• Sylvie Brunel

    Géographe, économiste, professeur à Paris-Sorbonne.

    Nos agriculteurs sont désespérés. Soumis aux aléas de leur métier, ils doivent en outre se justifier quant à leurs méthodes de production intensive, se mettre au bio tout en maintenant des prix très bas. Une position intenable et décourageante.

     

    La crise agricole que traverse la France est très grave. Un taux d'abandon record, des suicides en augmentation. Responsables ? Une rémunération insuffisante due à des prix qui jouent au Yo-Yo. Une météo désastreuse pour les céréaliers, qui a conduit au déclassement de la récolte de blé. Mais aussi un contexte global profondément décourageant pour ceux qui nous nourrissent.

    Jamais l'agriculture n'a été autant attaquée. La France a oublié le pacte passé avec ses paysans au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour vaincre sa dépendance alimentaire. En 1960, on dépensait près de la moitié de son revenu à l'achat de nourriture. Un demi-siècle plus tard : moins de 15 %, une espérance de vie record de 82 ans. Jamais l'alimentation n'a été aussi saine, aussi sûre, aussi peu chère.

    Pourtant, combien aujourd'hui ne jurent que par le « naturel », le bio, en s'imaginant à tort qu'il ne demande que des traitements « gentils » pour la planète et la santé ? Combien honnissent les pesticides et le génie génétique, vouant aux gémonies l'agriculture moderne, qualifiée d'industrielle ou de productiviste ?

    Jamais l'agriculture n'a été autant attaquée

    Pour moi, qui ai travaillé pendant dix-sept ans dans des ONG tentant de répondre aux crises alimentaires, ce renversement de situation est ahurissant. Il suffit d'aller dans les campagnes pauvres du monde entier pour s'en rendre compte. Un tiers des récoltes détruites, au minimum ! Deux tiers de ceux qui souffrent de la faim sont des ruraux. Ils rêvent d'avoir accès à des machines performantes, au lieu de s'échiner à gratter la terre en guettant les caprices du ciel. Ils sont prêts à s'endetter pour ces produits de traitement chimiques tant leurs récoltes sont misérables et incertaines.

    L'agriculture moderne, c'est ce qui a permis de nourrir le monde en économisant des terres, de faire face à une croissance démographique rapide, de nous permettre de trouver en toute saison des produits beaux, bons, sains… et pas chers. Nous sommes en train de tuer notre richesse agricole : tandis que nous regrettons le bon vieux temps de Martine à la ferme, la moitié des exploitations disparaissent par décennie. Chaque fois qu'un paysan renonce, la friche ou le lotissement gagnent. La souveraineté alimentaire si difficilement acquise s'éloigne.

    Opposer bio et conventionnel ne veut plus rien dire

    D'ici à 2050, il faudra pourtant nourrir 2 milliards d'humains en plus, qui vivront majoritairement en ville, voudront comme nous faire chaque jour trois repas de qualité, chercheront à tout prix la sécurité alimentaire. Les agriculteurs ne nous ont pas attendus pour s'engager dans la transition agroécologique : leurs exploitations visent à l'efficacité, dans l'utilisation de l'eau comme des produits de traitement, dans le respect du bien-être animal. Chaque fois qu'elles sont possibles, ils recourent à des solutions naturelles. Opposer bio et conventionnel ne veut plus rien dire. La plupart des urbains l'ignorent et continuent de prendre pour des bouseux des professionnels qui doivent être à la fois climatologues, agronomes, géopoliticiens, mais aussi des businessmen au cuir épais pour résister aux attaques et à la dure loi du marché.

    Car il faut les vendre à prix rémunérateur, ces nouveaux produits qui demandent tant d'excellence… Le consommateur, qui adore donner des leçons de nature aux paysans, continue, quand il va faire ses courses, de privilégier un critère essentiel : le prix. L'agriculture française est ainsi une des plus exigeantes et des plus sûres au monde, mais alors même que nos exploitants croulent sous les normes et les contrôles, nous importons de plus en plus de produits en provenance de pays qui sont loin d'appliquer les mêmes critères sociaux et environnementaux !

    Croire que la solution viendra de ces aimables jardiniers sur leurs microparcelles que les médias adorent mettre en avant est une utopie dangereuse.

    Il est urgent de refonder un pacte agricole, de reconnaître l'excellence encore très largement familiales, de rémunérer dignement ceux qui nous nourrissent, d'apprendre à mieux connaître leur travail et à le respecter. Croire que la solution viendra de ces aimables jardiniers sur leurs microparcelles que les médias adorent mettre en avant est une utopie dangereuse. La vérité, c'est que la pression parasitaire s'accroît avec le changement climatique, que les classes moyennes du monde deviennent de plus en plus exigeantes, et les attentes environnementales, de plus en plus élevées. L'agriculture a les solutions. Mais elle ne pourra pas les mettre en œuvre si nous continuons à calomnier et à mépriser ceux-là mêmes qui façonnent nos paysages et nous nourrissent.

     

     

     


  • Lors d’une de leurs dernières séances, les députés ont voté une loi scélérate destinée à protéger les voyous en col blanc ! Il s’agit de la réforme du délai de prescription en matière pénale.

    Il y a une bonne dizaine d’années qu’il était dans les tuyaux ce texte d’infamie dont la finalité est de permettre aux délinquants en col blanc d’échapper à la justice. Sans surprise, ce sont les sénateurs qui l’avaient introduit, mais ce sont les députés qui l’ont fait passer, subrepticement, bien planqué dans une loi plus générale portant réforme de la prescription en matière pénale.

    Depuis 1935, la Cour de cassation avait décidé de faire démarrer ce délai de prescription non pas à la date de l’infraction, mais à la date de la découverte des faits par la justice. Ceci parce que les délits en question – magouilles fiscales, fausses facturations, emplois fictifs, etc. - sont forcément dissimulés, difficiles à découvrir et s'étalent dans le temps.

    Eva Joly qui a été magistrate chargée de plusieurs dossiers politico-financiers (affaire Elf, affaire Tapie) estime que « Beaucoup d’abus de biens sociaux dans les mairies ou les grandes entreprises ne sont généralement découverts qu’en cas d’alternance politique ou de changement d’actionnaire – ce qui n’intervient pas tous les quatre matins. » De même précise-t-elle « Certains abus de faiblesse sur des personnes âgées ne sont découverts par les héritiers que longtemps après les faits. » Enfin « Et si on découvrait aujourd’hui d’énormes malversations sur des rétrocommissions en marge d’un contrat de vente d’armes en 2004, ou des flux libyens, pourquoi se priverait-on de les poursuivre ? » lien

     

    La prescription fixe un délai au-delà duquel les infractions sont considérées comme trop anciennes pour pouvoir être poursuivies par la justice. La date butoir introduite par le Sénat et voté par l’Assemblée nationale raccourcit le délai maximal à douze ans « après les faits ». Autrement dit en 2017, sont considérés comme prescrits les délits antérieurs à 2005. Ainsi, avec ce texte, l’affaire des frégates de Taïwan (500 000 millions de pots-de-vin dont une partie est revenue dans les poches de politicards véreux sous forme de rétrocommissions), l’affaire de Karachi (rétrocommissions sur des contrats d’armement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite dans les années 1990, soupçonnées d’avoir alimenté la campagne de Baladur et ayant occasionné un attentat ayant fait quinze morts, dont onze ouvriers français), l’affaire de la banque UBS (plus de 12 milliards d’euros d’avoirs qui ont échappé au fisc français) ne pourraient pas être poursuivis.

    On voit dès lors à qui profitera cette loi scélérate à l’avenir…

    Un qui voyait arriver cette loi sans déplaisir, c’est le ci-devant Fillon François puisqu’une partie des faits litigieux concernant sa femme sont antérieurs à 2005. Avec cette loi, ces faits étaient prescrits !

    L’article 4 de la loi prévoit que la réforme ne pourra pas s’appliquer rétroactivement à des affaires qui ont déjà donné lieu à « la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » au moment de son entrée en vigueur. Le Parquet financier ne s’est pas fait avoir et a « mis en mouvement l’action publique » en confiant l’affaire à trois juges d’instruction empêchant ainsi que les faits antérieurs à 2005 ne passent à l’as.

    Et c’est sous une législature de gauche, en fin de mandature, qu’une telle loi a été votée. On s’étonnera ensuite du rejet maintenant viscéral de tout le personnel politique, les bons payant pour les mauvais. Quant à Marine, elle doit tangenter l’orgasme.

    Lamentable.

     

    Illustrations X - Droits réservés

     

    paradis fiscaux pauvres.jpg

     

     

     
      :