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La répression s’accentue au Sénégal
Les organisations de la société civile et l’opposition tentent de se mobiliser contre le report de la présidentielle malgré la forte répression policière
Plusieurs centaines de Sénégalais, de tout âge, ont répondu vendredi 9 février à l'appel à la mobilisation au niveau de la place de la Nation à Dakar. Aussitôt la prière du vendredi terminée dans les mosquées de la capitale, les citoyens ont convergé en direction du lieu de rendez-vous pour manifester leur colère face à la décision du président de la république Macky Sall de reporter les élections présidentielles, annoncée le 3 février dernier. Initialement prévues le 25 février, celles-ci doivent désormais se tenir le 15 décembre prochain après que les députés de l'Assemblée Nationale auront approuvé par vote (à 105 voix sur 165) un report à cette date. Une première manifestation d'importance, dont la paternité de l'initiative reste inconnue, et qui faisait figure de test pour évaluer la force de mobilisation du peuple sénégalais. Une première tentative de rassemblement avait eu lieu dimanche 4 février avec la décision des candidats de l'opposition de faire front commun pour lancer la campagne électorale comme prévu, cela malgré l'annonce de la veille du report du scrutin. Elle avait été rapidement dispersée et annonçait les prémices de futurs face-à-face tendus entre les populations et les forces de l'ordre.
Des rassemblements violemment réprimés
Avant même le début de la mobilisation de vendredi 9 février fixée à 15 heures, les affrontements ont débuté entre différents groupes de plusieurs centaines de manifestants dans les quartiers de Colobane et Médina, situés à proximité de la place de la Nation. Alors que la manifestation se voulait pacifique, la réponse musclée des forces de l'ordre pour dissiper rapidement tout regroupement a provoqué de vifs heurts. Les affrontements se sont multipliés entre des jeunes manifestants excédés armés de blocs de pierre et des forces de l'ordre surreprésentées. « Macky Sall, dictateur, Macky Sall, assassin », scandait la foule, dont certains étaient vêtus de blanc et affichaient des drapeaux ou des écharpes aux couleurs du Sénégal. La répression policière a été très violente : plusieurs manifestants ont été arrêtés avec brutalité, certains ainsi que des citoyens qui ne participaient pas à la mobilisation ont été blessés, tandis que des journalistes sur le terrain ont été ciblés délibérément, et même embarqués. La mobilisation a été observée sur toute l'étendue du territoire, et les heurts se sont multipliés dans différentes localités jusqu'en début de soirée, notamment à Saint-Louis (nord du pays) où un étudiant de l'université Gaston-Berger est décédé. Un second décès, par balle, a été annoncé ce samedi 10 février à Dakar.
Une mobilisation tous azimuts
Après des premiers jours qui ont laissé la population sous le choc et face à la réponse musclée des forces de l'ordre, la riposte tente désormais de s'organiser. Un grand nombre d'initiatives émergent pour dénoncer le report et exiger la reprise du calendrier électoral. La société civile est au premier rang de cette démarche avec notamment la plateforme « Aar Sunu Elections » (« Protégeons notre élection », en wolof) qui regroupe plus d'une trentaine de mouvements de la société sénégalaise, des organisations religieuses et des syndicats. Elle avait ainsi appelé les imams à aborder dans leur prêche de la prière du vendredi la situation du pays et un appel à la résistance. Le même mot d'ordre a été transmis aux prêtres lors des messes de ce dimanche. Le débrayage à partir de 10 heures vendredi dans les écoles du primaire et du secondaire a été très suivi. « C'est inédit, le mot d'ordre a fait l'unanimité, y compris chez les professeurs non syndiqués », se félicite Dame Mbodj, secrétaire général du Cadre unitaire syndical des enseignants du moyen secondaire authentique (Cusems), syndicat prenant part à la plateforme. Une réflexion est en cours pour la poursuite de la mesure afin de paralyser le système éducatif.
Au-delà de l'éducation, une rencontre est prévue lundi pour mobiliser les syndicats des autres secteurs : télécommunications, transports, santé, etc. « Plusieurs syndicats de la santé nous ont donné leur accord pour rejoindre la lutte. Nous voyons également avec les syndicats de la justice, au niveau des collectivités territoriales… le but est la paralysie totale du pays pour forcer Macky Sall à revenir sur sa décision », développe le syndicaliste. Une réflexion est également en cours pour impliquer les leaders de l'opposition et les candidats à l'élection qui le souhaitent. S'ils soutiendront et « répondront aux actions pour renouer avec la démocratie », Pape Konaré Diaité, responsable communication du candidat Khalifa Sall, rejette cependant ce mélange entre société civile et politiques, arguant que « la société civile ne devant pas être partisane », « chacun a son rôle à jouer ». Une marche pacifique est d'ores et déjà prévue par la plateforme mardi 13 février de 15 heures à 19 heures. Une demande d'autorisation a été déposée auprès du préfet. « Si le pouvoir ne veut pas aller à l'abattoir, ils vont l'autoriser. Mais il ne veut pas de cette image pacifique qui montre un peuple plus que majoritairement contre ce report. Aujourd'hui, la communauté internationale est en train de lâcher Macky Sall, il est isolé. Et le peuple ne va pas lâcher malgré la forte répression », analyse monsieur Mbodj.
D'autres initiatives se multiplient. À l'image de l'appel des organisations de la jeunesse, qui regroupe les signatures de cinquante structures associatives dans ce domaine. « La jeunesse est la principale victime de ces crises, et a déjà payé un lourd tribut, avec des pertes en vies humaines, des centaines d'arrestations, un nombre considérable de jeunes toujours en détention, la fermeture des écoles et universités », souligne le texte, qui rappelle qu'un Sénégalais sur deux est âgé de moins de 18 ans. « Pendant longtemps, on a demandé aux jeunes de rester calme, d'attendre les élections pour s'exprimer à travers le vote. Mais avec le report des élections, on leur enlève cette possibilité et cela crée de la frustration », avance Sobel Ngom, directeur exécutif du Consortium Jeunesse Sénégal Yaakaar (CJS Yaakar), qui œuvre dans le domaine de l'éducation. Des actions parfois de moindre ampleur, à l'échelle des quartiers par exemple, éclosent également un peu partout sur le territoire.
L'appel à l'union des candidats de l'opposition à l'élection présidentielle reste d'actualité. Une dizaine de candidats a déposé en fin de semaine des recours contre le décret d'abrogation du scrutin ainsi que la loi fixant la date des élections aux 15 décembre prochain. « Il n'y a qu'avec l'union qu'on peut gagner ce combat », assure Pape Konaré Diaité, qui rapporte également que le parti Taxawu Senegal réfléchit à des actions futures.
Des obstacles importants
Devant la multitude d'initiatives individuelles, collectives… difficile de ne pas s'y perdre. D'autant que la communication est parfois limitée et entraîne la confusion. « Je pense que c'est une bonne chose que de nombreuses entités se mobilisent individuellement. Les Sénégalais n'ont plus besoin de structure ou mouvement pour s'exprimer, la question dépasse les groupuscules », assure Abdou Khafor Kandji, du mouvement citoyen Y en a marre, très connu pour sa mobilisation contre le troisième mandat de l'ancien président Abdoulaye Wade en 2012.
S'il est persuadé qu'une mobilisation avec une société civile qui agirait en cohésion et de façon forte pourrait redéfinir la mobilisation, Sobel Ngom pointe la difficulté à réunir sur le terrain les citoyens du fait d'une forte répression policière, cela malgré « une grande motivation des Sénégalais ». « Au-delà de la peur et de souvenirs difficiles pas si lointains (émeutes de mars 2021 et juin dernier), il manque aussi une direction : il n'y a pas de voix charismatique et crédible pour lancer un vaste mouvement », avance-t-il. Une situation vue au contraire comme un atout pour Abdou Khafor Kandji. « Il faut éviter les leaders car Macky Sall cherche à leur couper la tête. Il faut au contraire lui montrer que ce sont tous les citoyens sénégalais qui se sont levés contre un seul homme pour refuser le report. Cette question dépasse les coalitions et partis politiques. De plus, il y a une rupture consommée entre les politiques et la population », défend-il.
Des mobilisations sont également prévues pour dénoncer la coupure du signal du média Walf TV le 4 février, accusé de diffusion de « propos subversifs, haineux et dangereux », cela pour avoir programmé un plateau spécial consacré au report de la présidentielle et à ses répercussions, notamment dans les rues de Dakar. Une journée sans presse est ainsi prévue le 19 février prochain.
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