Dans son rapport "France, portrait social ", l'INSEE chiffre à 112 000 le nombre de personnes SDF, dont 38% de femmes.
Comment vivent elle dans la rue? Annick, 62 ans, a été SDF durant 3 ans. Aujourd'hui, elle a réussi à s'en sortir, mais il lui aura fallu 14 ans pour retrouver une certaine stabilité.
Témoignage.
Comment vivent elle dans la rue? Annick, 62 ans, a été SDF durant 3 ans. Aujourd'hui, elle a réussi à s'en sortir, mais il lui aura fallu 14 ans pour retrouver une certaine stabilité.
Témoignage.
La précarité arrive plus vite que vous ne le pensez. Jamais je n’aurais imaginé vivre un jour dans la rue. Ma descente aux enfers a débuté quand j’avais 41 ans. À cause d’un accident de travail dans une entreprise d’emballage à Saint-Quentin en Yvelines, j’ai été mise en invalidité. Ne pouvant plus travailler, je ne payais plus mes loyers et j’accumulais les dettes. Je ne réussissais simplement pas à joindre les deux bouts.
Avec les huissiers et l’avis d’expulsion, j’ai été prise dans un engrenage. Alors âgée de 48 ans, j’ai décidé de tout plaquer, de prendre le strict minimum et de partir avant qu’on me mette à la porte. J’étais divorcée, ma fille était partie de la maison, je n’avais qu’à empoigner mon sac et quitter les lieux.
Je suis montée sur la capitale car je ne voulais pas croiser des gens de ma ville. À Paris, malade et sans argent, j’ai réalisé qu’il me serait impossible de trouver un logement. Mon calvaire de SDF a duré trois ans, de 2000 à 2003.
Être une femme sans domicile fixe, c’est dur. Très vite, j’ai compris que je n’avais pas le choix : pour survivre, je ne pouvais pas être seule.
Durant toute cette période, je n’ai côtoyé que des gens qui vivaient dans la rue. Avec le temps, en traînant dans les parcs publics, j’avais rencontré d’autres SDF, au point de former une bande d’amis du côté de République. Le soir, nous nous retrouvions sur la place. Nous dormions souvent dans l’église, mais devions changer de lieu régulièrement. Nous étions cinq ou six veillant chacun les uns sur les autres. Être plusieurs nous permettaient aussi d’éviter les vols d’autres clans car les gens de la rue ne se font pas de cadeaux.
Dans mon groupe, il y avait beaucoup d’hommes et quelques femmes, souvent méchantes avec moi. Les hommes, eux, me protégeaient et étaient aux petits soins avec moi. Certains essayaient bien de flirter, mais j’ai toujours dit non. Je n’ai jamais été violée ou rouée de coups. Evidemment, ça arrive, mais j’ai toujours su être assez ferme et discrète pour dissuader qui que ce soit. Dans la rue, l’important c’est de se faire respecter. Quand on me cherchait, je répondais : "Ça ne m’intéresse pas. Tu ne me touches pas. Tu ne m’emmerdes pas."
Parfois, je croisais une femme salement amochée et je lui expliquais qu’elle ne pouvait pas rester ainsi, qu’elle devait faire plus attention à elle. Et puis, il y avait aussi celles qui pour 10 euros acceptent de se prostituer. Ça me dégoûtait, mais c’est bien plus fréquent qu’on ne le pense.
Quand vous êtes sans domicile fixe, le vrai problème c’est surtout de savoir où vous allez dormir. La nuit, je somnolais sur une oreille parce que j’avais peur de me faire dépouiller une fois endormie. À peine réveillée, les yeux gonflés par la mauvaise nuit que je venais de passer, je pensais déjà à l’endroit où j’allais pouvoir passer la nuit suivante. Ma hantise c’était de me retrouver seule.
Les pompiers nous distribuaient des soupes et des couvertures. Parfois, le Samu passait nous voir pour nous proposer un hébergement, mais j’ai toujours refusé de me rendre dans un refuge. Là-bas, il y avait beaucoup trop de drogues et de soulards. Je ne pouvais pas. Je n’ai jamais touché à la drogue. Il m’est arrivée de boire à l’occasion mais jamais avec excès. C’est beaucoup trop dangereux pour une femme. Je fumais, mais uniquement mes cigarettes. Je n’en ai jamais accepté de Pierre Paul ou Jacques.
Tous les matins, je me levais aux alentours de 6h30, je me rendais dans un café de la Place de la République, chez Baba. Elle m’autorisait à utiliser ses sanitaires pour que je puisse faire ma toilette et que je me lave les dents. J’allais souvent aux bains publics. J’ai toujours veillé à rester propre, à avoir mes cheveux coupés et une allure décente. J’allais même chez le dentiste.
Chaque semaine, je me rendais au Chemin Vert pour récupérer des coupons alimentaires et des bons de transport. Et tous les midis, je retournais manger chez Baba avec mes coupons. Pour m’habiller, c’était souvent compliqué. J’avais des difficultés à trouver des fringues assez chaudes chez Emmaüs. Toujours en pantalon, j’avais totalement banni les jupes. Là où j’ai souffert, c’est surtout les chaussures. La puanteur, la transpiration, c’était l’horreur.
J’ai du caractère et un franc-parler. Je crois que c’est ce qui m’a permis de tenir. J’ai toujours refusé de faire la manche, mais j’avais aussi la chance d’avoir de l’argent. Tous les mois, 650 euros étaient versés sur mon compte en banque. Insuffisant pour avoir un logement, mais une somme correcte pour m’en sortir dans la rue. Quand le 115 me questionnait, j’avais toujours l’honnêteté de leur dire que j’avais de l’argent. On me répondait alors : "Le 115 ne prend pas en charge les gens qui ont de l’argent."
Cet argent me permettait de me payer des nuits d’hôtel, surtout les week-ends, j’en donnais aussi aux autres et je me payais des cigarettes, mon seul plaisir. Certains SDF savaient bien que j’avais de l’argent, alors pour qu’on me laisse tranquille, il m’arrivait de leur en donner ou de leur acheter une bouteille de sangria. C’était un peu du racket, mais au moins j’avais la garantie qu’on me ficherait la paix.
Pour ne pas avoir froid, je marchais dans tout Paris. Le reste du temps, je m’ennuyais. Qu’est-ce que vous voulez faire assis sur un banc toute la journée ? Je ne me suis jamais occupée des passants. Quelques fois, il y en avait qui venaient me donner des conseils. Je les écoutais, mais dans ma tête j’étais ailleurs. Mentalement, je souffrais. Physiquement, j’étais épuisée.
Un jour, je suis allée voir les gendarmes et je leur ai dit : "Ça suffit, aidez-moi !". Ils m’ont répondu que je n’avais "rien d’une clocharde" et m’ont emmené aux Petits frères des Pauvres. Une bénévole m’a reçu, mon dossier a été examiné, et le lendemain, j’ai appris qu’ils allaient m’aider. J’ai pleuré de soulagement.
Pendant trois mois, j’ai vécu dans un hôtel. Mon premier réflexe a été de prendre une douche d’une heure et demie. Et après j’ai dormi pendant plus d’une journée. À l’époque, je n’avais qu’une carte d’identité. Il a fallu que je refasse toute la paperasse. J’ai également été suivie par un médecin. Tout déconnait, alors j’ai pris des médicaments pour mes problèmes de thyroïde.
Aujourd’hui, ça fait trois ans que je vis dans un logement social, un appartement de la mairie de Paris pour lequel je paye un loyer en temps et en heure. J’ai mes meubles, mon chez moi. Je ne revois plus personne de ceux que je côtoyais dans la rue. J’ai tout laissé tomber, mais je pense que c’était nécessaire pour tourner la page, me reconstruire. Je sais qu’il y a des gens bien, mais je ne veux plus les voir par peur de retomber dans cette précarité extrême.
Je suis fragile sans vraiment l’être. Combien de fois ai-je cru que j’allais finir mes jours dans la rue ?
Dans ma vie, j’ai aujourd’hui tout ce dont j’ai besoin. Je paye un loyer, je subviens à mes besoins grâce des gens qui ont su me tendre la main. Je n’ai pas envie de les décevoir. Retourner dans la rue serait synonyme d’échec, j’en aurais terriblement honte.
Quand je croise un SDF dans la rue, ça me fait mal. Il y en a de plus en plus et on ne fait pas grand-chose pour eux. Cette situation, c’est la faute de tout le monde, mais je suis persuadée que lorsqu’on veut, on peut. Évidemment c’est long, il m’aura fallu plus de 10 ans pour m’en remettre, mais ça vaut tellement le coup de s’accrocher.
Avec les huissiers et l’avis d’expulsion, j’ai été prise dans un engrenage. Alors âgée de 48 ans, j’ai décidé de tout plaquer, de prendre le strict minimum et de partir avant qu’on me mette à la porte. J’étais divorcée, ma fille était partie de la maison, je n’avais qu’à empoigner mon sac et quitter les lieux.
Je suis montée sur la capitale car je ne voulais pas croiser des gens de ma ville. À Paris, malade et sans argent, j’ai réalisé qu’il me serait impossible de trouver un logement. Mon calvaire de SDF a duré trois ans, de 2000 à 2003.
Être une femme sans domicile fixe, c’est dur. Très vite, j’ai compris que je n’avais pas le choix : pour survivre, je ne pouvais pas être seule.
Durant toute cette période, je n’ai côtoyé que des gens qui vivaient dans la rue. Avec le temps, en traînant dans les parcs publics, j’avais rencontré d’autres SDF, au point de former une bande d’amis du côté de République. Le soir, nous nous retrouvions sur la place. Nous dormions souvent dans l’église, mais devions changer de lieu régulièrement. Nous étions cinq ou six veillant chacun les uns sur les autres. Être plusieurs nous permettaient aussi d’éviter les vols d’autres clans car les gens de la rue ne se font pas de cadeaux.
Dans mon groupe, il y avait beaucoup d’hommes et quelques femmes, souvent méchantes avec moi. Les hommes, eux, me protégeaient et étaient aux petits soins avec moi. Certains essayaient bien de flirter, mais j’ai toujours dit non. Je n’ai jamais été violée ou rouée de coups. Evidemment, ça arrive, mais j’ai toujours su être assez ferme et discrète pour dissuader qui que ce soit. Dans la rue, l’important c’est de se faire respecter. Quand on me cherchait, je répondais : "Ça ne m’intéresse pas. Tu ne me touches pas. Tu ne m’emmerdes pas."
Parfois, je croisais une femme salement amochée et je lui expliquais qu’elle ne pouvait pas rester ainsi, qu’elle devait faire plus attention à elle. Et puis, il y avait aussi celles qui pour 10 euros acceptent de se prostituer. Ça me dégoûtait, mais c’est bien plus fréquent qu’on ne le pense.
Quand vous êtes sans domicile fixe, le vrai problème c’est surtout de savoir où vous allez dormir. La nuit, je somnolais sur une oreille parce que j’avais peur de me faire dépouiller une fois endormie. À peine réveillée, les yeux gonflés par la mauvaise nuit que je venais de passer, je pensais déjà à l’endroit où j’allais pouvoir passer la nuit suivante. Ma hantise c’était de me retrouver seule.
Les pompiers nous distribuaient des soupes et des couvertures. Parfois, le Samu passait nous voir pour nous proposer un hébergement, mais j’ai toujours refusé de me rendre dans un refuge. Là-bas, il y avait beaucoup trop de drogues et de soulards. Je ne pouvais pas. Je n’ai jamais touché à la drogue. Il m’est arrivée de boire à l’occasion mais jamais avec excès. C’est beaucoup trop dangereux pour une femme. Je fumais, mais uniquement mes cigarettes. Je n’en ai jamais accepté de Pierre Paul ou Jacques.
Tous les matins, je me levais aux alentours de 6h30, je me rendais dans un café de la Place de la République, chez Baba. Elle m’autorisait à utiliser ses sanitaires pour que je puisse faire ma toilette et que je me lave les dents. J’allais souvent aux bains publics. J’ai toujours veillé à rester propre, à avoir mes cheveux coupés et une allure décente. J’allais même chez le dentiste.
Chaque semaine, je me rendais au Chemin Vert pour récupérer des coupons alimentaires et des bons de transport. Et tous les midis, je retournais manger chez Baba avec mes coupons. Pour m’habiller, c’était souvent compliqué. J’avais des difficultés à trouver des fringues assez chaudes chez Emmaüs. Toujours en pantalon, j’avais totalement banni les jupes. Là où j’ai souffert, c’est surtout les chaussures. La puanteur, la transpiration, c’était l’horreur.
J’ai du caractère et un franc-parler. Je crois que c’est ce qui m’a permis de tenir. J’ai toujours refusé de faire la manche, mais j’avais aussi la chance d’avoir de l’argent. Tous les mois, 650 euros étaient versés sur mon compte en banque. Insuffisant pour avoir un logement, mais une somme correcte pour m’en sortir dans la rue. Quand le 115 me questionnait, j’avais toujours l’honnêteté de leur dire que j’avais de l’argent. On me répondait alors : "Le 115 ne prend pas en charge les gens qui ont de l’argent."
Cet argent me permettait de me payer des nuits d’hôtel, surtout les week-ends, j’en donnais aussi aux autres et je me payais des cigarettes, mon seul plaisir. Certains SDF savaient bien que j’avais de l’argent, alors pour qu’on me laisse tranquille, il m’arrivait de leur en donner ou de leur acheter une bouteille de sangria. C’était un peu du racket, mais au moins j’avais la garantie qu’on me ficherait la paix.
Pour ne pas avoir froid, je marchais dans tout Paris. Le reste du temps, je m’ennuyais. Qu’est-ce que vous voulez faire assis sur un banc toute la journée ? Je ne me suis jamais occupée des passants. Quelques fois, il y en avait qui venaient me donner des conseils. Je les écoutais, mais dans ma tête j’étais ailleurs. Mentalement, je souffrais. Physiquement, j’étais épuisée.
Un jour, je suis allée voir les gendarmes et je leur ai dit : "Ça suffit, aidez-moi !". Ils m’ont répondu que je n’avais "rien d’une clocharde" et m’ont emmené aux Petits frères des Pauvres. Une bénévole m’a reçu, mon dossier a été examiné, et le lendemain, j’ai appris qu’ils allaient m’aider. J’ai pleuré de soulagement.
Pendant trois mois, j’ai vécu dans un hôtel. Mon premier réflexe a été de prendre une douche d’une heure et demie. Et après j’ai dormi pendant plus d’une journée. À l’époque, je n’avais qu’une carte d’identité. Il a fallu que je refasse toute la paperasse. J’ai également été suivie par un médecin. Tout déconnait, alors j’ai pris des médicaments pour mes problèmes de thyroïde.
Aujourd’hui, ça fait trois ans que je vis dans un logement social, un appartement de la mairie de Paris pour lequel je paye un loyer en temps et en heure. J’ai mes meubles, mon chez moi. Je ne revois plus personne de ceux que je côtoyais dans la rue. J’ai tout laissé tomber, mais je pense que c’était nécessaire pour tourner la page, me reconstruire. Je sais qu’il y a des gens bien, mais je ne veux plus les voir par peur de retomber dans cette précarité extrême.
Je suis fragile sans vraiment l’être. Combien de fois ai-je cru que j’allais finir mes jours dans la rue ?
Dans ma vie, j’ai aujourd’hui tout ce dont j’ai besoin. Je paye un loyer, je subviens à mes besoins grâce des gens qui ont su me tendre la main. Je n’ai pas envie de les décevoir. Retourner dans la rue serait synonyme d’échec, j’en aurais terriblement honte.
Quand je croise un SDF dans la rue, ça me fait mal. Il y en a de plus en plus et on ne fait pas grand-chose pour eux. Cette situation, c’est la faute de tout le monde, mais je suis persuadée que lorsqu’on veut, on peut. Évidemment c’est long, il m’aura fallu plus de 10 ans pour m’en remettre, mais ça vaut tellement le coup de s’accrocher.