    Liberté d’informer. Les États-Unis veulent la tête de Julian Assange

    Lundi 13 Décembre 2021
    Vadim Kamenka

    La justice britannique a validé vendredi la demande d’extradition des États-Unis du lanceur d’alerte, qui demeure privé de liberté depuis 2010. Un coup terrible pour le fondateur de WikiLeaks et pour la presse.

     

    L’acharnement judiciaire contre Julian Assange se poursuit. Attendue depuis plusieurs jours, la décision de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles est tombée vendredi au moment même où le prix Nobel de la paix était remis à deux journalistes, Dmitri Mouratov et Maria Ressa. Tout un symbole. La cour a autorisé l’« appel » formé par Washington d’extrader le journaliste australien aux États-Unis, où il risque cent soixante-quinze années de prison, a annoncé le juge Tim Holroyde. Ce verdict ne se prononce pas sur la légitimité des dix-sept chefs d’accusation portés par les autorités américaines contre Julian Assange. Celles-ci l’accusent notamment d’« espionnage » et de « conspiration » pour avoir diffusé, en 2010, plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques états-uniennes, en particulier en Irak et en Afghanistan. L’appel portait sur les conditions de détention aux États-Unis et si elles étaient trop dures pour la santé mentale et physique du fondateur de WikiLeaks, âgé de 50 ans, incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres, depuis deux ans et privé de liberté depuis bientôt douze années.

    Une décision « dangereuse et malavisée »

    Les juges de la Haute Cour ont donc annulé la décision rendue le 4 janvier par la juge Vanessa Baraitser. Dans son jugement de 132 pages où le terme « suicide » est mentionné 107 fois, elle avait refusé l’extradition en raison de l’état de santé de Julian Assange et non sur la légalité de la demande et les raisons politiques de l’affaire. « Je suis convaincue que les procédures décrites par les États-Unis n’empêcheront pas M. Assange de trouver un moyen de se suicider et pour cette raison j’ai décidé que l’extradition serait oppressive en raison de préjudice moral et j’ordonne sa libération », avait précisé Vanessa Baraitser.

    Selon l'ONU, sa détention a été jugée « arbitraire » et ses droits « ont été gravement violés pendant plus d’une décennie ».

    À Londres, devant les bâtiments de la Cour de justice, sa compagne et avocate, Stella Morris, a confirmé qu’elle ferait appel de ce jugement et qualifié cette décision de « dangereuse et malavisée ». « Depuis deux ans et demi, Julian est resté à la prison de Belmarsh, et en fait il est détenu depuis le 7 décembre 2010 sous une forme ou une autre. Combien de temps cela peut-il durer ? » a-t-elle rappelé devant la presse, alors que sa détention a été jugée « arbitraire » et que ses droits « ont été gravement violés pendant plus d’une décennie » selon l’ONU.

    Sur le fond aussi, ce jugement interpelle. Si, du côté du ministère de la Justice des États-Unis, Wyn Hornbuckle, son porte-parole, s’est dit « satisfait de la décision », l’un des avocats américains de Julian Assange, Barry J. Pollack, a qualifié de « troublants » la conclusion des juges et le fait d’accepter les « vagues assurances » du gouvernement américain de traitement humain. Durant les audiences du 27 et du 28 octobre de la Haute Cour de justice, Julian Assange se trouvait dans un état physique extrêmement inquiétant. « La première journée, il n’a pu rester assis que durant une trentaine de minutes en visioconférence avant de devoir retourner dans sa cellule, exténué », nous rappelait son père, John Shipton, lors de sa visite le mois dernier à l’Humanité.

    La CIA avait envisagé de l’enlever et de l’assassiner

    Autre interrogation sur la parole donnée par le gouvernement des États-Unis, les récentes révélations faites par plusieurs responsables de l’antiterrorisme. Ces derniers ont confirmé que, en 2017, le directeur de la CIA, Mike Pompeo, a clairement envisagé d’enlever et même d’assassiner le fondateur de WikiLeaks alors qu’il était réfugié à l’ambassade d’Équateur.

     

    Même acharnement de Joe Biden, qui, en tant que vice-président de Barack Obama, avait estimé que Julian Assange s’apparentait à un « terroriste high-tech ». Pas sûr que le nouveau locataire de la Maison-Blanche stoppe cette demande d’extradition qu’il a lui même relancée le 12 février en déposant l’appel. Secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Anthony Bellanger déplore cette décision qui « est un coup dur pour nos espoirs de voir Assange libre. Il est clair, et il a été largement prouvé, que l’extradition d’Assange vers les États-Unis mettrait sa vie en danger extrême. Julien Assange doit vraiment être libéré immédiatement ».

    En attendant, la bataille judiciaire continue. Baltasar Garzon, qui coordonne la défense du journaliste australien de 50 ans, nous a confirmé « faire appel » devant la Cour suprême britannique et épuiser « toutes les ressources nationales et internationales pour défendre ceux qui n’ont commis aucun crime et qui ont résisté héroïquement et courageusement pendant plus de onze ans à la persécution pour avoir défendu la liberté d’expression et l’accès à l’information ». Pour l’avocat espagnol, « cela confirme la persécution politique menée par les États-Unis contre WikiLeaks et Julian Assange pour avoir dénoncé des faits portant atteinte à la sécurité de tous ».

    L'espoir repose désormais sur la France

    La France pourrait devenir l’un de ses derniers espoirs. À la mi-novembre, John Shipton nous avait avertis ne rien attendre « de la part des autorités britanniques et de cette nouvelle procédure ». Son père les jugeait « directement impliquées dans les tourments et les persécutions que subit son fils. Ils n’ont rien fait pour lui faciliter la vie. Au contraire, il est traité comme le pire des criminels, endurant les mensonges et les calomnies à son encontre. Cela fait douze années que mon fils subit ce calvaire. Julian a failli se suicider. Car il est enfermé dans une cellule extrêmement réduite 22 heures sur 24, avec la possibilité de ne rencontrer sa famille que très rarement. Mon espoir repose désormais sur la France et l’initiative des parlementaires ».

    Lire notre entretien avec le député Cédric Villani : « Julian Assange est harcelé et torturé, le mot n’est pas trop fort »

    Dans cette lutte, une quarantaine d’élus français tentent, en effet, de peser (lire ci-dessus). Ils demandent au gouvernement que Julian Assange bénéficie de l’asile politique en France. On y trouve des parlementaires communistes, tels Marie-George Buffet ou Fabien Roussel, des insoumis, comme François Ruffin et Mathilde Panot, mais aussi des membres du Modem (Erwan Balanant), de l’UDI (Thierry Benoît, Jean-Christophe Lagarde) ou de la majorité présidentielle avec le mathématicien Cédric Villani (ex-LaREM). Ils prennent le relais d’Éric Dupond-Moretti, quand celui-ci n’était pas encore ministre de la Justice. En tant qu’avocat, il avait demandé que la France accorde l’asile à Julian Assange.


    Vidéo Découvrez l'interview de John Shipton, reçu à l’Humanité ; il appelle la France  à accorder l'asile politique à son fils, Julian Assange.