• L'avocate Julie Jacob met en garde contre les témoignages sur les réseaux sociaux visant à "salir la réputation d'entreprises", notamment via le hashtag Balance ton agency ou Balance ta start-up. Elle appelle à mettre en oeuvre la loi Sapin 2 qui prévoit une procédure dédiée aux lanceurs d'alerte dans les entreprises de plus de 50 salariés.

    Photo d'illustration.

    Photo d'illustration. (Capture d'écran Twitter.)
     

    La tribune : "La libération de la parole se poursuit : après les hashtags Balance ton porc et Balance ton agency, un nouveau mot-dièse vient d'apparaître, Balance ta start-up. Celui-ci, lancé par un compte anonyme sur Instagram, vise à dénoncer les pratiques managériales abusives de la 'start-up nation'. C'est une illustration de ce que sont les réseaux sociaux, à la fois espace de liberté et d'expression mais également vecteur de propos excessifs pouvant aboutir à des situations dramatiques (dénigrement, diffamation, mensonges, atteinte à l'image et à la réputation).

    A l'automne, le compte Balance ton agency, anonyme .....


  • - #BalanceTonAsso, #PayeTonTaf, #BalanceTonProf… les dérivés du désormais fameux «Balance ton porc» se multiplient ces derniers mois sur Twitter et Instagram. Pour l'ancien juge d'instruction et avocat Hervé Lehman, ce lynchage publique ne peut se substituer à la justice.

    Sur Twitter et Instagram, les hashtags se multiplient pour dénoncer les violences et abus dans le monde du travail ou le milieu scolaire.

    Sur Twitter et Instagram, les hashtags se multiplient pour dénoncer les violences et abus dans le monde du travail ou le milieu scolaire. Olivier DOULIERY / AFP

     

    Hervé Lehman est ancien juge d’instruction et avocat au barreau de Paris. Il a notamment publié L’air de la calomnie, Une histoire de la diffamation (éd.du Cerf, 2020), Le Procès Fillon (éd. du Cerf, 2018) et Justice, une lenteur coupable (PUF, 2002).

    LE FIGARO - Des milliers de post aux hashtags dénonciateurs apparaissent chaque jour sur les réseaux sociaux. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

    Hervé LEHMAN.- Jusqu'à l'affaire Weinstein et le mouvement «MeToo», une « balance » était une expression très péjorative, qui désignait un traître, celui qui dénonce lâchement ses amis ou ses complices. Aujourd'hui, on constate une totale inversion du terme : la balance est devenue un lanceur d'alerte respecté, et la dénonciation apparaît comme un acte citoyen, même sans preuves, ou même si l'auteur use de ce moyen pour régler des comptes personnels.

    Ce mécanisme de mise au pilori trouve toute sa place dans les réseaux sociaux, qui permettent à n'importe qui d'écrire n'importe quoi - souvent sous le couvert de l'anonymat - et de voir ses accusations reprises à l'infini, sans aucun contrôle. C'est la forme moderne de la rumeur, déjà dénoncée par Beaumarchais dans Le barbier de Séville : « Vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil ; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache (…) Qui diable y résisterait ? ».

    Cette libération de la parole ne peut-elle pas changer les choses ?

    Que les femmes maltraitées ou les victimes de pédophilie parviennent à parler une fois adultes est un phénomène très bénéfique. Cela permet de révéler que ces actes de maltraitance n'étaient pas rares, mais faisaient trop peu l'objet de plaintes, et que, souvent, l'entourage fermait les yeux. Ces dénonciations, pour tardives qu'elles soient, auront sûrement un effet dissuasif sur certaines personnes qui ont de mauvaises intentions mais savent qu'elles ne peuvent plus espérer l'impunité.

    Pour autant, dénoncer n'est pas prouver. Tous les praticiens de la médecine et du droit savent que la parole d'une personne se présentant comme victime n'est pas nécessairement vraie, pour des raisons tenant tant aux méandres de la mémoire qu'à des raisons de vengeance ou de justification. En tant que juge d'instruction, j'ai traité beaucoup d'affaires où la victime n'en était finalement pas une. Prenons garde à la sacralisation de la parole libérée. La justice est justement là pour établir le vrai du faux.

    Certains de ces post évoquent des faits difficilement vérifiables aux yeux de la loi. Dénoncer publiquement n'est-il pas un moyen de pallier la lenteur ou la complexité du système pénal ?

    Faire de ces hashtags une manière de rendre justice serait partir du présupposé que ce qui est dit est vrai. Or, il faut tenir compte des personnes en face, dont la vie peut être détruite par un simple tweet. Comme dit le philosophe, « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! ». Quand on accuse quelqu'un, il faut prendre les moyens appropriés. Balancer, oui, mais devant la justice ! Tous les mécanismes existent pour traduire les faits, depuis les abus sexuels jusqu'aux préjudices au travail. Pour les preuves, on peut retrouver des témoignages, des mails, des SMS, des courriers.

    Sur les réseaux sociaux, on procède à la pendaison de l'accusé avant même le procès.

    La difficulté tient à l'incapacité de la justice française de juger dans des délais raisonnables. Aujourd'hui au tribunal de Paris, une affaire de diffamation dure environ deux ans, une de viol quatre ans. Il y a, également, l'obstacle du délai de prescription, une difficulté particulière qui tient au fait que les mineurs victimes d'abus sexuels peinent souvent pendant de longues années avant de pouvoir parler. C'est pourquoi la loi a étendu le délai à trente ans après la majorité de la victime, c'est un bon signal.

    Mais sur les réseaux sociaux, on procède à la pendaison de l'accusé avant même le procès. Certes, la justice peut être lente, mais à la fin de l'histoire, cela fonctionne. Harvey Weinstein pourrait en témoigner du fond de sa prison.

    Sur Instagram, le compte @BalanceTonCab se targue d'«essayer de rendre le marché du travail plus juste». De même, le philosophe Alain Finkielkraut a été licencié de la chaîne LCI après avoir été lynché par @BalanceTonMedia. N'assiste-t-on pas à la mise en place d'un système de justice parallèle, où la dénonciation publique fait loi ?

    Quand le recours juridique se révèle insuffisant, des moyens détournés apparaissent, à l'image des milices privées quand la police est défaillante. Mais la rumeur, la mise au pilori, le lynchage sont le contraire de la justice. Ce sont des méthodes barbares et trop faciles. La civilisation, c'est celle qui permet aux juges indépendants de chercher la vérité, d'instruire à charge et à décharge, de confronter la thèse du plaignant à celle de l'accusé, et, finalement, de trancher la question de la culpabilité. C'est là la véritable signification de la balance - la vraie - qui symbolise la justice. C'est une lourde régression à laquelle nous assistons, et c'est à la justice de relever ce défi.





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique