Pour défendre la réforme conduite par le gouvernement, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a assuré ce lundi 19 avril que la "générosité" du système d'assurance chômage n'a rien fait pour permettre de redresser la situation du marché de l'emploi. Et tant pis si ce n'est pas son rôle…
Et revoilà le "cancer de l'assistanat". Ce lundi 19 avril sur France Inter, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, s'est risquée à une périlleuse démonstration, selon laquelle l'assurance chômage doit être réformée parce que sa trop grande "générosité" a encouragé la précarité.
Celle qui souhaite "s’assurer que tout demandeur d’emploi soit incité à trouver un emploi" affirme ainsi, sans ciller : "Moi je défie quiconque de nous dire que le système actuel est idéal. Quand on voit qu'on a un des systèmes les plus généreux au monde et qui le restera après la réforme, et que pourtant, on a pas réussi à venir à bout du chômage de masse et qu'au contraire on a accompagné le développement de la précarité dans l'emploi avec une augmentation de 250 % des CDD de moins d'un an en dix ans, je pense que ça montre qu'il est utile de réformer le système."
Traduisons : à cause d'un système trop "généreux", les chômeurs s'installeraient dans une forme de confort qui les conduirait à préférer les allocations au salaire, et l'oisiveté à l'emploi. En son temps, le prédécesseur d'Élisabeth Borne au ministère du Travail, Muriel Pénicaud, incriminait déjà les chômeurs, lesquels étaient priés de "changer de comportement". Que l'assurance chômage "accompagne" la montée de la précarité, c'est en fait son rôle, puisqu'elle existe non pour trouver un emploi, mais pour en compenser l'absence. Mais Élisabeth Borne prétend bien qu'un lien de cause à effet existe entre cette protection et l'augmentation de la précarité, puisqu'elle tire de sa prétendue inefficacité un argument pour soutenir la réforme de l'assurance chômage, laquelle prévoit justement de diminuer le niveau de protection des salariés, en rendant l'accès aux indemnisations plus difficile.
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Rappelons au passage que, selon les chiffres de l'Unedic - l'organisme chargé de la gestion de l'assurance chômage, l'idée selon laquelle les chômeurs gagneraient plus en allocations qu'en salaires tient du mythe : selon un rapport de mars 2019, cette situation ne concernait que 4 % des bénéficiaires du chômage. Qui plus est, cette tranche d'allocataires est la plus pauvre, puisqu'elle regroupe les salariés ayant gagné 220 euros net par mois en moyenne sur les 12 mois précédents, pour une indemnisation de… 290 euros. Un bon plan à ce point confortable que 63 % de ces personnes retrouvent un emploi dans les trois mois suivant le début de leurs droits au chômage.
FLEXIBILITÉ
Mais il semble que ce soit encore trop "généreux" pour l'ancienne patronne de la RATP, dont l'analyse pousse le curseur antisocial encore un cran plus loin : à entendre Élisabeth Borne, on croirait que les salariés ont été plus enclins à accepter des contrats précaires parce qu'ils pourraient bénéficier d'une assurance chômage correcte. La ministre omet toutefois de mentionner que l'explosion de la précarité a été rendue possible, au moins en partie, par la loi El-Khomri et les ordonnances travail du début du quinquennat d'Emmanuel Macron, au nom de la "flexibilité" du marché du travail. Le dumping social, les délocalisations ou le libéralisme galopant ne sont pas davantage évoqués comme causes possibles de l'explosion de la précarité.
Par-dessus le marché, la réforme bientôt en vigueur, qui conduira à dégager 2,3 milliards d’euros d’économies par an, selon les estimations de l’Unedic, pèsera avant tout sur les salariés les plus précaires, et devrait les conduire à enchaîner les contrats courts. Ce pour deux raisons : d'une part, l'étalement de la durée d'indemnisation sur 24 mois au lieu de douze conduit à une baisse de la valeur mensuelle de l'indemnité, d'autre part, le nouveau mode de calcul de cette indemnisation, qui entrera en vigueur dès juillet 2021, pénalise les "trous" sans emploi entre deux contrats. Autrement dit, les chômeurs sont doublement "incités" à accepter n'importe quel contrat, d'abord parce qu'ils ont moins pour vivre chaque mois, et ensuite parce qu'alterner travail et chômage conduit à être moins indemnisé qu'auparavant. Conclusion : ce n'est pas l'assurance chômage, mais bien le gouvernement qui "accompagne" la précarité.