• Le droit fondamental à la protection de la santé n’est plus garanti en France

    Un groupe d’associations et de collectifs de santé interpelle la Première ministre et menace pour la première fois de porter plainte pour carence fautive de l’Etat, tant la situation de l’hôpital public est dégradée. Les signataires appellent notamment à la fixation de ratios minimum soignants-soignés dans tous les services.

     

     

    Le 22 juin, les maires de France s’alarmaient des fermetures de services hospitaliers car partout en France l’accès à l’hôpital public se réduit, alors que les conditions de travail des agents hospitaliers deviennent plus dures, accélérant leur fuite et donc augmentant les fermetures de lits par pénurie de personnel. En mars dernier, le Sénat relevait : «Vétusté des équipements, charge de travail excessive, manque de temps médical et soignant auprès des patients qui sont autant de facteurs à l’origine d’un profond sentiment de perte de sens qui provoque des départs de personnels en cours de carrière.» La situation est maintenant si dégradée que des préjudices directs sont avérés pour les patients, mais aussi pour les agents hospitaliers : perte de sens, épuisement professionnel, fuite des titulaires et perte d’attractivité pour les professionnels nouvellement diplômés. La «mission flash» du nouveau ministre n’a eu pour objet que les services d’urgence ignorant la dégradation de l’intégralité du système hospitalier.

    Des droits qui ne sont plus garantis

    D’après le code de la santé publique, il est de la responsabilité du gouvernement (article L 1411-1) de mener une politique de santé garantissant le droit fondamental à la protection de la santé au bénéfice de toute personne. Cette politique doit garantir le droit du patient et des soignants à la santé, le droit au respect de la dignité de la personne malade, le droit de recevoir les traitements les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques garantissant la meilleure sécurité sanitaire, le principe de continuité du service public hospitalier. Force est de constater que ces droits ne sont plus garantis.

     

    Ainsi la littérature scientifique en matière de nombre de «patients par soignant» est unanime : plus il y a d’infirmières, moins il y a de patients par soignant, plus la chance de survie des patients est accrue. La présidente de la Haute Autorité de santé (HAS) le confirmait lors de son audition au Sénat «il existe un lien établi – par une littérature de très bon niveau – entre le niveau de personnes d’un établissement ou d’un service et la qualité des soins». En d’autres termes, l’objectif du droit à la santé et l’obligation de bénéficier des soins les plus appropriés ne sont remplis qu’à la condition que des ratios de sécurité et de qualité soient respectés.

     

    Pourtant, en dépit de la littérature et de nombreuses alertes, l’Etat n’a jamais défini de ratios soignants-soignés hors domaines très restreints (dialyse, soins intensifs, néonatologie et réanimation). La sénatrice Catherine Deroche signalait au cours de la commission d’enquête sénatoriale, le 29 mars 2022, qu’aucun véritable suivi du ministère de la Santé n’est effectué en matière de pilotage de la politique hospitalière, sur des questions aussi importantes que les ressources humaines et les capacités d’hospitalisation.

    Par ailleurs, comme le souligne le rapport du Sénat, la politique qu’a menée l’Etat en matière de financement hospitalier a «mis les établissements en difficulté». Dès lors, le principal poste de dépenses des hôpitaux, celui des dépenses de personnels, a été soumis à une gestion dégradant les conditions de travail et les investissements n’ont souvent pu être opérés que grâce à l’endettement.

     

    Des effectifs inadéquats, la pénibilité accrue au travail, le manque de soignants, l’absence de ratios de sécurité définis, la fermeture de nombreux services d’urgence et de services d’hospitalisation, partiellement ou complètement, un financement décorrélé des besoins, une construction annuelle du budget des hôpitaux ne tenant pas compte des besoins documentés et des tendanciels avérés, des investissements hospitaliers non financés, l’absence de dialogue avec les élus territoriaux, représentants des usagers, représentants des personnels médicaux ou paramédicaux, signent les défaillances des politiques de santé dont l’Etat est responsable. Le comportement fautif de l’Etat et les préjudices causés à l’hôpital, aux patients et aux soignants sont avérés et perdurent.

    C’est pourquoi les associations et collectifs que nous représentons enjoignent, par l’intermédiaire de leurs avocats maîtres Macouillard et Melin, la Première ministre à :

     

    - Mettre sans délai un terme à l’ensemble des carences qui continuent d’engager la responsabilité de l’Etat ;

    - Prendre des décisions réglementaires en urgence afin de définir des ratios d’effectif «patients par soignant» suffisants au regard des études internationales en la matière ;

     

    - Renforcer significativement le nombre d’infirmiers et d’aides-soignants et en définissant des seuils critiques ajustés sur les activités des établissements ;

    - Mettre en place un mécanisme d’alerte lorsque les seuils critiques susvisés sont atteints.

     

    En l’absence de réponse et de réparations des préjudices causés, les associations et collectifs signataires porteront plainte pour carence fautive contre l’Etat.

    Signataires : Marc De Kerdanet Pour Aide aux jeunes diabètiques (AJD), Stéphanie Fugain Pour l’Association Laurette-Fugain, Laure Dorey Pour l’Association maladies, foie, enfants (Amfe), Marie Citrini et Stéphane Dauger Pour le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH), Pierre Schwob Pour le Collectif Inter-Urgences, Michèle Leflon Pour la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, Maîtres Macouillard et Melin Du cabinet Topaloff.

     


  • L’urgentiste Patrick Pelloux : « François Braun ne peut pas être ministre des castes et des clans »

      14h47 , le 4 juillet 2022 , modifié à 15h18 , le 4 juillet 2022
    • Par
    • Camille Romano
     

    INTERVIEW - Patrick Pelloux, médecin urgentiste au Samu de Paris et ardent défenseur du service public de la santé, accueille avec bienveillance mais beaucoup d’attentes la nomination d’un de ses confrères urgentistes, François Braun, comme ministre de la Santé et de la Prévention. 

    Le médecin urgentiste Patrick Pelloux, lors d’une manifestation de soignants à Paris, le 7 juin.

    Le médecin urgentiste Patrick Pelloux, lors d’une manifestation de soignants à Paris, le 7 juin. (STR / AFP)
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    Il lui souhaite de réussir, mais le souhait n'est pas pour autant un blanc-seing : Patrick Pelloux restera attentif à l'action du nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun, tout juste nommé en remplacement de Brigitte Bourguignon - battue aux législatives - dans le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne . L'urgentiste parisien salue avec une certaine ironie l’ascension d'un président de syndicat de médecins encore en activité à la tête du ministère, et dresse pour le JDD la liste des chantiers qui attendent son ex-confrère. 

     

    La nomination de François Braun, médecin urgentiste et président du syndicat Samu-Urgences de France, à la tête du ministère de la Santé est-elle une bonne nouvelle ? 
    C’est l’aboutissement d’un travail qu’a mené François Braun, avec son syndicat, qui est devenu un parti politique. Je rends hommage au moins à cela : c’est la première fois qu’un médecin, président de syndicat en exercice accède au ministère. C’est une première, et c’est très intéressant politiquement, sociologiquement. François Braun est compétent, travailleur, c’est quelqu’un de très intelligent, et je lui souhaite de réussir. Il y a eu tout un processus depuis qu’il a été reçu par le président de la République en 2018-2019 avec les urgentistes, sur l’établissement du service d’accès au soin. Il a accompagné Emmanuel Macron sur tous les déplacements au moment de la crise du Covid. Quand ils ont eu l’idée de faire des trains pour envoyer des malades réanimatoires dans les « régions », il était là… François Braun a eu une stratégie, une tactique politique qui l’a conduit aux plus hautes fonctions de la République. Maintenant, il faut qu’il soit ministre de la République, il ne peut pas être le ministre des castes et des clans.

     

    Lire aussi - Urgentiste, pro-Macron, en mission sur l'hôpital : 3 choses à savoir sur François Braun, ministre de la Santé

     

    Craignez-vous qu’il privilégie les médecins ou les urgentistes par rapport aux autres soignants ? 
    Non, je ne l’entends pas dans ce sens-là. Par exemple dans le secteur des urgences, vous avez deux organisations principales : le Samu-Urgences de France, et l’Association des médecins urgentistes de France [Amuf, que Patrick Pelloux préside, NDLR]. François Braun a, depuis environ trois ans, tout fait pour que l’Amuf soit écartée systématiquement : lors de l’établissement de son rapport pour la mission flash, il ne nous a pas concertés. Dans son syndicat, ils ont une structuration financière très importante, avec des permanents et des conseillers en communication, ce que nous n’avons pas, et je suis admiratif, car nous, nous n’avons pas réussi. 

    Le rapport flash de François Braun a favorisé le monde libéral de manière vraiment très forte

    Au sein de l’Amuf, vous vous êtes montrés assez critiques face aux conclusions de ce rapport…
    Oui, surtout sur la liberté d’accès aux soins des services des urgences et contre les fermetures des services d’urgences. Le rapport de François Braun a favorisé le monde libéral de manière vraiment très forte, c’est une orientation politique. La dernière fois que je l’ai vu, il y a trois mois, je lui avais dit : « Il n’y a pas de mal à rentrer dans la vie politique, ce n’est pas une tare, la politique. » François Braun, par sa culture libérale, est plutôt un homme de droite, de centre-droit. Il arrive désormais à ce qu’il voulait depuis longtemps : devenir ministre. C’est à lui de jouer, je pense qu’il va très rapidement comprendre qu’il est dans une position politique, maintenant.  

     
     

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    Quels sont les chantiers prioritaires auxquels François Braun devra s’attaquer ? 
    Les chantiers sont considérables et nombreux, avec tout d’abord le problème de la liberté d’installation, et de la permanence de soin. Je suis désolé de le dire, mais son rapport-flash ne va strictement rien résoudre. Il y a également le volet social, avec la question des augmentations de salaires des personnels infirmiers, les recrutements de ces personnels dans les hôpitaux. Du côté des praticiens hospitaliers, il y a plusieurs problèmes. Depuis le Ségur de la santé, quatre échelons nous ont été « volés ». Se pose aussi le sujet de la valorisation des gardes et du travail de nuit. Nous lui demandons l’égalité de traitement entre le secteur libéral et hospitalier : les libéraux défiscalisent leur activité en permanence de soin 60 jours par an, et pas les hospitaliers, ce qui créent des inégalités fiscales et financières entre ces deux mondes. 

    Il faut qu'il impulse un élan, une pensée politique

    Avez-vous également des attentes en matière de santé publique ? 
    Plusieurs questions vont être au centre : quelle va être la position de François Braun sur la légalisation ou la dépénalisation du cannabis, sur le programme de santé mentale, notamment de la pédopsychiatrie ? Je ne la connais pas. Quelle sera sa position sur la relation avec les sapeurs-pompiers , les grands oubliés de son rapport-flash, et qui sont les principaux secouristes en France ? Il doit également se positionner sur la question de la fermeture de services : va-t-il fermer des services d’urgence, des hôpitaux, des maternités, ou va-t-il se battre pour les maintenir ? Quelle va être sa position concernant l’épidémie de Covid-19 ? Prônera-t-il le port du masque, ou non ? Réintégrera-t-il les soignants non-vaccinés ? Il y a un renoncement global, une sorte de démission collective dans le système de santé français : quel élan va-t-il donner ? Il faut qu’il impulse un élan, une pensée politique.

    Y a-t-il également des sujets à aborder sur le volet structurel du système de santé français ? 
    Bien sûr, notamment avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui doit être travaillé dès cet été. Quelles seront ses priorités ? Mais je veux avoir confiance dans l’intelligence de François Braun, mais la question est aussi celle de son entourage. Il doit nommer très rapidement quelqu’un à la Direction générale de la santé, à la Direction générale de l’offre de soin, mais aussi des postes de direction d’agences régionales de santé (ARS). Cela fait presque deux mois que le système de santé est à l’arrêt, à cause de ces postes vacants.

    Lors de la campagne pour l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, dont il était l’un des référents santé, François Braun avançait la nécessité de « réformer l’organisation de la santé en France ». Faut-il s’en réjouir ? 
    Nous allons très vite le savoir : soit il amorce de grandes réformes, qui sont dans l’intérêt général, s’appuyant sur le service public et la sécurité sociale. Soit ses réformes seront libérales, dans la ligne de son rapport-flash, où les gens ne doivent plus aller aux urgences, et téléphoner avant. C’est une de ses grandes idées, et je suis totalement opposé à cela : c’est un recul du service public et de l’intérêt général. Que va-t-il vouloir faire sur l’évolution d’un système assurantiel par rapport à la sécurité sociale, sur le modèle des États-Unis ? Ce sont ces enjeux-là que nous allons examiner, car le programme du président de la République est resté très évasif, sur toutes les questions de santé jusqu’ici. François Braun est commandant de l’avion, nous allons donc voir comment il va piloter. 

     
     
     




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