• Maisons de retraite : Sous-effectif, manque de soins…

    Maisons de retraite : Sous-effectif, manque de soins… Les Ehpad, un système au bout du rouleau

    ACCOMPAGNEMENT Une dizaine d’aides-soignantes d’une maison de retraite du Jura sont en grève depuis plus de cent jours pour dénoncer leurs conditions de travail, qui les empêchent de prodiguer les meilleurs soins possible aux résidents…

    Anissa Boumediene

     

    Publié le 21/07/17 à 10h45 — Mis à jour le 21/07/17 à 10h46

     

    Illustration d'une maison de retraite

    Illustration d'une maison de retraite — Georges Gobet

    C’est une réalité que personne ou presque ne veut voir, bien cachée derrière les portes des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les fameux Ehpad, où vivent les personnes âgées dépendantes. Des Ehpad où le personnel en sous-effectif chronique est pour ainsi dire devenu la norme et où le temps accordé aux résidents et aux soins dont ils ont besoin en est réduit à peau de chagrin, avec des aides-soignants lessivés par une charge de travail toujours plus grande. Cette omerta généralisée, une dizaine d’aides-soignantes de la maison de retraite Les Opalines, à Foucherans (Doubs), tentent de la briser : elles ont entamé une grève il y a plus de cent jours maintenant, dans l’espoir de faire entendre leur voix et sortir d’une situation qui n’est plus tenable. Un mouvement social qui est sorti cette semaine de son quasi-anonymat après la publication d’un long article par Le Monde.

    Toilette expresse et bas salaires

    Car en pratique, ce n’est pas joli joli. Une dizaine de minutes, montre en main, c’est souvent la cadence infernale que doivent tenir les personnels en Ehpad pour faire sa toilette à un résident. Des résidents que, « faute de temps, on munit pour les moins mobiles d’entre eux d’une protection pour qu’ils se fassent sur eux parce qu’on est trop peu pour avoir le temps de les accompagner trois fois par jour aux toilettes », déplore Vanessa, infirmière coordinatrice dans un Ehpad. Un besoin de gagner du temps qui pèse sur chaque acte accompli par des personnels trop peu nombreux. « Quand vous êtes deux aides-soignantes et une infirmière pour presque 70 résidents, c’est la toilette expresse, explique l’infirmière. Là où il faudrait 30 à 45 minutes pour faire sa douche – à un résident qui ne souffre pas de handicap, sinon c’est beaucoup plus long —, mais que vous ne disposez même pas d’un quart d’heure, vous ne pouvez pas laver les cheveux à chaque fois ni faire tous les soins », raconte-t-elle, consciente que, « dans d’autres établissements, c’est pire, et la douche ce n’est que tous les 15 jours ».

    Et c’est la même rengaine pour chaque acte accompli par les personnels, pourtant dévoués et attachés à leur métier. Mais ils sont usés aussi, et les aides-soignants doivent jongler avec le sous-effectif permanent, pour un salaire qui dépasse rarement les 1.250 euros, horaires décalés et travail dominical compris.

    Des places qui coûtent très cher

    Pourtant, les résidents mettent la main à la poche pour vivre en Ehpad : entre 1.600 et 3.200 euros en moyenne selon les établissements et selon les régions. « Il y a un sentiment général qu’il y a des masses d’argent colossales dans les maisons de retraite, indique Pascal Champvert, président de  l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Certes, le tarif moyen d’un Ehpad est de 2.100 euros par mois pour un résident, ce qui n’est pas rien, puisque c’est bien plus que ce que perçoivent en moyenne les personnes âgées à la retraite. Pourtant, cela équivaut à environ 70 euros par jour, et à ce prix-là, il est quasiment impossible de financer l’hébergement, les repas, les activités, les soins et l’accompagnement des personnes âgées dépendantes par du personnel qualifié, déplore-t-il, saluant toutefois « les miracles accomplis au quotidien dans ces établissements, malgré les conditions ».

    Et le peu de crédits alloués à la prise en charge de la dépendance et de la fin de vie conduit chaque jour un peu plus les résidents et leur famille à cracher encore plus au bassinet. « Le déremboursement de certains médicaments (ex-vignettes orange) a entraîné plus de frais pour les résidents et leurs proches, constate Vanessa, ce qui pousse de plus en plus de familles à nous demander d’arrêter de donner certains médicaments parce que ça leur coûte trop cher. Nombre d’entre elles ne peuvent plus faire face à l’augmentation de toutes les dépenses qui ne sont pas ou plus prises en charge : du rendez-vous chez le cardiologue au taxi médicalisé en passant par les crèmes utilisées pour certains soins corporels. C’est intenable, alors que de nombreux résidents ont été contraints de vendre leur maison pour financer leur installation en maison de retraite ».

    Epuisement, colère et frustration

    Cette réalité, conjuguée avec la lourde charge de travail, finit par entamer le moral et l’enthousiasme des personnels les plus motivés. « Mon équipe est assez jeune, mais les conditions dans lesquelles on travaille sont trop dures, bien que l’on ne soit pas parmi les maisons de retraite les moins bien loties, indique Vanessa, l’infirmère en Ehpad. Mais quand vous êtes tellement submergée de travail, à un point tel que vous n’avez pas le temps d’accompagner un résident en promenade alors qu’il vous le réclame depuis une semaine, ça vous bouffe. On rentre chez soi en se disant qu’on a fait un boulot de merde parce qu’on n’a pas les moyens d’accompagner les résidents comme on le voudrait et surtout comme il le faudrait. Ajoutez à cela les semaines où vous travaillez 9 jours d’affilée parce que des arrêts maladie n’ont pas été remplacés, que des résidents souffrant de démence et relevant de la psychiatrie -qui ont attéri en Ehpad faute de places dédiées suffisantes et pour lesquels nous ne sommes pas formés- vous frappent et vous crachent dessus, il faut arriver à tenir. C’est épuisant, frustrant, on est en colère. Et pourtant, j’adore mon métier », confie la jeune femme, qui travaille en maison de retraite depuis l’âge de 18 ans, « mais je ne pourrai pas le faire toute ma vie, estime-t-elle. Dans cinq ans, je pense que j’en serai à un point où j’aurai besoin de faire complètement autre chose ».

    Un désintérêt politique

    Pour la jeune femme et ses collègues, qui ne comptent plus depuis bien longtemps les nombreuses heures supplémentaires non payées, « tout est fait pour nous donner le sentiment qu’on est indispensable et qu’on doit être corvéable à merci à toute heure, le jour, la nuit, les week-ends et les vacances, mais au final, on est toujours traitées comme la cinquième roue du carrosse, condamne Vanessa. C’est une situation dont les résidents pâtissent, mais personne ne nous écoute ». Alors aux consœurs en grève des Opalines de Foucherans, « je leur tire mon chapeau, c’est bien qu’elles se soulèvent, parce que les personnes âgées et celles qui s’en occupent, ça n’intéresse pas. La société doit changer son regard sur ses aînés ».

    La société, mais aussi les politiques, estime Pascal Champvert, de l’AD-PA, qui dénonce « l’âgisme, ou racisme anti-vieux. Nicolas Sarkozy puis François Hollande s’étaient engagés à reformer le système et mettre sur pied une prestation autonomie, mais rien n’a été fait, soupire-t-il. Donc on s’embourbe dans un système qui spolie les personnes âgées dépendantes et qui génère dans le même temps des maltraitances, dont l’Etat, et surtout pas les personnels, porte la responsabilité. Il est plus que temps de mettre en place un mode de financement qui permette de financer un système humain et décent pour les personnels soignants et les résidents », prescrit-il, appelant la ministre de la Santé Agnès Buzyn « à se saisir du dossier en réunissant tous les acteurs du secteur ». Mais avec quel argent financer ce chantier ? « En créant, comme le préconise le Conseil économique, social et environnemental une taxe sur les droits de succession », répond du tac au tac Pascal Champvert, qui table sur « un besoin de 6 à 7 milliards d’euros, ce qui n’est pas énorme pour l’Etat mais qui changerait profondément le quotidien de ceux qui vivent ou travaillent dans les Ehpad ». Un investissement qui paierait au plan humain mais aussi économique, dans un secteur « où tous les économistes s’accordent à dire qu’il peut devenir le plus grand créateur d’emplois ».

     

     

     

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