Les urgences ouvertes à tous vivent-elles leurs derniers instants ? La « mission flash » sur les soins non programmés a remis jeudi 30 juin à Matignon ses 41 propositions pour surmonter un été « à haut risque » dans les services d'urgences, selon le projet de rapport que Marianne a pu consulter. Un document de 60 pages, que le président de Samu-Urgences de France a présenté lors d'une réunion de travail à Matignon, en présence de la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon, de l'Assurance maladie et de la fédération d'associations de patients France Assos Santé. Désormais, le projet, construit sous l'égide du Dr François Braun, est dans les mains de la Première ministre Élisabeth Borne. Parmi les préconisations, le rapport se prononce pour une régulation des admissions aux urgences, soit avec un « triage paramédical à l'entrée » des urgences, soit par une « régulation médicale préalable systématique » par le standard téléphonique du Samu.
« Ce n’est pas entendable de refuser d’accueillir quelqu'un à l’hôpital public ! C’est la mission du service public : c’est le socle de la société ! La lumière allumée quand t’es dans une merde totale », a réagi, hors de lui, l'urgentiste Patrick Pelloux auprès de Marianne. Pour cet ancien chroniqueur de Charlie Hebdo, l'objectif du gouvernement est de ne conserver l'accès aux urgences que des 5 % de malades graves. « Comme les infarctus, les chocs hémorragiques, les embolies pulmonaires… Mais le rapport Braun préconise que 95 % des gens qui viennent aux urgences soient refoulés à l'entrée. Ils vont aller où ? C’est 150 ans d’urgence à Paris qu’on est en train de foutre par terre. »
Les défaillances du 15
Dans ce nouveau système, donc, une personne malade pourrait être recalée des urgences après un examen paramédical – « réalisé par des secouristes », explique Patrick Pelloux – ou après avoir appelé le 15. Le rapport suggère même de limiter par endroits l'accès aux seules « urgences vitales », en particulier la nuit, cette « suspension d'activité partielle » devant permettre de « mutualiser les moyens de plusieurs services sur un seul site ». « Des femmes et des hommes et des enfants auront effectivement quelque chose de grave, mais ils ne seront pas diagnostiqués », alerte Patrick Pelloux. L'urgentiste craint aussi le « délit de sale gueule » : « Le SDF qui arrivera tout sale, on va le renvoyer… Le mot assistance publique ne veut plus rien dire du tout. »
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Quant à l'appel au 15, « il y a 24 millions d’appels supplémentaires qui vont arriver au Samu… Que vont faire les gens ? Appeler les pompiers et là, c'est l'effet domino », estime Patrick Pelloux. D'autant que ces dernières années ont été marquées par le décès d'au moins deux femmes qui avaient bien appelé le numéro d'urgence, mais n'auraient pas été prises au sérieux. L’affaire Naomi Musenga, une jeune femme noire décédée le 29 décembre 2017 après avoir souffert de violentes douleurs abdominales. Au téléphone, les deux opératrices du Samu de Strasbourg sont allées jusqu'à se moquer d'elle, alors même qu'elle agonisait.
Mêmes défaillances en 2020, lorsqu'une mère de famille, noire elle aussi, tente désespérément de convaincre l'opérateur de la réalité de ses douleurs. Elle est décédée le jour même. « Il faut garder à l'esprit que, dans ces deux affaires, il y a bien sûr les victimes, mais il y a aussi les soignants dont la carrière s'arrête car ils sont désespérés d'avoir commis un mauvais diagnostic, qu'ils regrettent, ruminent. Les puissants qui décident de l'organisation des services de santé ne sont jamais inquiétés », regrette Patrick Pelloux.
L'impact sur la psychiatrie
Un autre pan de la médecine d'urgence pourrait être menacé par les préconisations du Dr Braun : la psychiatrie. Car les urgences servent aussi les personnes souffrant de pathologies mentales – notamment de dépression ou de pensées suicidaires – qui se rendent aux urgences pour faire reconnaître leur état et être admis, de leur propre volonté, dans un établissement psychiatrique. « L'accueil de ces patients est déjà difficile. Ils passent énormément de temps dans les urgences à attendre, beaucoup d’entre eux s’angoissent, commencent à s’agiter, inquiètent les autres patients qui sont dans la salle et les soignants. Au bout de quelques heures, on va les attacher sur un brancard avec médicaments », estime Serge Klopp, représentant du Printemps de la psychiatrie
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Mais si ces préconisations sont appliquées, alors l'accès aux structures spécialisées dans la santé mentale risque d'être encore plus difficile. « Il faut comprendre que, pour quelqu'un qui est suivi en psychiatrie, trouver le courage de se faire hospitaliser est très compliqué, c’est très angoissant. Plus on va y mettre d’obstacles et plus un certain nombre de malades vont renoncer à se faire hospitaliser. Pour un certain nombre d’entre eux, ils vont attendre que ce soit très grave. »