Ce n’est pas le premier à se décourager. Excédée par les tensions, son ex-voisine, la coiffeuse, a déjà baissé le rideau pour aller voir ailleurs. Tout récemment, le chauffagiste a fait de même. « On était là depuis huit ans avec mon mari. On a essayé de taper à toutes les portes, rien ne bouge vraiment », peste Estelle, l’épouse de l’artisan. Dégradations, incivilités, menaces, le refrain se répète inlassablement. « Entre les feux de poubelles, des extincteurs projetés, ça ne s’arrête jamais. La caméra de vidéosurveillance de la Ville a été cassée à deux reprises. Elle est HS. Chaque matin, on arrivait la boule au ventre, sans savoir comment on allait retrouver nos locaux. Ce n’était plus tenable. »
« 4 200 euros de cigarettes et 500 euros en espèces » soutirés
Sébastien Baup a repris le tabac-presse-épicerie du coin il y a trois ans. En juin dernier, il a été cambriolé. Trois jeunes se sont fait pincer. « Ils avaient volé 4 200 euros de cigarettes et 500 euros en espèces. » Les jugements sont tombés. L’auteur principal a écopé de quatre mois de prison avec sursis, assortis notamment d’une interdiction de côtoyer le commerce visité pour une durée de deux ans.
« Les dealers ont pris possession du territoire, et nous, on abandonne le nôtre »
Mais le gérant ne se fait guère d’illusions. « C’est une bande. Les autres sont toujours là. Ils ont un business à faire tourner. Le quartier est gangrené. Et tant qu’il y aura des consommateurs… » Il ajoute : « La police (municipale ou nationale) a beau débarquer, rien ne se passe. Les dealers sont malins, ils ne portent rien sur eux. La drogue est planquée ailleurs. Ou alors ils s’évanouissent par l’impasse à l’intérieur du parc. » Le parc de la résidence Godard, dont les étages dessinent la toile de fond de leur désarroi. « J’habite le quartier depuis 1970, je n’avais jamais vu ça, affirme Marie-Claire, une riveraine. La pente est savonnée. Les dealers ont pris possession du territoire, et nous, on abandonne le nôtre. » Pour elle, Godard est devenue une annexe du Grand-Parc, à Bordeaux, distant d’à peine quelques centaines de mètres.
Musique, rodéos à motocross dans les rues : Sophie, qui a grandi à Sarcelles, en banlieue parisienne, a l’impression d’y être revenue. « On craint pour nos enfants, dit-elle. Des personnes à cran pourraient dégoupiller. On n’est pas à l’abri d’un dérapage. » Professionnelle de l’immobilier, elle fait aussi ce constat : « La réputation du quartier est entachée. Nos appartements deviennent invendables. »
Une réponse municipale en plusieurs temps
Le maire Patrick Bobet ne minimise pas les faits. « Je comprends l’émoi du quartier. Nous avons eu des rencontres avec les citoyens vigilants, on a parlé de ça. Il est inadmissible que l’accès d’une pharmacie, lieu de délivrance de médicaments parfois urgents, soit entravé par des fauteurs de troubles. » Et l’édile de poursuivre : « Alain Marc, notre adjoint à la sécurité, y est tous les jours. Nous avons pris des arrêtés de non-regroupement de personnes, pour avoir une raison de les verbaliser. Cela ne suffit pas, j’en suis conscient. »
Patrick Bobet dit avoir rencontré courant novembre le nouveau commissaire divisionnaire Emmanuel Richard. « Lors de nos échanges, j’ai appuyé fortement sur Godard. Je crois qu’il a compris. Une réponse policière est attendue. De notre côté, nous réfléchissons aussi au réaménagement de l’impasse pour occuper l’espace et chasser le trafic. »